L’intelligence artificielle pour booster les prévisions en tout genre

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Maths・Ingénierie

L’intelligence artificielle pour booster les prévisions en tout genre

ia et previsions
© Noaa, by Unsplash

Quel rapport existe-t-il entre assimilation de données, prévisions météorologiques et intelligence artificielle ? Quels sont les liens entre océanographie, indice de confiance d’une prédiction et apprentissage automatique ? C’est ce que nous expliquent les chercheurs Selime Gürol et Serge Gratton, à l’occasion d’une interview croisée.

Selime Gürol, Serge Gratton, qu’est-ce que l’assimilation de données ?

Serge Gratton : L’assimilation de données est une méthode qui permet de réaliser des prévisions sur des systèmes physiques, biologiques ou mécaniques, en conjuguant mathématiques et observations. Nous mettons ces systèmes en équations dans des algorithmes et y intégrons des connaissances, des mesures, pour prédire des phénomènes sur de grands horizons temporels. Notre travail consiste à améliorer les modèles et à trouver les bons cadres mathématiques pour rendre les prédictions fiables, à court et long terme.

Selime Gürol : Nos sources sont les modèles mathématiques et les mesures prises par des systèmes de capteurs, présents dans des avions, satellites, bouées, stations de mesure météo… Le domaine de l’assimilation de données est riche, pluridisciplinaire, à l’intersection des mathématiques, de la physique et du calcul haute performance, High Performance Computing (HPC). Proposer un algorithme très précis mais qui prendrait trop de temps ne serait pas une solution satisfaisante, c’est pour cela que nous nous appuyons sur le HPC. Le développement de l’algorithme est une première étape qu’il faut ensuite transformer en outil opérationnel sur des situations réelles.

Quels sont les domaines d’applications ?

Serge Gratton : nos techniques sont utilisées dès lors que l’on fait appel à des prédictions. En météorologie, elles concernent les prévisions de températures, de crues, de phénomènes neigeux ou de sécheresse… En océanographie, on s’attache aux prévisions concernant les courants, la salinité, ou encore les températures. Pour le cœur d’une centrale nucléaire, on réalise des prédictions du comportement de son cœur. L’assimilation de données s’appelle orbitographie lorsqu’elle s’applique à l’Espace et pour étudier, par exemple, le suivi des débris. Cette diversité de domaines est une richesse et une source d’inspiration pour ouvrir des perspectives vers d’autres recherches, d’autres applications.

Selime Gürol : comme le dit Serge Gratton, nous ne travaillons pas seulement dans la recherche abstraite, nous proposons des méthodes numériques efficaces. Un même code théorique fonctionne dans différents systèmes et nos exemples académiques sont proches de la réalité. Concrètement, cela signifie que nous pouvons imaginer qu’un code développé pour des prévisions météorologiques soit utilisable pour des prédictions en océanographie.

Comment améliorez-vous la fiabilité des prédictions ?

Serge Gratton : Il faut en effet affiner le sens qu’on donne à « fiabilité » dans nos recherches. Nous travaillons avec des systèmes tellement chaotiques qu’il est compliqué de prédire exactement, par exemple, la température de demain à Toulouse en un endroit donné. Si l’on habite entre deux immeubles sans verdure, la température indiquée pour l’ensemble de la ville est généralement d’un ou deux degrés inférieurs à celle constatée à cet endroit-là. Au lieu de donner une donnée très exacte, nous proposons des indices de confiance, par exemple la probabilité qu’il fasse beau ou qu’il pleuve. Nous conjuguons les mesures et les observations pour proposer des modèles fiables.

Pourquoi l’intelligence artificielle vous intéresse-t-elle ?

Serge Gratton : L’IA est essentiellement centrée sur les données., pour réaliser des projections pour le futur, ou dans des zones inexplorées. Elle pourrait être un outil complémentaire et parfois plus fin pour appréhender des problèmes historiquement résolus grâce à l’assimilation de données. C’est le point de départ de nos travaux actuels au sein de l’Institut interdisciplinaire d’intelligence artificielle de Toulouse, ANITI.

Selime Gürol : Jusqu'à présent, les algorithmes que nous utilisons sont dérivés du filtre de Kalman, qui permettent de prédire, ou du moins d’estimer, l’évolution d’un système à partir de mesures et de la qualité de mesures. Les équations sont linéaires : un petit changement d’un élément du système le modifie légèrement, et un grand changement va le modifier proportionnellement. Or, l’IA permet d’appréhender des champs plus complexes, parce que la structure est composée de plusieurs couches et le passage d’une couche à l’autre, dans les réseaux de neurones artificiels, n’est pas linéaire.

ANITI propose une approche de l’IA hybride. Cette dimension vous intéresse-t-elle ?

Serge Gratton : au sein d’ANITI, l’hybridation revêt plusieurs sens. Celui du mix entre IA symbolique et apprentissage machine, mais aussi l’hybridation entre des techniques prenant en compte la structure d’un système (physique ou biologique, par exemple) avec des approches contemporaines. Dans notre cas, les images apprises ne sont plus des chiens ou des chats, mais des champs physiques. La question est alors : sommes-nous capables d’assurer des prédictions à partir de ces champs physiques ? Hybridation signifie alors prise en compte de contraintes physiques dans des algorithmes. Grâce aux progrès de l’IA et à l’augmentation des puissances de calcul, nous avons l’opportunité de « plonger » nos équations dans l’ écosystème de l’IA et d’obtenir des méthodes de prédictions meilleures que celles traditionnellement proposés avec l’assimilation de données.

Avez-vous démarré des travaux ?

Serge Gratton : Oui. Nous avons engagé des thèses soutenues par Liebherr en partenariat notamment avec Airbus. Nous sommes en lien avec des entreprises comme BRL Ingénierie et Atos, qui cofinancent nos projets de recherche. L’entreprise BRL Ingénierie travaille sur des prédictions de crues et leurs outils actuels ne permettent pas toujours de faire les simulations désirées en temps réel. Lorsqu’un phénomène arrive, la simulation arrive parfois tard. L’enjeu d’accélération des méthodes est ici crucial et permet d’obtenir des résultats à temps, voire d’étudier une diversité de scénarii.

Selime Gürol : nous conduisons également un travail en lien avec Méteo-France et le Centre européen de prévisions météorologiques à moyen terme (CEPMMT), ou le centre JCSDA (Joint Center for Satellite Data Assimilation) situé à Boulder, USA. L’IA va nous aider à trouver de nouveaux paramètres, elle nous permet de revoir notre activité à travers son prisme.

 

Selime Gürol est chercheuse au Cerfacs, membre de l’équipe Algorithmes Parallèles.  Elle s’intéresse notamment aux applications liées aux géosciences avec Météo-France et le Centre européen pour les prévisions météorologiques à moyen terme.

Serge Gratton est professeur de mathématiques appliquées à l’École Nationale Supérieure d'Électrotechnique, d'Électronique, d'Informatique, d'Hydraulique et des Télécommunications (INPT – ENSEEIHT) et chercheur à l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (IRIT) où il dirige l’équipe Algorithmes parallèles et optimisation (APO). Il est titulaire de la chaire Assimilation de données et apprentissage machine de l’Institut interdisciplinaire en intelligence artificielle de Toulouse. Il a réuni dans son équipe des spécialistes de différentes disciplines : Alfredo Buttari, expert en calcul haute performance, Pierre Boudier, spécialiste de machine learning et de la carte graphique (Nvidia), Corentin Lapeyre, spécialiste de machine learning appliquée à la mécanique des fluides (CERFACS), Selime Gürol, experte en assimilation de données du Cerfacs, ainsi que des spécialistes du traitement de l’image et des physiciens. Reconnu internationalement, le chercheur vient de recevoir le prix du meilleur article publié dans la revue Computational Optimization and Application pour l’année 2019.  

 

Cerfacs : Centre européen de recherche et de formation avancée en calcul scientifique – CNRS, Total SA, Safran, EDF, AIRBUS Group, CNES, Météo-France, ONERA.

IRIT : Institut de recherche en informatique de Toulouse - CNRS, Toulouse INP, Université Toulouse 1 Capitole, Université Toulouse - Jean Jaurès, Université Toulouse III - Paul Sabatier.