Réinventer la ville : le développement de Toulouse des remparts au Canal du Midi
Avec la construction du Canal du midi, Toulouse est, peu à peu, sortie de ses murs. Louis de Mondran, professeur à l’Académie Royale de peinture, de sculpture et d’architecture, est celui qui a finalisé le projet des allées qui hébergent l’actuel quartier des sciences.
Par Nicolas Marqué, enseignant-chercheur en histoire de la France moderne et humanités numériques à l'Université Toulouse - Jean Jaurès.
Toulouse, avec l’essor des arts et des sciences au XVIIIe siècle, découvre l’aménagement urbain avec trois hommes : Louis de Mondran, son beau-frère ; François Garipuy, directeur des Travaux publics des États du Languedoc et l’ingénieur Joseph-Marie de Saget. Ils vont redessiner la ville. Louis de Mondran reprend des plans de Saget pour proposer « de grands travaux bien pensés et peu coûteux qui permettront de relancer le commerce de Toulouse ». Grand orateur, il utilise le contexte de l’époque pour justifier son projet : la ville a besoin de ces travaux qui vont fournir emplois et salaires à une population peu qualifiée qui souffre de disette. En nourrissant ces familles, de nouvelles émeutes seront évitées. Le commerce a besoin, pour effectuer les transports de marchandises depuis la Garonne jusqu’au Canal du Midi, d’un axe reliant les deux voies d’eau. Le Grand-Rond et les Allées adjacentes, sont donc conçus dans ce plan d’urbanisme de 1751-1754.
Ouvrir la ville : une étoile toulousaine
En 1749, il le présente devant l'Académie royale de peinture, sculpture et architecture, le 5 août 1750, le conseil municipal reçoit mémoire, plan et devis. Des commissaires sont nommés. Le 21 novembre on annonce « à son de trompe que qui voudrait travailler pourrait se rendre à l’esplanade ». Enfin le 17 décembre 1751, « le plan de la promenade est approuvé dans toutes ses parties ». Les travaux sont réalisés sous la direction de Garipuy. À la veille de Noël 1751, ils sont près de 3 000 hommes, femmes et enfants sur le chantier, les travaux seront terminés en 1753. Enfin après avoir envisagé des mûriers (Mondran), puis les tilleuls de Hollande (Capitouls), après avis des membres du Parlement, ce sont des ormes du pays qui sont plantés en1755.
Le plan de Mondran propose d’aménager à l’extérieur des remparts, un ovale d’où partent six allées « rayonnantes » : la première vers la porte Saint - Etienne (allées François-Verdier), la seconde vers la porte Montoulieu (rue du 8 mai 1945), la troisième et la quatrième rejoignent le Canal du Midi (allées Paul Sabatier et allées des Soupirs), la cinquième relie au pont de Montaudran (allées Frédéric Mistral) et la dernière va jusqu’à la Garonne en passant par la porte Saint-Michel (allées Jules Guesde). Pour dessiner ce Grand-Rond (247x210m), il s’inspire de la place en étoile créée en haut des Champs - Élysées en 1724 à Paris. Il comprend au centre « un plateau de gazon », une allée ombragée qui le borde, et un chemin sur l’extérieur pour les charrois. Les six allées mesurent 58 m de large et sont organisées en cinq parties : une allée centrale « engravée » pour les promenades à cheval ou en équipage, elle sera bordée de 2 allées « engazonnées » et ombragées pour les promenades à pied, et enfin sur chaque extrémité un chemin pavé pour les charrois. On disposera des banquettes en pierres de Carcassonne entre les arbres qui serviront de siège aux promeneurs tout en « contenant la circulation ».
Lieux de promenades et d’apprentissages de nouvelles mœurs urbaines
Ce nouvel ensemble est adopté rapidement par la population, on y vient « chanter, danser, et s’amuser avant de gagner les cafés voisins ». On y fait passer toutes les personnalités importantes en visite, et un règlement s’impose : jeu de mail (golf - pétanque) puis jeu de quilles et de tèques interdits car ils détériorent les pelouses, et aussi interdiction de « mener dépaître en aucun temps du bétail gros ou menu dans les promenades », de « couper ou abattre les arbres», de « démolir les sièges», de « jeter des matières fécales, des immondices, ordures, fumiers, décombres, terres ou bêtes mortes… ».
La bataille pour civiliser les mœurs de la population locale a été rude, les capitouls en viennent même à interdire de « démolir par quelque motif que ce soit […] les sièges [des] promenades […] à peine corporelle ». Même le charretier Lagardelle chargé de l’entretien de la promenade ne respectait pas les règlements : il était en train de « charger un tombereau » avec la terre du centre de l’allée menant à l’arrivée de la barque de poste, où il avait déjà réalisé de « grandes excavations »… terre qu’il déposait au pied des arbres de la promenade…
Il fallut également assainir les alentours des nouvelles promenades, le réseau d’égouts a été élargi mais reste insuffisant, notamment en 1770 : il faut alors ouvrir deux tranchées dans l’allée Saint - Étienne pour évacuer les eaux de pluie. De même, en 1788, les fossés proches de l’allée menant à l’embarcadère de la barque de poste se remplissaient d’eau qui y « croupiss[ait] ». Pour remédier à cela, la ville fait creuser des fossés pour guider les eaux vers la porte Saint - Étienne et finit par les transformer en aqueducs le long des deux allées bordant le faubourg.
Un urbaniste en avance sur son temps
Louis de Mondran avait pensé les nouvelles allées à la fois comme des promenades et comme des axes de circulation, mais aussi comme des axes d’urbanisation : son projet prévoyait la construction de tout un nouveau quartier autour d’elles. Les bâtiments qui borderaient les allées n’auraient qu’un seul étage au milieu duquel se trouverait « un avant corps avec fronton » et toutes les façades seraient uniformes. Chacun d’entre eux coûterait quatre mille livres et permettrait d’impressionner les voyageurs entrant en ville.
L’urbaniste était particulièrement satisfait de l’aspect financier de son programme et se vantait que la création de tout ce nouveau quartier se ferait « sans qu’il en coûtât rien » à la ville. En effet, il prévoyait que ces édifices d’habitation seraient les premier prix d’une loterie dont les billets seraient vendus au prix de 4 livres l’un. Ce mécanisme financerait la création du nouveau quartier et permettrait de loger un nombre considérable de Toulousains. Louis de Mondran n’excluait pas non plus de solliciter des entrepreneurs privés pour réaliser les dernières constructions si les capitouls ne parvenaient pas à tout réaliser.
Le quartier devait également être particulièrement sain, comme le préconisaient les perspectives pré-hygiénistes alors en vogue : des plantations d’ormes devraient fournir de l'ombre et un air plus pur, les douves du rempart toutes proches seraient comblées ou converties en aqueducs et on créerait « un magnifique jardin public de botanique qui serait un grand ornement pour la ville et très utile pour l'université de médecine et pour les malades ».
Ce magnifique projet si simple à réaliser sur le papier ne voit pourtant jamais le jour : le nouveau quartier aurait été situé en dehors du périmètre du rempart, donc hors de la ville pour les mentalités de l’époque. Les élites, en particulier, considéraient les faubourgs comme des quartiers suburbains dans tous les sens du terme. D’aucuns ont même reproché à Louis de Mondran de vouloir mettre « la ville hors la ville », ce qui a discrédité rapidement le projet.
Une nouvelle promenade à la mode… mais hors la ville.
À Toulouse, les remparts sont restés une barrière à la fois physique et, surtout, mentale durant toute la fin du XVIIIe siècle. Toutefois, leur importance s’érode lentement, et des voix de plus en plus nombreuses s’élèvent pour demander leur destruction : en cause le coût d’entretien mais aussi les problèmes de circulation qu’ils engendrent. Cette situation n’est guère exceptionnelle, et les remparts disparaissent peu à peu des dictionnaires de l’époque comme élément de définition de la ville.
Cette évolution des mentalités ne manque pas de se traduire rapidement dans le paysage urbain : sous la Révolution, les autorités locales souhaitent remplacer les remparts les plus proches du Capitole par une place et une allée qui rejoindrait le canal. L’influence du projet de Mondran dans ce qui deviendra la place Wilson et les allées Jean-Jaurès était donc largement palpable. Après un premier échec causé par des problèmes de financement sous la Révolution, les travaux débutent en 1822 et les premiers bâtiments sortent de terre en 1825. Tous étaient soumis à des normes strictes pour que leurs façades soient régulières et donnent à la place un paysage agréable.
La grande différence avec le projet de Mondran, c’est le succès immédiat de ce quartier qui est immédiatement accepté par les élites locales et se peuple rapidement : une centaine de personnes y ont déjà élu domicile à la fin du premier tiers du XIXe siècle et la brasserie du sieur Théron, implantée le long de l’allée manque bien souvent de bière, particulièrement en 1827 et 1828 !
Louis de Mondran, Saget, Garipuy puis Delmas et Vitry (qui fera percer les boulevards) ont donné à Toulouse, et en particulier à son centre-ville, la structure urbaine qui perdure aujourd’hui.
Dates clés
- 1751 - 1754 : Plan d’urbanisme de Mondran, création du Grand Rond et allées adjacentes.
- 1813 - 1815 : Aménagement de la place Wilson et des allées Jean-Jaurès. Plan d’alignement d’Urbain Vitry avec la création des boulevards
- 1972 - 1995 : De la rocade au périphérique.
Références bibliographiques
-
Marqué N., Toulouse et le Canal du Midi , 2007, Empreinte Éditions.
-
Marqué N., "Putting the town outside the town, the redefinition of urbanity", dans Bernard V., (dir.), "Images of the City: the Conference Proceedings", Anthropology / Ethnologie, vol. 57, LIT Verlag Münster, 2014, pp. 25 - 35.
-
Coppolani J., "La "promenade publique" de Toulouse : de M. de Mondran à nos jours", L'Auta, t. 485, 1983, pp. 99 - 116.
-
Costa G., "Documents sur l'urbaniste Louis de Mondran", L'Auta, t. 254, 1956, pp. 34 - 38.
-
Guillin M, L’enseignement de l’architecture à l’Académie Royale de peinture, sculpture et architecture de Toulouse, 2010, Les Cahiers de FRAMESPA.