[The conversation] Portrait-robot de la pollution de l’air à Abidjan
Véritable poumon économique de la Côte d’Ivoire, Abidjan attire une population de plus en plus nombreuse qui devrait atteindre les 8 millions en 2030, le pays comptant actuellement près de 26 millions d’habitants. Comme toutes les grandes métropoles, Abidjan souffre de la pollution de l’air, ce tueur qualifié de « silencieux » par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et qui est responsable de plus de 7 millions de décès chaque année à l’échelle mondiale. Parmi les polluants responsables de cette hécatombe, les particules fines font figure de suspect numéro 1.
Par Jean-François Léon, enseignant-chercheur en sciences atmosphériques à l'Université de Toulouse III - Paul Sabatier. Olivier Blond président de l'Association Respire a contribué à l’élaboration de cet article.
Les récentes campagnes de mesures de la qualité de l’air révèlent que le niveau de particules fines dans la métropole ivoirienne serait d’un facteur 3 supérieur aux recommandations de l’OMS. Les études épidémiologiques s’accordent sur les ravages provoqués sur la population par l’inhalation de ces particules, en particulier sur les enfants, même si cet impact était encore largement sous-estimé en Afrique. Or ces émissions de particules vont connaître une véritable explosion sur le continent africain et représenter jusqu’à 50 % des émissions globales pour certains polluants à l’horizon 2030.
Woro-woro, G’baka et SUV
À l’instar des grandes villes d’Afrique l’Ouest, Abidjan a des spécificités en matière de sources de particules aérosol. Sporadiquement, des épisodes de pollution aux particules peuvent avoir une origine naturelle, en relation avec les épisodes de vent d’Harmattan venant du nord et transportant des poussières minérales.
Néanmoins, le trafic automobile figure de façon attendue parmi les premiers émetteurs de polluants. Ce dernier est saturé dans toute la métropole. Woro-woro hors d’âge et G’baka surchargés y côtoient les derniers SUV à mode. Dans le quartier populaire de Yopougon, l’immense majorité des véhicules roulent au diesel et les les deux tiers des véhicules ont plus de 10 ans d’âge.
Malgré le récent décret pris pour interdire l’importation des véhicules de plus de cinq ans (les fameux « France au revoir »), le parc roulant reste vétuste et polluant. Or, plus les véhicules sont anciens, plus leur taux d’émission de particules est important. Les récentes mesures effectuées à Abidjan sur ces véhicules usagés montrent des facteurs d’émission pour les particules carbonées ponctuellement 100 fois supérieures aux véhicules les plus récents. Le même constat est fait pour les émissions de composés organiques volatils. La réévaluation des émissions de ces composés suggère que ces émissions ont été jusqu’à présent sous-évaluées d’un facteur 50 à 100.
Une métropole « enfumée »
À la vétusté du parc roulant et l’engorgement systématique des voies de circulation, s’ajoutent d’autres sources d’émissions de polluants atmosphériques bien caractéristiques de la ville africaine. L’une des particularités est l’utilisation du fumage traditionnel pour la conservation du poisson et de la viande. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), environ 2/3 de la pêche réalisée est conservée grâce à cette méthode. Le fumage est effectué par les femmes dans des bidons métalliques alimentés en bois (hévéa) au sein même des quartiers d’habitations. On y grille également l’arachide.
En plus de contribuer à la dégradation de la qualité de l’air, cette technique est dangereuse pour les travailleuses. Les récentes mesures sur les HAP (hydrocarbure polycyclique aromatique) montrent que les seuils sanitaires admis sont dépassés d’un facteur 10. De manière générale, l’usage de poêle à foyer ouvert est une source intense de pollution dans les pays en développement, touchant particulièrement les femmes et les jeunes enfants. Les changements de pratiques et l’accès à des sources d’énergie moins polluantes devraient permettre de réduire ce type d’émission.
Les projets d’amélioration des infrastructures routières ou de limitation des sources intenses de pollution atmosphérique, comme le brûlage des déchets à l’air libre, vont également dans le sens d’une meilleure qualité de l’air. Mais faute d’un réseau opérationnel de surveillance de la qualité de l’air, l’évaluation de ce changement reste encore difficile. De plus, la contribution des émissions naturelles, comme celle des poussières sahariennes, est encore largement méconnue.
Les scientifiques ont donc besoin aujourd’hui de davantage d’observations concernant les concentrations de polluants, leur nature chimique et leur toxicité afin d’anticiper l’explosion de l’impact sanitaire de la pollution atmosphérique en Afrique.
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Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.