Rêves et sommeil paradoxal : le règne de l’irrationnel

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Vivant・Santé

Rêves et sommeil paradoxal : le règne de l’irrationnel

neuroscience
© Nichd Nih, by Flikr

Qui n’a pas fait des rêves farfelus voire psychédéliques après avoir éteint son réveil et s’être rendormi lourdement entre 6h et 7h du matin ? Plongeons au cœur du sommeil paradoxal avec Lionel Dahan, neuroscientifique toulousain pour comprendre cette phase de sommeil particulière. Celle qui héberge nos rêves les plus fous !

Par Yann Beuillé, Elsa Témoin Fabien et Aurélie Lopez. Publication de la série LA PAUSE ÉTUDIANTE, rédigée dans le cadre de l’atelier d’écriture du Master Culture et communication, parcours Médiations scientifiques, techniques et patrimoniales de l’Université Toulouse – Jean Jaurès, avec l’accompagnement pédagogique de Déborah Gay, docteure en sciences de l’information et de la communication.

Le sommeil paradoxal, défini en France dans les années 60 par le neuroscientifique Michel Jouvet est une découverte majeure pour les neurosciences. Pendant le sommeil paradoxal, l’individu dort profondément et ne peut presque pas bouger (atonie musculaire). Toute la moelle épinière qui commande les mouvements est court-circuitée. Seuls ses extrémités et ses yeux restent très actifs tout comme son cerveau qui est « à fond la caisse » rajoute Lionel Dahan, enseignant-chercheur en neurosciences à l’Université Toulouse III - Paul Sabatier, spécialiste en électrophysiologie au Centre de recherches en congnition animale (CRCA).

Cette phase du sommeil, qui allie paralysie du corps et agitation cérébrale, serait à l’origine de certains de nos rêves. Lionel Dahan a usé de ses connaissances aiguisées pour nous expliquer cette phase du sommeil qui reste très mystérieuse.

Loin d’être un état stable, le sommeil varie d’un individu à l’autre et se compose de différentes phases. C’est ce que nous explique Lionel Dahan qui nous a rejoints dans le quartier de la basilique Saint-Sernin. À peine assis et sans prendre le temps de commander un café, il explique avec entrain les secrets du sommeil. Il distingue celui à ondes lentes et le paradoxal. Pendant ce premier état, les ondes liées à l’activité neuronale sont lentes mais également simultanées. Au contraire, pendant le second état aussi appelé sommeil à mouvements rapides des yeux, le rythme des ondes est plus soutenu (huit fois plus rapide). Les zones convoquées par notre cerveau sont alors les mêmes que pendant l’éveil attentif : c’est à dire le moment où l’individu est réveillé et prêt à apprendre et découvrir.

Les créations irrationnelles du sommeil paradoxal

Le sommeil paradoxal est souvent associé au moment du sommeil pendant lequel l’individu rêve. La réalité est beaucoup plus complexe puisqu’il semblerait que l’individu rêve aussi pendant son sommeil lent. Le chercheur, qui n’a toujours pas eu le temps de commander son café, nous raconte que si on réveille quelqu’un pendant un sommeil lent, celui-ci décrit des rêves en noir et blanc, calmes et ressemblant à des instants de la journée passée. Au contraire, si on réveille quelqu’un en sommeil paradoxal, il décrit des rêves colorés et décousus. « C’est un peu Dalí » plaisante le chercheur.

Sa thèse soutenue en 2005 à Lyon sur les neurones dopaminergiques chez les souris l’a mené à s’intéresser au sommeil paradoxal. Ces neurones produisent la dopamine : un neurotransmetteur à l’origine de la mémoire, du plaisir, de la motivation et de l’attention. Chez les souris, ces neurones sont très actifs pendant le sommeil paradoxal tout comme les parties encéphaliques en charge des émotions. Au contraire, « les zones liées à la logique sont complètement éteintes ». De sorte qu’une théorie raconte que les rêves dont nous nous souvenons ne viennent pas de cette phase. Ils apparaitraient au moment du réveil. Les zones rationnelles, alors animées, viendraient remettre de la logique et du sens aux créations chimériques de notre sommeil paradoxal. Nos rêves ne seraient donc qu’une production rationnelle de l’instant de notre réveil.

L’hermétisme du cerveau humain

Lionel Dahan reste conscient que la plupart des recherches concernant les rêves chez l’être humain restent des théories et des hypothèses car il est très difficile d’accéder directement à son cerveau. La majorité des tests se fait sur les souris pour des raisons éthiques et pratiques. Le sommeil chez ces rongeurs est étudié par le biais de microélectrodes. Le chercheur mime l’introduction des microélectrodes (des pipettes de verre) dans le crâne des souris. Ces manipulations permettent de se rapprocher au plus près des neurones pour observer leur activité.

Devant notre grimace générale, il nous rassure « les souris sont sous anesthésie » ou alors mises en condition de détente extrême pour ne pas souffrir et ne pas bouger : « Si les souris souffraient, elles ne pourraient pas dormir », ajoute-t-il. Ces études ont permis de créer des véritables cartographies du cerveau des souris pendant leur sommeil.

Les tests sur les êtres humains sont plus complexes. « Bien-sûr on ne peut pas enfoncer une aiguille dans le crâne d’un homme », « pas en France en tout cas » complète à demi-voix Lionel Dahan. Pour regarder l’activité cérébrale humaine, on utilise l’électroencéphalographie bien que la précision soit moyenne. On ne peut regarder l’activité que d’un ensemble de neurones qui agissent en même temps. « C’est comme en manif, vous n’entendez que le slogan scandé par plusieurs personnes et non les discussions individuelles ». Il n’est pas encore possible de comprendre l’activité d’un seul neurone et donc d’avoir des données précises sur le sommeil chez l’être humain. On sait aujourd’hui que certains êtres humains se retrouvent privés du sommeil paradoxal tels que les  personnes sous antidépresseurs, atteintes d’Alzheimer ou très âgées. Les nouveaux nés profitent, eux, d’un cycle essentiellement composé de cette phase. Les recherches avancent donc en matière de sommeil paradoxal mais il semblerait que le rêve s’évertue à rester un mystère.

 

CRCA : Centre de recherche sur la cognition animal (CNRS / Université Toulouse III - Paul Sabatier)