Des pistes pour lutter contre l’obésité et ses effets
Difficile de faire l'impasse sur l'obésité quand on parle d'alimentation. Cette pathologie, qui constitue la 5e cause de mortalité dans le monde selon l'Office mondial de la santé, est notamment dûe à une consommation d'aliments trop riches en lipides et en glucides. Sur le site toulousain, on cherche à la fois « avant l'assiette » mais aussi une fois la maladie installée, à prévenir ses effets sur la santé.
Par Camille Pons, journaliste scientifique.
« Le tissu adipeux, c'est essentiel à la vie. Et son absence est aussi mauvaise que sa pléthore. »
Ce préalable, c'est l’enseignant-chercheur de l’Université Toulouse III – Paul Sabatier, Dominique Langin qui le pose. Ce biologiste de l'Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires (I2MC) est spécialiste des complications associées à l'obésité, une maladie qui se caractérise par un excès de masse grasse et une modification du tissu adipeux. Un axe de recherche important car les risques pour la santé, dès lors que la maladie est installée, ne sont pas négligeables : elle favorise notamment l'apparition du diabète de type 2, les maladies cardiovasculaires et certains cancers, comme celui du colon. Et ces maladies entraînent le décès d'au moins 2,8 millions de personnes chaque année.
L'obésité a fait un bond dans le monde. Mieux comprendre les causes et les mécanismes conduisant à cette pathologie est devenu essentiel, tout comme étudier ceux qui amènent les personnes obèses à développer d’autres maladies.
Des recherches « avant l'assiette »
Plusieurs chercheurs du laboratoire Toxalim (Centre de recherche en toxicologie alimentaire) se penchent sur les effets que peuvent avoir des « cocktails » de contaminants chimiques, que l'on est susceptible d'absorber, sur le développement de l'obésité. « On s'intéresse à ce qu'il y a avant l'assiette », résume Nicolas Cabaton, chercheur INRAE.
Des recherches axées sur la prévention du risque chimique qui sont « complémentaires » de celles menées par des spécialistes de la santé. Pourquoi se pencher particulièrement sur les effets obésogènes des contaminants chimiques ?
« Parce que cette pathologie, l'obésité, progresse constamment et inquiète. On parle aujourd'hui d'épidémie concernant ce phénomène, qui ne s’explique pas par une seule alimentation trop grasse ou trop sucrée »
répond Éric Houdeau, chercheur INRAE.
Une période d'exposition au bisphénol A particulièrement sensible : la période périnatale
Plusieurs travaux ont ainsi contribué à la décision d'interdire le bisphénol A dans les emballages alimentaires (BPA, substance chimique de synthèse utilisée jusqu'en 2015 principalement dans la fabrication de plastiques et de résines tapissant les boîtes de conserve). En étudiant les effets de son exposition sur l'intestin d'animaux dès 2006, les équipes de Toxalim ont entre autres identifié « une fenêtre de fragilité, la période périnatale », précise Éric Houdeau, c'est-à-dire lors du développement du fœtus. « Ces travaux avaient mis en évidence une caractéristique du BPA, l'oestrogéno-mimétisme : le BPA se fixe sur les récepteurs des oestrogènes, avec des conséquences sur le métabolisme de l'animal adulte, en particulier quand l’exposition commence dès la gestation : des effets de prise de poids, pour laquelle le rôle de l'hormone est déjà connue mais pas avec cette ampleur. »
Les chercheurs ont identifié également d'autres risques pour les fœtus exposés à ce perturbateur endocrinien, que l'on ne retrouve pas chez l’adulte exposé : développer des intolérances alimentaires ou des infections parasitaires, une faiblesse dans la mise en place du système immunitaire, ou encore une sensibilité aux inflammations. « Alors qu'au contraire, chez l'adulte, le bisphénol peut être un facteur de protection sur ce 'compartiment' précis, l'intestin, et présenter des propriétés anti-inflammatoires », précise Éric Houdeau.
Bisphénol A et obésité chez l’Homme : près de 500 enfants exposés à l’étude.
Aujourd'hui, Toxalim participe au projet européen Obemirisk. Il s'agira, sur trois ans (de 2019 à 2021), de vérifier les effets de cette exposition en période périnatale qui ont été constatés sur les animaux, une dysbiose du microbiote avec des paramètres annonciateurs de l'obésité, en corrélant, dans une cohorte de 460 enfants scolarisés en Espagne, leurs niveaux d’exposition mesurée à cette catégorie de contaminants aux signes annonciateurs d'obésité ou à une obésité déjà installée. Aujourd'hui, nuance Éric Houdeau, même si « on dispose d'énormément de recueils de données », « on n'a pas établi de lien de causalité chez l'homme entre le BPA et l’obésité », donc de preuves à proprement dit.
Un autre projet, Goliath (2019-2024), financé sur cinq ans dans le cadre du programme européen H2020 et piloté par INRAE Occitanie – Toulouse et l'université d'Utrecht aux Pays-Bas, consistera à réaliser et comparer des empreintes métaboliques (images de l'ensemble des molécules que l'on a en nous) entre individus exposés et individus non exposés. L’objectif est d’établir des liens entre différents modes d'actions de molécules pouvant être la cause de maladies parmi lesquelles compte l'obésité.
Comprendre le stockage des graisses dans la cellule adipeuse
D’autres recherches s'intéressent à prévenir les risques associés à cette pathologie dès qu'elle est installée. Dominique Langin vient ainsi de décrocher, avec Bruno Antonny, chercheur CNRS à l'Institut de pharmacologie moléculaire et cellulaire de Nice et Mikael Rydén, médecin chercheur de l'Institut Karolinska en Suède, la prestigieuse bourse Synergy Grant du Conseil européen de la recherche, pour mener une recherche exploratoire visant à mieux comprendre la dynamique et les conséquences de l'augmentation de la taille des cellules qui composent le tissu adipeux, les adipocytes. Car si l'obésité est le résultat aussi d'une augmentation du nombre d'adipocytes et pas seulement de leur taille, cette orientation sur ce phénomène de taille, dit d'hypertrophie, a été justifié par de récentes découvertes faites par l'équipe suédoise qui, explique Dominique Langin, a mis en évidence qu'« à masse égale, une personne qui a de grosses cellules sera davantage prédisposée à des maladies cardiaques et métaboliques, dont le diabète ».
Dans le cadre du projet Spheres (Lipid droplet hypertrophy : the link between adipocyte dysfunction and cardiometabolic diseases), les chercheurs vont tenter de mieux comprendre la structure et la dynamique de la gouttelette lipidique de l'adipocyte. Parce que c'est celle-ci qui a la capacité de se gorger de graisse et donc de gonfler comme un ballon la cellule.
« Comprendre ce qui fait que cette gouttelette unique devient grosse et quels sont les composants qui font qu'elle va pouvoir continuer à grossir est donc déterminant »
souligne le chercheur.
Un préalable à d'autres recherches pour prévenir des cancers ou des troubles de la reproduction
Plusieurs objectifs sont assortis à cette recherche. Notamment développer une connaissance très fine des interactions entre les lipides neutres contenus dans la gouttelette et les protéines et phospholipides qui composent sa membrane, pour « déterminer si, selon l'enveloppe, la gouttelette va être plus ou moins facile à faire grossir ». Mais aussi « comprendre comment cette gouttelette qui grossit va rendre le tissu adipeux dysfonctionnel et contribuer aux développement des maladies ». Mais pas que. « Car ces connaissances pourront aussi motiver des recherches pour prévenir d'autres complications liées à l'obésité, comme les cancers ou encore les troubles de la reproduction », observe Dominique Langin.
Enfin, les chercheurs de l’I2MC souhaitent développer des outils pour caractériser les tissus adipeux, ce qui pourrait « permettre ensuite de catégoriser les patients par groupes de risques, sur telle ou telle maladie ». Enjeu également important car « on est encore très loin de la médecine personnalisée ». Avant la mise au point d'un médicament qui ciblerait la gouttelette, « raisonnablement pas avant 10 à 20 ans », cette catégorisation des patients permettra, alors qu'il s'agira de les traiter sur des années en prévention, de bien cibler ceux qui bénéficieront des approches thérapeutiques existantes et futures.
Un monde de plus en plus obèse ?
Selon les chiffres les plus récents fournis par l'Organisation mondiale de la santé (OMS), l'obésité concernerait 17 % des adultes en France (et 13 % dans le monde) et le nombre de cas aurait presque triplé entre 1975 et 2016. L'indice de masse corporelle (IMC) est un moyen simple de mesurer l'obésité : il correspond au poids de la personne (en kilogrammes) divisé par le carré de sa taille (en mètres). Une personne ayant un IMC de 30 ou plus est généralement considérée comme obèse.
Toxalim : Unité mixte de recherche Toxicologie alimentaire (INRAE, Toulouse INP-Purpan, École nationale vétérinaire de Toulouse)
I2MC : Institut des maladies métaboliques et cardiovasculaires (Inserm, Université Toulouse III Paul Sabatier)