Demain des robots philosophes ?

Partagez l'article

Maths・Ingénierie

Demain des robots philosophes ?

exploreur podcast robot philosophe

Les robots artificiellement intelligents feront-ils un jour pleinement partis de notre quotidien ? Seront-ils nos agents de service de demain ? Regards croisés entre le roboticien Rachid Alami et le philosophe, Thierry Ménissier pour mesurer les enjeux de ces évolutions. Un entretien à découvrir dans Investiga’Sciences.

Par Valérie Ravinet, journaliste. Podcast enregistré le 2 octobre 2020 à Toulouse.

Morceaux choisis

La définition du robot : la même en philosophie et en robotique ?

Rachid Alami : « Le robot est une machine physique capable de réaliser des tâches qui lui sont décrites et définies de manière abstraite ; elle déroule des capacités d’interprétation, de prédiction et de raisonnement sur la tâche pour la mener à bien »

Thierry Ménissier : « Pour compléter cette définition à laquelle je souscris, j’ajoute qu’il convient de tenir compte de la dimension de l’artifice, de la fonctionnalité, du calcul et de l’interaction avec l’environnement »

Réflexions sémantiques

TM : « Le mot robot est hérité d’une projection imaginaire et fantasmatique que l’on cherche à combattre. Il a été inventé par Josef, frère de l’auteur tchèque Karel Capek pour une pièce écrite en 1920 à partir du mot Robota, qui signifie corvée, travail asservi, esclave. La créature de synthèse est perçue comme un serviteur de l’humain… et l’histoire se passe mal. Il faudrait sortir de ce terme pour le remplacer par « être artificiel », ou « objet technique ».

RA : « Le terme robotique est discutable, comme beaucoup d’autres termes en informatique et en intelligence artificielle (IA). Je préfère garder ces mots et chercher à en partager la même définition plutôt que les changer ».

La tâche conjointe homme-machine

TM : « En portant le regard sur la technologie, on s’aperçoit que l’objet remplit des fonctions et que la relation entre humain et machine est profonde, et cela depuis très longtemps. L’influence de l’IA dans nos sociétés de plus en plus automatisées se situe dans le prolongement de la relation ambigüe entre les humains et leurs outils et nous fait franchir un cap d’intensité ».

RA : « La relation entre l’homme et la machine est étudiée de bien des manières ; mon travail se circonscrit à l’étude d’une tâche spécifique réalisée entre un robot donné et un humain donné. Il couvre et analyse toute la subtilité d’une réalisation commune d’une tâche. Cela demande déjà une grande intelligence de la machine ! ».

Le rôle du programmeur

RA : « La responsabilité du programmeur est très grande ! Il n’est plus uniquement centré sur l’efficacité de la réalisation de la tâche, mais sur la prise en compte de la manière dont elle est réalisée : naturelle, prédictible par l’humain. Le programmeur doit donc absolument prendre en compte l’humain, pour ne pas le rendre prisonnier de l’interaction que ce dernier développe avec la machine ».

TM : « Cette responsabilité est grande et complexe et il importe de la reconnaitre. Aussi simples soient-ils, les effets des interactions entre l’homme et la machine sont de tous les ordres : sociaux, sociétaux, éthiques, philosophiques… derrière chaque calcul il y a une manière de déployer le réel et de l’instituer ».

Le robot sous contrôle de l’humain

RA : « Le robot restera sous maitrise humaine tant que l’homme décidera de le maitriser ».

TM : « La question du remplacement de l’homme par la machine est très angoissante. L’innovation joue un rôle cardinal dans la transformation de la société. L’éthique vise à penser le sens de ce que l’on fait, avec l’ensemble des disciplines scientifiques, humaines et sociales impliquées. C’est la finalité de l’action humaine qui est en jeu. »

La relation affective entre homme et robot

TM : « Cette relation avec les outils existe depuis longtemps, avec plus ou moins d’intensité selon les objets. Les œuvres de fiction en font largement état, depuis « Un amour de coccinelle » de Robert Stevenson en 1968 au film « Her » de Spike Jonze.  On comprend que l’asymétrie entre les parties prenantes n’empêche pas l’intensité de la relation. Le robot est aujourd’hui capable de détecter et d’intégrer les émotions de l’homme. Les relations que nous entretenons avec nos « chères » machines relèvent parfois d’une ambiguïté incroyable que nous devons interroger ».

RA : « L’attachement de l’humain à la machine qui existe depuis toujours prend de l’ampleur avec la machine parlante, qui raisonne et qui est même capable d’empathie. Il faut analyser cette dimension à sa juste mesure et ne jamais oublier qu’on parle de machines qui n’ont pas de sentiment ! ».

TM : « Notre société est hédoniste, consumériste, mais aussi fortement empathique. On voit naitre un marché de l’émotion dont il faut se méfier ».

Les robots du futur

RA : « Les robots vont travailler côte à côte avec l’homme. A nous, humains, de définir leur place et leur donner la possibilité de nous être utile. Il faut être vigilant face à l’accélération des innovations pour maitriser les conséquences de cette nouvelle donne entre robot et humain ».

TM : « Je fais confiance à l’humain pour être capable de s’approprier ces innovations et leur donner du sens. L’université et la recherche doivent contribuer au développement des connaissances pratiques pour accompagner les évolutions technologiques rapides ».

 

À propos des intervenants

Rachid Alami est chercheur CNRS, roboticien au Laboratoire d'analyse et d'architecture des systèmes, LAAS-CNRS. Sa spécialité : les aptitudes des robots et de l’optimisation de leurs interactions avec l’homme. Il est titulaire de la chaire Robotique cognitive et interactive au sein d’ANITI, l’institut interdisciplinaire d’intelligence artificielle de Toulouse.

Thierry Ménissier est philosophe des innovations technologiques et de l’IA. Ses travaux portent sur l’éthique appliquée à l’innovation technologique et à l’IA. Il est professeur à l’Institut de philosophie de Grenoble, titulaire de la chaire « éthique et IA » au sein de l’institut multidisciplinaire d’intelligence artificielle de Grenoble (MIAI) et responsable pédagogique du Master pilotage de projets et valorisation de l’université.  

 

Écoutez Investiga' Sciences #4

 

À propos d’Investiga’Sciences

investiga sciences

Investiga’Sciences est une série de podcasts scientifiques, dont l’objectif est d’explorer un sujet avec deux experts, dans un débat au long cours. Chaque épisode est dédié à un thème et croise les regards et les expériences pour comprendre ses enjeux, ses défis, ses perspectives. Créé par la journaliste Valérie Ravinet, ce projet est soutenu par ANITI et l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées. Ont contribué à la réalisation de cet épisode :  le dessinateur Ström pour le visuel,  le Studio du Cerisier pour la prise de son et le jingle.