Immersion scientifique dans l’océan Austral : un photographe sur la banquise

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Terre・Espace

Immersion scientifique dans l’océan Austral : un photographe sur la banquise

Iceberg
© Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier

En pleine houle des 40e Rugissants et des 50e Hurlants, le navire L’Astrolabe rejoint l’Antarctique. Les deux chargés de mission du programme SURVOSTRAL mesurent toutes les deux heures, différents paramètres physiques de l’océan Austral quel que soit le tangage et le roulis à bord. Voyage en terre hostile mais néanmoins fascinante.

Photographies de Sébastien Chastanet de l'Observatoire Midi-Pyrénées, Université Toulouse III - Paul Sabatier. Reportage réalisé entre le port d’Hobart en Tasmanie et la station Dumont d’Urville en Terre Adélie, en novembre 2018. Les citations sont extraites du carnet de voyages écrits par Sébastien Chastanet pendant la mission.

Depuis 1992, le navire brise-glace L’Astrolabe embarque à son bord des scientifiques français, américains et australiens qui analysent 8 à 10 fois par an différents paramètres physiques de la couche superficielle de l’océan Austral :  notamment la salinité de surface, la variation de température sur les premiers 800m de profondeur, et plus largement l’étude du courant circumpolaire antarctique - nommé aussi Grand dérive d’Ouest. Grâce au programme SURVOSTRAL, pour SURVeillance de l'Océan AuSTRAL, les océanographes profitent donc de près de 30 ans de relevés réguliers dans cette région clé pour comprendre les changements océaniques et climatiques de notre planète.

À chaque rotation du navire ravitailleur entre la Tasmanie et la Terre Adélie en période de dégel, un binôme se relaie toutes les deux heures pour effectuer les mesures. Dans ce reportage, la tâche délicate et tenace revient à Sébastien Chastanet, de l’Observatoire Midi-Pyrénées et à Simon Pahor. La traversée dure 7 jours, impossible d’assumer ses responsabilités sans une aide médicale : le patch antiémétique évite un mal de mer paralysant. Leur mission : lancer du pont du bateau une sonde de mesures dites XBT pour eXpendable Bathy Thermograph, avec un  thermomètre intégré qui plonge jusqu’au 800 m, récupérer les données par voie satellitaire sur leur PC embarqué et s’assurer qu’elles soient transmises sur le réseau mondial du SMT (Système mondial de transmission). En plus, il faut surveiller un instrument dans la cale, un thermosalinographe, qui mesure la température et la salinité de surface toutes les cinq secondes en continu, et faire les prélèvements d’eau chaque jour pour calibrer ces mesures.

Entre chaque mesure XBT, la lumière du ciel, de la mer et de la glace en ces latitudes extrêmes, leur fait oublier même la nécessité de dormir. À l’approche de la banquise, l’accueil des manchots empereurs efface les galères maritimes.

« Couvrir une mission, c’est beaucoup d’heures de travail, nuit et jour, le week-end, etc. Chacune a son rythme et ses contraintes, mais aussi ses découvertes et ses moments extraordinaires »

se rappelle Sébastien Chastanet.

 

Participent au programme SURVOSTRAL : l'Institut polaire Paul-Emile Victor, le Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS), le Commonwealth Scientific and Industrial Research Organisation (CSIRO) et la Scripps Institution of Oceanography.  SURVOSTRAL est actuellement intégré à CLIVAR, une composante du Programme mondial de recherche sur le climat et la valorisation scientifique est financée par le TOSCA, pour Terre Solide, Océan, Surfaces Continentales et Atmosphère.

 

l'astrolabe
Départ du port d’Hobart en Tasmanie. L’Astrolabe, deuxième du nom, est un patrouilleur et navire logistique polaire (Terres australes et antarctiques françaises - TAAF, l’Institut polaire français Émile Victor – IPEV, et la Marine nationale) © Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier.

« L’ambiance à bord est plutôt sympa, les marins sont très abordables, répondent à toutes nos questions. Les profils des passagers sont très différents, des scientifiques qui viennent passer quelques mois en Terre Adélie, du personnel technique, cuisiniers, chaudronniers des habitués qui nous distillent les nombreuses anecdotes de leurs différents hivernages »

astrolabe pont
Lancé périlleux de la sonde avec des creux pouvant atteindre huit mètres de hauteur © Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier

« L’Astrolabe est un bateau conçu pour monter sur la glace et la briser avec son poids, autrement dit il est à fond plat et n’a pas de quille. En résumé, c’est un bouchon de liège secoué dans une bassine d’eau. »

 

lancer sonde analyse
En haut : lancé de la sonde par beau temps. En bas à gauche : les échantillons d’eau collectés pour étalonner le thermosalinographe. En bas à droite : le carnet de bord à fournir avec les conditions atmosphériques et l'état de la glace, au moment des tirs de sondes XBTs. © Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier

 

Brise glace astrolabe
L’Astrolabe heurte des plaques de glace dans un bruit infernal, le navire retrouve sa stabilité. © Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier

 

glace antarctique
Il est temps de se frayer un chemin, de trouver une polynie, une sorte de bras de mer de fines couches de glaces qui mènerait directement à la base Dumont D’urville. © Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier
 
glissade glace
© Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier

 

« Cerise sur le cake, ces endroits dégagés sont justement les meilleurs pour y voir des animaux : baleines, orques, manchots, etc. Évidemment, quand une baleine montre son dos, je suis soit en train de changer d’objectif, soit en train de planer ou regarder ailleurs. La lumière est belle. C’est brumeux mais on sent que le soleil pousse derrière et rend une atmosphère très particulière »

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© Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier

 

« Les premiers icebergs sont proches, du moins c’est ce que je croyais mais ils sont tellement gros qu’on les voit de très loin. Une fois proche, c’est un choc. On a tous vu des icebergs à la TV, sur le net. En vrai, c’est évidement autre chose, au-delà de la taille, il y a la forme, façonnée par le temps, le vent, il y a sa densité, sa couleur. Chaque iceberg a son histoire, sa personnalité. Un iceberg représente la force autant que la fragilité. C’est aussi impressionnant qu’émouvant. Nous passons la fin de journée à naviguer au milieu d’icebergs aussi beaux et différents les uns que les autres, un moment inoubliable. »

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Au bord de l’eau, un groupe de manchots Empereurs semblent attendre le bateau. © Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier.

 

astrolabe accoste
© Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier.

« Rapidement nous apercevons la base, perchée sur un ensemble rocheux, un havre pour les oiseaux et manchots variés. Des algeco éparses, des containers, des déneigeuses. Dumont d’Urville ce n’est pas Las Vegas, par contre, quelle vue, et surtout quel accueil !Des centaines de manchots Adélie sont là, au milieu des bâtiments. Ils font partie intégrante de la vie de la base. »

 

 

 

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© Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier.

« Autour de la base des collines, au loin, la manchôtière des manchots empereur, bébés empereur, gris et duveteux sont tous massés là.  C’est simple, le bébé manchot a un grand pouvoir de séduction, c’est une incroyable peluche qui ferait craquer n’importe qui. Les ornithologues m’expliquent qu’il passe son temps à réclamer à manger, une obsession chez lui. Ça « piaille » dans la manchotière. On ne s’approche pas trop, les manchots avec leurs petits sont un peu plus inquiets : quand ils agitent les « bras » c’est un signe de stress chez eux et il faut reculer. Encore une fois, j’ai le sentiment génial d’être en plein milieu d’un reportage animalier. J’apprends d’ailleurs que le film « la marche des empereurs » a précisément été tourné ici même. »

 

coline manchot
© Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier.

« Entre le bateau et notre bâtiment d’habitation, on se rendra compte que la base est hébergée par des colonies de manchots et non l’inverse. Il y en a partout, derrière chaque pierre, sous toute les passerelles, sur chaque colline, ça grouille de partout, il y a un mouvement perpétuel, un bruit continu »

manchots
© Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier.

« A peine le bateau échoué, des silhouettes à courtes pattes arrivent en… courant. Des manchots, incroyables animaux, aussi sympathiques que curieux. Ils arrivent à trois et se collent à l’avant du bateau. Faut dire qu’un truc rouge qui vient taper la plage, ce n’est pas commun pour eux. Ça l’est pas pour moi non plus, ils sont à moins de 10 mètres, et je remplis une carte mémoire en moins de 15 minutes. Je suis émerveillé par ces manchots, au soleil ils sont magnifiques, leur candeur est touchante, leur démarche un vrai bonheur. »

danse manchot
© Sébastien Chastanet, OMP, Université Toulouse III - Paul Sabatier.