Canal du Midi : planter utile !
Sans les platanes, le canal du Midi n’aurait pas cette « aura » patrimoniale. Pourtant les arbres de cet ouvrage classé au titre de l’Unesco présentent depuis l’origine des enjeux très pragmatiques, et répondent à une nécessité : l’utile avant l’esthétique.
Par l’équipe Exploreur, avec la collaboration de Nathalie Séjalon-Delmas, enseignante-chercheuse de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, directrice du service commun d'étude et de conservation des collections patrimoniales de cette même université.
Bien avant l’apparition du chancre coloré des platanes, la question des plantations était importante pour le canal du Midi. Elles ont depuis l’origine un intérêt pratique et esthétique. En plus d’aider à la stabilité des berges et d’apporter simplement de l’ombre, elles pouvaient être sources d’économie et/ou de revenus.
Essentiels pour le fonctionnement et la survie du canal
Sur les berges, les arbres du linéaire, ont deux fonctions principales : ils doivent faire de l’ombre et maintenir les berges. L’ombre assure un peu plus de confort aux voyageurs, et dans les premiers siècles aux chevaux de trait sur les chemins de halage. Ainsi on s’arrête moins souvent, et le temps de transport est plus « court ». Mais surtout cette ombre limite l’évaporation, car ce canal perd de l’eau depuis sa création : c’est une question cruciale.
Les racines des arbres maintiennent les berges, ce qui limite aussi les éboulements et les nécessaires creusements successifs induits, et de nouvelles … pertes d’eau : on privilégie donc les essences ayant un système racinaire important. Pour les mêmes raisons, des iris seront plantés pour leur rhizome, et d’autres espèces présentant des qualités similaires. Sur le versant méditerranéen, ce sont les résineux qui ont la préférence : ils s’enracinent profondément et ils résistent au vent, facteur d’ « évaporation » lui aussi.
Construire l’image
Sur plusieurs sites des arboretums sont installés : ce sera le cas à Naurouze ou au Lampy, par exemple. A Saint-Ferréol, des arbres sont plantés sur la digue pour limiter les ravinements, mais finalement c’est tout un parc qui est aménagé, conçu par un ancien responsable du Jardin des Plantes de Toulouse. Ces entreprises sont l’occasion d’introduire des espèces rares, exotiques : Cryptomeria japonica et cèdres de l’Himalaya à Naurouze, Gingko biloba, Araucaria du Chili au Lampy, chêne à feuilles de saule ou encore Wellingtonia (Sequoia géant) à Saint Ferréol. L’image du canal du Midi se construit aussi par ce biais.
Amener une plus-value
Enfin l’apport économique de ces plantations est envisagé et intégré dès la construction. Les pépinières vont assurer une ressource pour l’entretien des franc-bord et une économie non négligeable. Le bois de ces arbres peut aussi servir pour les constructions, ou les réparations d’ouvrages du canal. Mais les espèces choisies ne sont pas seulement utiles au canal. Au XIXe siècle sur le versant méditerranéen ce sont des mûriers qui sont plantés : l’activité de sériciculture implantée dans les Cévennes représente un débouché intéressant. Et sur le linéaire on retrouve par exemple, en plus du platane très majoritaire depuis un siècle et demi, des micocouliers très appréciés sur le versant méditerranéen dont le bois dur et souple convient à la fabrication de manches d’outil, et dont le feuillage peut servir de fourrage pour le bétail. Dans le secteur Lauragais, ce sont les robiniers (faux-acacias) dont le bois se vend bien, qui sont très prisés. Ils présentent les mêmes qualités de résistance que les bois exotiques et localement c’était ce bois qui était utilisé presque exclusivement pour la fabrication des piquets de clôture car imputrescibles.
Aujourd’hui le canal du Midi est inscrit au titre du patrimoine de l'humanité de l'UNESCO, certains de ces arbres séculaires font partie de son patrimoine, et les arbres du linéaire, les platanes en particulier, ont façonné son image, ils font partie intégrante du « paysage Canal » dans l’imaginaire et donc dans la mémoire collective.
L’herbier régional conservé à l’université Toulouse III - Paul Sabatier comprend 74 plantes récoltées au bord du canal. Cet herbier constitué au fil du temps (de 1852 à 1966) par plusieurs collecteurs comprend une planche de Chrysanthemum segetum ramassée et séchée par Casimir Roumeguère en 1848. Roumeguère, Toulousain, industriel, naturaliste amateur et surtout mycologue (fondateur de la société mycologique de France et de la revue mycologique). Cette plante n’avait pas été retrouvée à cette localité depuis la note du Dr Noulet dans sa flore du bassin sous-pyrénéen de 1837.
Référence bibliographique
Flore analytique de Toulouse et de ses environs, par J.-B. Noulet (1802-1890). Ouvrage avec une cinquantaine d’entrées sur les plantes du canal. Disponible en version numérique sur Gallica
Découvrez la vidéo « Le platane et le chancre coloré » réalisée en 2019 par l'École nationale supérieure d'audiovisuel de Toulouse (ENSAV), avec Émilie Collet des Voies navigables de France et Nathalie Séjalon-Delmas de l'Université Toulouse III - Paul Sabatier.