Swings #3 : Sources hydrothermales, à la découverte des geysers des mers
Dans les abysses océaniques, un phénomène spectaculaire se produit : les sources hydrothermales. Riches en nutriments et éléments chimiques, ces formations géologiques, comparables à des geysers, sont essentielles à la vie des écosystèmes profonds. Difficilement détectables, plusieurs instruments sont nécessaires pour les repérer et les analyser. SWINGS est équipé pour explorer les profondeurs encore inconnues.
Par Victoria Lascaux, de l'équipe Exploreur. Publication réalisée avec l'aide de Valérie Chavagnac, chercheuse CNRS au laboratoire Géosciences Environnement Toulouse.
L’existence des sources hydrothermales a été mise en évidence dans les années 70 dans l’océan Pacifique. Les scientifiques y découvrent des « geysers » de couleur noire composés de nombreux éléments chimiques dissous et de particules polymétalliques. Une découverte exceptionnelle mais incomprise à l’époque. Désormais grâce au progrès technologique et scientifique et aux nombreuses missions océanographiques, les données dénombrent environ une source tous les 100 km et leur formation est de mieux en mieux comprise. Elles se développent par infiltration d’eau de mer dans la roche des fonds marins avec laquelle elle interagit.
En effet, le fond marin est formé d’une croûte océanique. Cette croûte « cabossée », s’apparente à une sorte de chaîne de montagne, décrite grâce à la topographie marine. Le relief y est très accidenté, avec des endroits très profonds - le point le plus profond en mer est la fosse des Mariannes (Océan Pacifique) qui atteint les 11 000 mètres. Dès que l’eau s’infiltre et percole le long des failles de la croute océanique, elle se réchauffe, se modifie et s’enrichit en éléments chimiques au contact de la chambre magmatique en profondeur avant de ressortir dans l’océan sous forme de geysers. Ces sources hydrothermales sont des fluides très chauds entre 250° C et 400° C.
Un autre mécanisme favorise la formation des sources hydrothermales quand cette fois les fonds marins sont sous forme de « plaine abyssale ». Dans ce cas, l’eau de mer percole dans les sédiments marins recouvrant la croûte océanique. Sous la surface, ce processus entraine aussi la formation de sources hydrothermales de basse température inférieure à 20°C à des profondeurs plus ou moins importantes.
L’équipe scientifique Swings part vers l’inconnu, aussi bien sur le type de sources hydrothermales qui seront présentes sur leur trajectoire : de température très élevée, ou de température modérée ? … que sur la détection même des sources. Surprise !
La température monte… une chance pour les écosystèmes
Autre que leur surprenante formation, les sources hydrothermales participent au développement d'écosystèmes profonds (crabes, crevettes, moules, microorganismes…) vivant dans le noir des fonds abyssaux. Ces « geysers » contribuent à extraire la chaleur interne de la croute océanique. Dès que l’eau de mer se réchauffe grâce au magma, le « geyser » interagit avec la roche. Les éléments chimiques qui constituent la roche sont alors extraits de celle-ci et inversement, certains éléments présents dans l’eau sont stockés par la roche. Cette interaction bilatérale permet au fluide de s’enrichir en métaux et en gaz (dioxyde de carbone, méthane, hydrogène, azote, sulfure d’hydrogène). Ce fluide est jusqu’à un million de fois plus enrichi que l’eau de mer. Tous ces éléments sont donc une source de vie pour les écosystèmes qui n’ont pas accès à la lumière et donc à la photosynthèse. Certes, ils ont adapté leur métabolisme afin d’utiliser tous les éléments qui sont sous forme réduite comme le fer ou le soufre ; mais comme nous, pour pouvoir vivre, ils ont besoin de carbone, d’oxygène. Leur développement est donc différent de celui des organismes présents à la surface de la Terre.
À la chasse aux sources hydrothermales
Depuis plus de 50 ans, les scientifiques explorent ces sources hydrothermales, et comprennent de mieux en mieux leurs activités. Cependant, des inconnues persistent comme leurs zones de prédilection et leur durée de vie évaluée autour du millier à la dizaine de milliers d’années… hallucinant !
Avant le départ, l’équipe scientifique de la campagne SWINGS pense que la zone de la dorsale sud-ouest indienne très peu étudiée à ce jour, pourrait aussi présenter des sources hydrothermales en profondeur, dont il faudra détecter leur présence. Dès l’approche de l’axe de la dorsale océanique Sud-Ouest Indienne, la première étape est d’effectuer un relevé bathymétrique de la zone identifiée avec un sondeur multi-faisceaux. Avant de prélever et analyser tous ces éléments, il faut réussir à repérer ces sources hydrothermales.
Cet instrument est sur le bateau et non dans l’eau, il « scanne » l’océan en profondeur avec des ondes acoustiques afin d’obtenir une carte topographique du fond marin mais aussi de détecter des anomalies acoustiques dans la colonne d’eau telles que celles générées par les sources hydrothermales. Après cette première étape, la bathysonde entre en jeu. Accrochée au centre d’une rosette, elle descend dans la colonne d’eau, et donne en direct des indications via un écran présent sur le bateau. Elle permet de détecter des anomalies dans la colonne d’eau affectant par exemple la température ou la salinité.
Les fluides expulsés par un « geyser » sont plus chauds, moins salés que l’eau de mer mais extrêmement enrichis en éléments chimiques. C’est aussi une zone contenant des particules polymétalliques qui crée elle aussi une des anomalies à percevoir lors de l’analyse, celle de la turbidité. Autres indices traqués : le radium 223 qui peut présenter des activités élevées en présence de sources hydrothermales.Enfin, l’équipe scientifique regarde également l’oxydation de l’eau grâce aux capteurs d’oxydoréduction. Les fluides de haute température sont très réduits alors que l’eau de mer est par contre très oxydante.
Un dernier instrument est déployé, une rosette comprenant des bouteilles de 12L nettoyées soigneusement pour éviter toutes contaminations de surface lors des prélèvements dans l’eau (Voir SWINGS #1 pour en connaitre davantage). Ces bouteilles prélèvent des échantillons d’eau dans lesquels sont recherchés des éléments comme le manganèse et le fer. Ces anomalies complémentaires recensées précisent si le bateau navigue au-dessus de sources hydrothermales.
Toutes ces étapes ont été réalisées au quotidien par quelques scientifiques à bord et par une équipe restée à terre. La trajectoire du bateau et les protocoles de prélèvements sont ajustés en continu en fonction des données récoltées pendant l’expédition. Le suivi de la topographie réalisée grâce au sondeur multifaisceaux nécessite de regarder attentivement l’écran pendant 25 heures sans interruption, et de noter les coordonnées dès qu’une anomalie est présente. Les scientifiques se relaient pour cette tâche particulièrement ardue. Par la suite tous les autres instruments cités précédemment sont mis en place. Une véritable organisation et une disponibilité de tous les instants sont donc obligatoires à terre et à bord !
PORTRAIT
Cédric Boulart : l’explorateur avec les pieds sur terre
Quel est votre rôle dans cette mission ?
Pour cette mission, je reste à terre. Depuis la station biologique de Roscoff, je participe au déploiement des instruments à bord. J’analyse les données des capteurs que je reçois à terre, ce qui me permet de guider les recherches. Par exemple, d’après les résultats, je peux indiquer sur quels sites on doit concentrer les efforts d’échantillonnage. Avec l’appui de l’Ifremer, nous utiliserons aussi une méthode acoustique pour nous aider à découvrir de nouvelles sources hydrothermales.
Qu’est-ce qui vous plaît dans cette aventure ?
C’est l’exploration de zones qu’on ne connaît pratiquement pas. On se pose beaucoup de questions, et ces missions permettent d’aller voir ce qui se passe dans ces milieux inconnus. J’ai déjà participé à beaucoup d’autres missions. Le côté aventure scientifique m’attire particulièrement. Il y a toujours une part d’inconnu et on ne sait jamais à l’avance ce que l’on va découvrir.
Quel est votre parcours scientifique ?
J’ai commencé par des études de chimie marine à l’Université de Brest. Puis, j’ai fait ma thèse de doctorat à Southampton sur le méthane présent dans les panaches hydrothermaux. Par la suite, après un passage par Toulouse, l’Allemagne et l’Ifremer à Brest, j’ai été recruté par le CNRS à la station biologique de Roscoff. Là, j’ai étendu mes recherches aux anomalies de méthane dans l’océan et en particulier à leur lien avec la production de phytoplancton.
Quelle est votre plus grande fierté scientifique ?
Avoir participé à des missions durant lesquelles de nouveaux sites hydrothermaux ont été découverts. Par exemple, au large de la Papouasie Nouvelle Guinée, et sur la dorsale sud-est indienne.
JOURNAL DE BORD
28 janvier : Depuis hier, les scientifiques sont à la recherche de sources hydrothermales. Plusieurs scientifiques scrutent attentivement deux écrans. Le premier est pour la bathymétrie, et l’autre pour repérer des « bulles » dans la colonne d’eau, signe de sources hydrothermales. Le même travail est également réalisé à terre, auprès de scientifiques qui ont le même emploi du temps. Une coordination des informations est de mise.
Entre capture d’écran, yeux rouges, fausse joie, le temps commence à être long. Après 14h de regard intensif sur l’écran d’ordinateur, aucun signe clair d’hydrothermalisme évident.
Une réunion avec le commandant s’impose. Une décision est prise, en vue des conditions météos défavorables, la station prévue le lendemain est désormais prévue aujourd’hui. Tout l’équipage s’affole et se prépare à déployer les rosettes standards, propres équipées de bathysondes et les pompes ! Cette station renommée « Stop tout » aura duré dix longues heures. Ce travail aura peut-être porté ses fruits, des activités en radium 223 particulièrement élevées ont été mesurées sur le filtre de pompe déployée près du fond ce qui est un signe probable d’activité hydrothermale. Il faudra être patient, et attendre encore quelques mois pour voir si ce signe hydrothermal se retrouve dans d’autres échantillons.
Prochaine étape : les Îles Marion et Prince Edward ! À suivre…