Innover en continu : la botte secrète d’Ubisoft

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Droit・Entreprises

Innover en continu : la botte secrète d’Ubisoft

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© Anthony Brolin, by Unsplash

Pas facile d’ignorer les productions Ubisoft. On a tous entendu parler des Lapins crétins, de Just Dance ou d’Assassin Creeds, des jeux vidéo vendus à des millions d’exemplaires sur toute la planète. Les recherches menées par Nicola Mirc, enseignant-chercheur de Toulouse School of Management permettent de mieux comprendre comment la petite entreprise bretonne des années 80, même si elle a parfois traversé des trous d’air, est devenue un des leaders mondiaux des jeux vidéo.

Par Nicola Mirc, enseignant-chercheur à Toulouse School of Management, Paul Chiambaretto, enseignant-chercheur à Montpellier Business School et David Massé, également enseignant-chercheur à l'École polytechnique.

Une des clés du succès de cette société, dont la croissance depuis trente ans, s’est largement faite par achats successifs ou par création de studios de production, a été de parvenir à capitaliser sur les innovations technologiques émanant de ses différents studios (45 aujourd’hui), sans que cesse pour autant une forme d’émulation entre ces entités. Gérer ainsi la « coopétition », c’est-à-dire articuler une compétition saine entre des équipes-projets décentralisées, soucieuses chacune de briller, et une coopération, qui leur évite de devoir réinventer la roue, est un des secrets des entreprises les plus innovantes à l’échelle mondiale, comme L’Oréal dans le domaine des cosmétiques ou Mondelez dans le secteur des confiseries et chocolats.

Comment partager les innovations en interne ?

Cette articulation n’a rien d’évident. Quand un des projets de jeu opère une percée technologique, par exemple en créant un outil qui gère les ombres ou les lumières, il est très intéressant pour Ubisoft que celui-ci soit partagé par les équipes qui travaillent sur d’autres jeux, afin de faire la différence par rapport aux concurrents externes. Mais comment inciter au partage et à la diffusion d’un nouvel outil ?

Un créateur de jeu est motivé avant tout par le succès du jeu sur lequel il travaille. Son équipe n’a ni le temps ni les moyens de consacrer de l’énergie à la transmission d’une avancée à d’autres entités de l’entreprise. Les autres équipes peuvent aussi être réticentes à intégrer une innovation qu’ils maîtrisent mal. C’est dans ce contexte qu’interviennent des structures d’un nouveau genre : les « knowledge brokers », que l’on pourrait traduire par « courtiers de savoirs », chargés, dans ces entreprises très performantes et innovantes, de gérer la diffusion des nouveaux savoirs.

Ces « brokers » identifient les percées technologiques réalisées par les différentes entités du groupe et susceptibles d’être réutilisées ailleurs. Ils retravaillent le code et les interfaces pour standardiser les outils et les rendre plus facilement exploitables par d’autres équipes. Ils créent des catalogues pour informer l’ensemble des équipes de l’existence de ces outils innovants. Ils interviennent même en direct auprès des équipes potentiellement intéressées par telle ou telle nouveauté afin de faciliter son intégration dans leur projet.

Stimuler les innovations par la reconnaissance des équipes créatives

Un tel mode de fonctionnement présente des intérêts majeurs. L’intervention du « knowledge broker » rassure les innovateurs car elle crée des délais dans la transmission des solutions en interne. Ces délais permettent à l’équipe à l’origine d’une innovation de garder un temps d’avance sur ses « concurrents internes » et de ne pas perdre ainsi un atout précieux. La médiation du « knowlege broker » réduit ensuite les coûts de partage en standardisant les solutions. L’adoption des innovations est largement facilitée. Enfin, la position neutre du « broker » favorise la confiance.

Ubisoft a réussi ainsi à mettre en place une organisation qui fonctionne sans direction technique centralisée, administrant d’en haut le système. Mais ce n’est pas non plus une jungle où les équipes essaient chacune de tirer la couverture à elle, en se désintéressant du sort du groupe. Une nouvelle manière de gérer l’innovation, applicable dans d’autres contextes ?