Au temps du Brexit et de Trump, la diversité culturelle sous conditions ?
Les questions d’immigration ont joué un rôle significatif lors du référendum sur le Brexit ou dans l’élection de Donald Trump à la présidence des États-Unis, au travers de la question du mur à la frontière mexicaine notamment. Dans ces sociétés au modèle d’intégration radicalement différent de la France, la diversité culturelle a-t-elle été pour autant remise en question ?
Par Paul Périé, journaliste scientifique.
Chicago a tout récemment élu Lori Lightfoot, une afro-américaine homosexuelle, au poste de maire et les élections de mi-mandat ont fait entrer de nombreuses personnes issues de l’immigration au Congrès américain, dont des femmes voilées, amérindiennes ou la médiatique Alexandria Ocasio-Cortez. Au Royaume-Uni, le maire de Londres Sadiq Khan est issu d’une famille d’origine pakistanaise et l’ancien réfugié somalien Magid Magid a été désigné maire de Sheffield il y a un an. Autant de signes qui font état d’une certaine intégration des minorités et des différentes communautés mais qui ne disent pas tout des politiques et de la perception des diversités culturelles au Royaume-Uni comme aux États-Unis. À travers leurs sujets d’études, Hilary Sanders et Vincent Latour, chercheurs toulousains au laboratoire Cultures anglo-saxonnes, nous permettent de mieux cerner ces questions, tout en ayant toujours un regard sur ce qu’il se passe en France.
Un double effet Trump
Dans sa thèse consacrée aux politiques accueillantes en faveur des migrants aux États-Unis, Hilary Sanders s’est particulièrement intéressée aux villes de Philadelphie et New York, qui se sont proclamées comme « des villes sanctuaires ». Mi-avril, Donald Trump, fermement opposé à ces villes, pour la plupart démocrates, a déclaré sur Twitter : « Sachant que les démocrates sont réticents à changer nos lois très dangereuses sur l’immigration, nous envisageons en effet très sérieusement […] de placer des immigrants illégaux dans des villes sanctuaires. » Des décrets y ont été signés afin de limiter le partage d’information entre les agents municipaux et l’État fédéral, seul compétent en matière d’immigration. Par ailleurs, tout est mis en place pour favoriser l’accès aux services avec notamment des politiques de traduction dans les langues les plus parlées de la ville.
« Cette diversité d’origine a joué dans la façon de justifier et de promouvoir ces politiques accueillantes. Elle est présentée comme une richesse culturelle pour la ville. »
explique Hilary Sanders.
Des politiques en opposition avec la ligne fédérale de Donald Trump qui ne doivent pas masquer la grande hétérogénéité des politiques migratoires aux États-Unis. Dans certains États du Sud, notamment l’Arizona, les gouvernants locaux sont davantage sur une ligne dure. Il est donc relativement difficile de définir de manière globale la position américaine par rapport à la diversité culturelle, les politiques pouvant être très différentes d’un comté à l’autre.
L’enseignante-chercheuse de civilisation américaine souligne que, depuis l’élection de Donald Trump en 2016, davantage de comtés et de villes ont choisi « de se dissocier de la politique fédérale. Il y a plus de rejet que de soutien même si ce n’est pas ce qui va être mis en avant dans les médias. Dans une ville comme New York et dans les endroits cosmopolites et les milieux progressistes, le fait d’avoir Trump donne encore plus envie d’avoir une politique opposée. Dans un certain sens, Trump a aidé ces municipalités à justifier leur approche. Je pense que c’est pour ça que, depuis son arrivée au pouvoir, les régions qui avaient déjà des politiques accueillantes envers les migrants, vont encore plus loin dans la protection ».
Mais aux États-Unis, c’est l’État fédéral qui décide de la politique d’immigration et Donald Trump, s’il n’a encore pas vraiment avancé sur son idée de mur avec le Mexique, a fermé les frontières autrement. Les protocoles d’entrée ont été renforcés et l’accès au séjour est en train d’être restreint pour de nombreuses populations.
Un Brexit révélateur d’une question sous-jacente ?
Au Royaume-Uni, pays où a été menée une politique multiculturaliste à laquelle on a souvent eu tendance à associer un certain communautarisme, le Brexit a davantage eu un rôle désinhibiteur sur l’intolérance vis-à-vis des immigrés ou des populations issues de l’immigration. Des rapports de l’Equality and Human Rights Commission (EHRC) font état de nombreux actes racistes après le référendum. « Mais cette question est centrale au Royaume-Uni depuis plus de 50 ans », nuance tout de même Vincent Latour. En 1951, 0,1 % des Britanniques étaient issus de l’empire colonial. En 1961, ils étaient 1,1 %, entre 2 et 3 % dans les années 1970. Aujourd’hui, entre 16 et 17 % de la population est d’origine non-européenne. À cela s’est ajoutée une forte immigration des pays de l’Europe de l’Est après l’élargissement de l’UE à l’Est en 2004.
« Pour illustrer cette grande hétérogénéité des populations vivant dans le pays, le sociologue Steven Vertovec a même parlé de superdiversité en 2007 »
souligne Vincent Latour.
Dans certains quartiers, on compte trente à quarante nationalités différentes. Pour l’universitaire toulousain, le Royaume-Uni jouit d’une image libérale sur les questions d’immigration, et l’attractivité continue du pays pour les migrants est aussi liée à la gestion multiculturaliste de l’intégration, « les migrants pouvant s’appuyer sur des communautés existantes bien implantées ». Par ailleurs, les populations candidates au séjour au Royaume-Uni ont généralement comme deuxième langue l’anglais, ce qui facilite l’intégration socio-économique.
Un point auquel Hilary Sanders donne également beaucoup d’importance. « Les gens ne se rendent pas toujours compte que ça aide l’intégration d’avoir déjà une communauté qui a la même langue. C’est intéressant de voir les appréhensions d’une population d’accueil. Ils peuvent craindre une communauté où la langue est maintenue mais paradoxalement, c’est une façon de trouver un emploi et un logement plus facilement et finalement de mieux réussir à naviguer parmi les institutions. Mais les gens n’ont pas forcément le même regard selon la langue ou la culture. Si c’est une langue européenne ou exotique, c’est bien vu. Mais si c’est l’arabe en France ou l’espagnol aux États-Unis, ça peut être mal perçu ».
Des politiques d’intégration différentes
Pour bien comprendre la gestion de la diversité culturelle aux États-Unis comme au Royaume-Uni, il faut se pencher sur l’histoire de ses pays et sur leur modèle d’intégration. Très souvent opposé à la vision française d’assimilation, le mode de gestion britannique, construit sur le multiculturalisme, est souvent perçu comme communautariste.
« C’est une question de point de vue, analyse Vincent Latour. En France, la politique d’intégration a été définie en 1991 seulement par le Haut-Commissariat à l’Immigration. Au Royaume-Uni, il n’y a rien de défini. La politique d’intégration a pris forme progressivement, mais d’abord par le biais de la pénalisation des discriminations qui étaient très nombreuses. Jusqu’en 1968, il était légal d’afficher qu’on ne voulait pas de noirs dans un bar. » Parallèlement, en 1966, le ministre de l’Intérieur britannique Roy Jenkins donne ce qui est sans doute la meilleure définition du modèle d’intégration au Royaume-Uni, nettement distinct de l’assimilation à l’américaine et à la française : « C’est la tolérance mutuelle, l’égalité des chances et une certaine tolérance à l’égard de la diversité culturelle dans le cercle public. » Une politique facilitée par la non-séparation de l’église et de l’État au Royaume-Uni, où la reine est à la tête de l’église. En clair, le multiculturalisme n’a jamais été clairement mentionné, sauf qu’on a voulu y mettre fin, comme le souligne Vincent Latour :
« Le mot n’est pas prononcé avant les années 1980, c’est un multiculturalisme de fait. Mais il y a eu un grand virage en 2001 avec une politique beaucoup plus intégrationniste. »
Différentes communautés ont été la cible de discriminations au cours de l’histoire britannique (population caribéenne, puis musulmane, puis d’Europe de l’Est) mais Vincent Latour estime que la diversité culturelle est quand même globalement bien acceptée au Royaume-Uni. Les nombreux festivals qui célèbrent les différentes communautés en sont un bon exemple. Lors des Jeux Olympiques de Londres, le pays a largement communiqué sur la victoire du multiculturalisme pour féliciter les médaillés.
Aux États-Unis, « où l’anglais n’est pas défini comme la langue officielle, la perception de la diversité culturelle est différente. En France, on attend de l’immigré qu’il adopte les coutumes et la langue plus vite. C’est assez général envers toutes les populations. On veut une intégration plus visible et plus immédiate. »
estime Hilary Sanders.
Le modèle américain est davantage lié à des valeurs partagées, et la culture et la langue d’origine sont mieux acceptées. Enfin, deux points importants distinguent ces deux pays de la France. En premier lieu, l’absence de carte d’identité, ce qui permet à des immigrés en situation irrégulière d’espérer pouvoir s’intégrer plus facilement sur le marché du travail, en échappant aux contrôles. Par ailleurs, héritage de l’esclavage, les États-Unis utilisent des statistiques ethniques depuis toujours. Une politique, inenvisageable en France, que le Royaume-Uni a également mise en place progressivement à partir des années 1980. Ce choix s’appuie sur l’idée selon laquelle on ne peut résoudre la discrimination et accompagner l’intégration quantifiant bien la diversité, ainsi que les discriminations et les inégalités subies.