Et si l’université s’était réformée en permanence ?

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Cultures・Sociétés

Et si l’université s’était réformée en permanence ?

Fondation collège de Foix Exploreur
Acte de fondation du collège de Foix à Toulouse par le cardinal de Foix, palais apostolique d’Avignon, 26 septembre 1457. © Conseil départemental de la Haute-Garonne, archives départementales, 3D6, n° 37

Plongée dans plus de huit siècles de crises et de transformations académiques pour comprendre l’Université de Toulouse d’aujourd’hui. Défi relevé avec cet ouvrage collectif dirigé par les historiens Caroline Barrera et Patrick Ferté. Trois tomes, près de 2000 pages décrivent les aventures intellectuelles et scientifiques qui ont forgé notre région et son rayonnement à l’international.

Par Caroline Barrera, enseignante-chercheuse en histoire contemporaine à l’Institut national universitaire Champollion, et Patrick Ferté, enseignant-chercheur émérite en histoire moderne à l’Université Toulouse-Jean Jaurès. Article co-publié dans la revue Le patrimoine – Histoire, culture et création d’Occitanie.

Depuis sa création au XIIIe siècle et jusqu’à aujourd’hui, on a souvent répété cette formule : Universitas semper reformanda, l’université est à réformer en permanence ! L’histoire de celle de Toulouse montre combien les crises et les frustrations sont le lot permanent de l’homo academicus. L’institution perdure, huit siècles plus tard, au prix de crises et de transformations continues. Des facultés du Moyen Âge aux universités et aux « grandes écoles » d’aujourd’hui, l’université de Toulouse a ainsi connu d’ardentes aventures intellectuelles et scientifiques, formé des centaines de milliers d’individus et rayonné dans le monde entier. Il était donc temps, comme d’autres grandes villes universitaires dans le monde, qu’elle y voie clair dans sa longue histoire. Pour ce faire, une vingtaine de chercheurs ont plongé dans le fonds archivistique exceptionnel conservé durant huit siècles. Si les époques et les contextes diffèrent, plusieurs lignes directrices structurent les trois volumes et montrent combien la question de la réforme permanente a été et reste cruciale.

Référence bibliographique

Caroline Barrera et Patrick Ferté (dir.), L’Histoire de l’université de Toulouse, trois volumes, Portet-sur-Garonne, Éditions midi-pyrénéennes/Université de Toulouse Midi-Pyrénées, décembre 2019 (volume 1 et 3), début 2020 (volume 2).

Conquérir et maintenir ses « libertés universitaires » tout en formant les élites laïques et religieuses

Une première série d’interrogations concernent la construction institutionnelle d’une université qui, dès le Moyen Âge, a presque toujours été la deuxième de France par ses effectifs. Pendant des siècles, l’université de Paris ne pouvant enseigner le droit civil – trop menaçant pour la tutelle de l’Église sur l’institution –, le chemin de Toulouse fut un passage obligé pour nombre de futurs cadres de la monarchie. En participant aux débats de son temps, en élaborant la doctrine monarchique, en formant les futures élites laïques et religieuses, l’université a revêtu une importance insigne, au point que l’Église et l’État se sont disputé sa tutelle. Se servant d’elle comme d’un levier pour des enjeux plus globaux, ils ont accepté en retour d’en assumer le financement. Entre les deux, l’université a joué sa propre partition, tâchant de bâtir puis de maintenir ses « libertés universitaires » et une certaine autonomie de gouvernance malgré la protection un peu trop rapprochée du parlement.

Mouvement continu d’émancipation de la tutelle de l’Église

La question de la sécularisation, puis de la laïcisation de l’université, dépasse la seule thématique institutionnelle. Ce processus initié très tôt, dès le XVe siècle, comprend un volet humain important, idéologique bien sûr, objet de tiraillements et de repositionnements permanents, qu’il faut examiner au-delà des idées reçues. Un exemple : même si, aujourd’hui encore, l’Église joue un rôle non négligeable dans l’enseignement supérieur, même si, sous la royauté, Toulouse et son université ont été taxés de « citadelle de la bigoterie », il serait trop simple de ne voir dans cette institution qu’un instrument fidéiste de la Contre-Réforme catholique et de s’arrêter aux condamnations de Gonzalve Molina, de Jean de Caturce, de Michel Servet, d’Étienne Dolet, de Vanini ou du père Calas. Ce serait oublier que ces infamies furent le fait du parlement et de l’Inquisition et non de l’université où, au contraire, on observa un mouvement continu, souvent inaperçu, d’émancipation de la tutelle de l’Église, de neutralisation de la gent ecclésiastique et conventuelle dans les instances décisionnelles, bref de conquête de la gouvernance par les laïcs.

Créations et fusions institutionnelles pour lutter contre l’inertie

Il y avait aussi lieu d’examiner la construction institutionnelle des différentes composantes de l’université, de même que les nombreuses réformes dont elle a fait l’objet : celles-ci témoignent à la fois de ses dysfonctionnements, des efforts d’adaptation à un monde en évolution, comme de l’intérêt tout spécial des chanceliers gardes des sceaux à son endroit. Un regard particulier est posé sur les institutions périphériques de l’université, des collèges médiévaux et modernes aux instituts techniques de la faculté des sciences de la IIIe République, en passant par des groupements extérieurs. À travers eux, se pose la question de la lourdeur de l’institution et de la nécessité de trouver des solutions palliatives à son inertie. De l’université à la diversité institutionnelle contemporaine, créations et fusions marquent des évolutions importantes, mais aussi des hésitations, des essais plus ou moins fructueux et, en certains cas, des échecs. Ainsi voit-on, dans les années 1920, plusieurs projets d’instituts échouer, comme ceux de paléontologie humaine en 1922, de psychologie et pédagogie en 1923 ou l’institut polytechnique en 1925.

La cohésion universitaire en question

La cohésion universitaire que sous-entend l’appellation même d’« université de Toulouse », souhaitée et parfois mise en œuvre, est également étudiée dans l’ouvrage. Elle souffre d’un certain nombre d’entorses et de difficultés qui amènent à s’interroger sur les partitions que jouent en réalité ses différentes composantes. Tous les aspects de la vie universitaire sont concernés, de la gouvernance aux concurrences disciplinaires, y compris infradisciplinaires, en passant par les controverses doctrinales, le financement des facultés ou des chaires, le statut et les revenus des enseignants ou le nombre d’étudiants. Avec ces pommes de discorde, malgré des rituels bien rodés qui, derrière une solidarité de façade, avivent surtout les querelles de préséance, c’est toute la sociabilité universitaire qui est souvent mise à mal, face à de nombreux adversaires déterminés et unis.

Une université aux multiples fonctions

L’ouvrage s’interroge aussi sur les fonctions de l’université. Elle a certes pour mission initiale de former et de certifier les étudiants pour l’exercice de différentes professions. Mais la connexion avec le monde professionnel est tout sauf simple, que ce soit pour les étudiants ou pour leurs professeurs. De fait, les fonctions socioculturelles de l’université sont fort complexes. Ascenseur social ? Lieu de reproduction des élites ? Rite de passage pour les « héritiers » au sens bourdieusien ?

Les trois volumes appréhendent les évolutions, particulièrement pour la période moderne où est scruté le rapport entre le marché de l’emploi et la production de gradués. Ainsi, l’inflation du nombre de diplômés a pu, du moins l’a-t-on cru, entraîner à certaines périodes la saturation des débouchés et générer une certaine rancœur. Une étude sociale fouillée a permis de réfuter certaines interprétations hâtives, concernant par exemple le siècle des Lumières et les « origines culturelles de la Révolution ». Pour la période contemporaine, la définition de l’étudiant est encore plus complexe, s’élargissant, multipliant, ce faisant, les fonctions de l’université. Ainsi l’accueil des étudiants étrangers, et d’abord coloniaux, relève-t-il de ce que l’on appelle aujourd’hui le softpower, et les problématiques liées aux femmes amènent à introduire dans les analyses le prisme du genre.

Il en va de même pour la relation de l’université à sa fonction savante – l’actuelle recherche. Si celle-ci est en bonne part liée au corps professoral, elle n’a longtemps été ni officiellement intégrée à ses missions ni favorisée par l’institution. L’université d’Ancien Régime se trouvait alors aux antipodes du paradigme universitaire germanique mariant enseignement et recherche, aujourd’hui apprivoisé par toute la communauté scientifique. La vieille université française se voulait plus conservatoire que laboratoire. Ainsi joua-t-elle longtemps un rôle d’alma mater castratrice vis-à-vis de certains novateurs. Toutefois son histoire intellectuelle, souvent à contre-courant, et ses combats retardateurs ne manquent pas d’intérêt pour l’histoire des mentalités, d’autant qu’elle ne pouvait rester totalement hermétique aux idées nouvelles en voyant se constituer, hors campus, des institutions périphériques rivales, comme jadis l’académie des sciences, ou l’école de chirurgie, ou, plus récemment, le CNRS, avec lesquelles il a bien fallu créer des liens.

L’Université et la Ville : une relation à jamais tumultueuse ?

La relation de l’université de Toulouse avec la ville rose n’a pas été négligée dans l’ouvrage. C’est au départ celle de l’intégration d’un corps étranger. Imposée par l’extérieur dès son origine, on peut même dire arrivée dans les fourgons de l’envahisseur « français », l’université, une fois acclimatée et réconciliée avec la société méridionale, n’a pourtant cessé de revendiquer sa singularité et refusé de participer aux charges de la cité dont elle perturbait la tranquillité (via ses étudiants), tout en réclamant un financement municipal de ses bâtiments. L’exfiltration des campus des universités Toulouse II-Le Mirail et Paul-Sabatier en périphérie de la ville pourrait laisser penser que le corps étranger a finalement été rejeté. La réalité s’avère plus complexe, d’autant qu’il s’agit d’une relation à trois, l’État n’étant jamais très loin, et qu’en outre, l’université Toulouse 1 Capitole campe toujours in situ, dans des locaux à elle dédiés par la Ville depuis cinq siècles.

Insertion dans le marché international de la formation et de la recherche : un souci permanent

L’échelle urbaine n’étant pas le seul horizon de l’université, la question de son rayonnement est aussi largement abordée, que ce soit l’aire de recrutement des étudiants et des professeurs, cosmopolites dès le début, ou la circulation des professeurs toulousains en France et hors des frontières hexagonales – ainsi des nombreux humanistes de la Renaissance ou, plus proche de nous, Henri Guy qui, dans les années 1920, part enseigner la littérature française à Harvard –, sans compter leur participation aux débats de leur époque. C’est tout le sujet de l’insertion de l’université dans le monde et d’un marché international de la formation et de la recherche qui est très tôt posé.

Signalons enfin l’importante question pédagogique, qui n’a cessé d’être évoquée depuis le Moyen Âge : transition vers l’enseignement « supérieur », nature des exercices proposés, équipements, organisation des cursus, certification, insertion professionnelle, offre de formation, etc.

Cette présentation s’en tient à quelques fils directeurs. Le futur lecteur comprendra que les questions sont souvent imbriquées, ce qui fait d’ailleurs la richesse de cette très longue histoire.

 

Couverture Histoire université moyen age
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Une histoire globale

L’ambition de ce livre est d’abord de couvrir l’histoire universitaire toulousaine dans toutes ses déclinaisons. Cela comprend les grandes écoles, pour beaucoup créations universitaires, ou certains établissements aujourd’hui qualifiés de « privés », mais historiquement fondamentaux, comme l’institut catholique de Toulouse. Le principe d’une approche globale a donc été choisi, et non celui d’un traitement fragmenté par établissement. La même ambition a prévalu pour le spectre géographique de l’université dite « de Toulouse », dont la dimension régionale a été prise en compte puisque des institutions extérieures lui sont plus ou moins rattachées, comme les établissements cadurciens ou la faculté de Montauban. L’époque récente a préféré parler d’université de Toulouse Midi-Pyrénées, incluant, entre autres, Albi, Tarbes, Rodez ou Castres. Considérer l’espace impliquait aussi de se soucier de son rayonnement national et international. Sans occulter ni les grandes césures ni les grandes figures, il s’agissait encore de faire une place à la polyphonie d’une institution aux multiples formes en abordant l’ensemble de ses acteurs, des « vedettes de la science » aux acteurs ordinaires que sont nombre d’enseignants, d’étudiants et de personnels administratifs et techniques, en révélant le quotidien, les fondations, les pollinisations discrètes ou les stratégies de contournement, fussent-ils peu visibles ou moins glorieux.

 

Couverture Histoire université Contemporaine
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Les auteurs

Les ambitions d’histoire globale du projet nécessitaient des regards croisés. Aux côtés des historiens médiévistes (Jacques Verger et Patrice Foissac), modernistes (Patrick Ferté), contemporanéistes (Caroline Barrera, Jacques Cantier, Isabelle Lacoue-Labarthe, Jérôme Lamy, Rémy Pech, Gérard Périé), on trouve donc des historiens du droit (Olivier Devaux), de l’art (Nicolas Meynen), du sport (Fabrice Auger), de la médecine (Jean-Yves Bousigue). On compte aussi des juristes (Delphine Espagno et Laurent Grosclaude), des sociologues (Michel Grossetti et Christophe Jalaudin), un théologien (André Gounelle), un économiste (Alain Alcouffe) et une spécialiste du patrimoine universitaire (Anne-Claire Jolivet).

 

 

 

Armanac
Le cardinal Georges d’Armagnac, initiateur du financement public de l’université, de Toulouse en 1564-1565, crayon noir et crayon de sanguine, XVIe siècle, Musée Paul Dupuy, inv. 57-44.163© Daniel Molinier

Un contexte favorable

Si ce livre ne s’inscrit pas, comme c’est l’habitude, dans un anniversaire ou une commémoration, il correspond cependant à un contexte particulier. La structuration de l’université fédérale de Toulouse, le développement du Quai des savoirs, la rénovation des locaux historiques de la faculté des sciences aux allées Jules-Guesde et la reconstruction ou le développement de campus se sont ajoutés à une attention accrue du monde académique envers son patrimoine, ses archives ou ses collections.

Le passé est désormais régulièrement convoqué dans des stratégies de valorisation et de communication des institutions contemporaines. Ces usages publics de l’histoire universitaire doivent pouvoir s’appuyer sur des recherches scientifiques. 

En quelques années, les initiatives autour de l’histoire et du patrimoine de l’université de Toulouse se sont donc multipliées, qu’il s’agisse de missions (Mission PATSTEC autour du patrimoine scientifique et technique contemporain), de programmes de recherche (PASTEL : processus de patrimonialisation universitaire), de numérisation (Tolosana) et de mise en ligne de données (Pool Corpus), de blogs (Universitas, Estampilles et Pontuseaux…) et bien sûr de publications. C’est dans cette dernière catégorie que s’inscrit l’Histoire de l’université de Toulouse.