Des céramiques aux archives, enquête archéologique dans la Toulouse antique
L’histoire de Toulouse conserve encore plusieurs mystères. Pour les percer, certains archéologues doivent chercher en dehors des lieux de fouilles ! Découvrons l’enquête sur l’occupation antique du secteur de Purpan-Ancely menée par Ana Ramos, doctorante à l’Université Toulouse - Jean Jaurès.
Propos recueillis par Clara Teixeira, de l’équipe Exploreur.
Pourquoi ce secteur a attisé votre curiosité de chercheure ?
Ana Ramos : L’Antiquité à Toulouse m’a toujours beaucoup interpelé. Le site de Purpan-Ancely se trouve dans le quartier des arènes romaines, au nord-ouest de la ville. On y trouve d’importants vestiges de l’époque antique. Notamment une parure monumentale, c’est-à-dire un amphithéâtre, des termes et un grand bâtiment rectangulaire qui occupent toujours les lieux. Les archéologues locaux du XXème siècle vont beaucoup s’y intéresser. Malgré ça, très peu d’informations concrètes vont être mises au jour. Finalement, on ne connaît pas grand-chose sur la manière dont était occupé le territoire de Purpan-Ancely à cette époque.
Quelles sont les hypothèses émises par les archéologues jusqu’à présent ?
Les premières véritables fouilles ont eu lieu dans la pointe nord du secteur de Purpan-Ancely, par Léon Joulin au début du XXème siècle. C’est lui qui identifie les vestiges comme des ruines de l’époque gallo-romaine. Les archéologues vont ensuite chercher à comprendre comment était utilisé ce lieu par les populations locales. À la deuxième moitié du XXème siècle, on va émettre l’hypothèse d’un sanctuaire rural de la ville de Tolosa. Cette interprétation est motivée par la présence de l’amphithéâtre, des termes et d’un bâtiment rectangulaire découvert par Léon Joulin, que l’on pense être un temple. Or scientifiquement, nous n’avons aucune preuve que ce bâtiment était un temple. Nous ne pouvons pas affirmer que ce lieu était dédié au culte. Ces propositions doivent être réexaminées au regard de la méthodologie et des connaissances de l’archéologie contemporaine.
Votre travail de recherche se fait principalement en dehors de votre terrain d’étude. Comment fait un archéologue lorsqu’il ne peut pas faire de fouilles ?
J’adore l’archéologie de terrain mais, pour le moment, le travail de thèse ne me laisse pas le temps d’aller fouiller. J’examine ce que nous savons déjà grâce aux données qui ont été récoltées par mes prédécesseurs. Dans mon travail, Georges Baccrabère est une figure centrale. C’est un archéologue local qui a mené d’importantes fouilles de sauvegarde dans les années 60, aux côtés de collègues comme Michel Labrousse et Jean-Michel Lassure. Sur le site de Purpan-Ancely, ils découvrent une collection de céramiques qui va constituer le cœur de mon matériel de recherche. En tant que céramologue, je vais comparer cette collection à celles d’autres sites archéologiques. Je me concentre sur un territoire de 40 km autour de Toulouse. L’analyse précise de ces céramiques me donne des informations sur la manière dont était occupé Purpan-Ancely à l’Antiquité.
Le problème c’est que les fouilles des années 60 se sont faites dans l’urgence. Georges Baccrabère les documentait systématiquement mais ses indications sont parfois imprécises. Par exemple pour indiquer où il avait fouillé, il faisait des plans à la main avec des carrés et points et mentionnait « j’ai fouillé ici, j’ai fouillé là ». Je dois m’intéresser à la vie et au travail de celui qui a fouillé, pour comprendre comment il prélevait le matériel qu’il trouvait. Il est assez commun qu’un archéologue enrichisse son travail de terrain par une recherche documentaire. Mon étude se distingue par la nécessité de dépouiller et de remanier l’ensemble de la collection d’archives de Georges Baccrabère.
Alors plus précisément, comment intégrez-vous le travail de Georges Baccrabère dans vos recherches ?
À son époque, ses contemporains ne le considéraient pas forcément comme un archéologue accompli. Ils le voyaient comme un érudit passionné qui fouillait des lieux clandestinement. Or pour moi, c’est un homme qui a servi la science et c’est pourquoi j’aime étudier les données qu’il a récolté. Son travail a d’ailleurs été reconnu utile puisqu’il a reçu la Médaille d’Or de la ville de Toulouse. Il a aussi été conservateur du musée de l’Institut catholique. Sa place était très importante dans le paysage de l’archéologie toulousaine. Il a fouillé un peu partout dans la ville, même lorsque le contexte rendait ça difficile comme dans les années 60 sur le site de Purpan-Ancely. On lui doit énormément de découvertes et d’importantes sauvegardes. Donc son travail est une manne de données pour mon étude. Mais je dois le remettre en question car il ne fait plus sens à l’heure actuelle, d’un point de vue méthodologique et historique. Les découvertes et les analyses de Georges Baccrabère ne peuvent pas être dissociées de mon travail de recherche. Seulement, je vais devoir les situer dans leur contexte et les enrichir des connaissances de l’archéologie préventive.
Malgré les fouilles, Purpan-Ancely est un secteur qui reste très énigmatique. Votre travail de recherche se transforme en véritable enquête ! Pourquoi est-ce aussi difficile de savoir comment les populations gallo-romaines occupaient ce secteur ?
Avant les années 60, les archéologues locaux sont intervenus dans un contexte historique spécifique. On savait déjà que Purpan-Ancely avait été occupé à l’époque antique. Mais il n’y avait pas eu de fouilles systématiques. Les découvertes qu’on y fait sont fortuites. À l’époque, le site archéologique de Purpan-Ancely est même assimilé à celui du promontoire de Saint-Martin-du-Touch. À partir des années 60, tout change car la ville de Toulouse va fortement s’urbaniser. On voit arriver de nombreux lotissements, notamment sur la rive gauche. À Ancely, un énorme projet de construction de lotissement est en train de se monter. Il prévoit de s’étendre sur 17 hectares. Les sous-sols de ce secteur, occupé depuis l’époque préhistorique, sont alors directement menacés de destruction. Dans ce cadre, pour le moins compliqué, des fouilles d’urgence vont être organisées par les archéologues locaux.
À l’occasion d’un entretien, Bernard Marty, un archéologue toulousain qui a connu et fouillé aux côtés de Michel Labrousse et Georges Baccrabère, m’expliquait qu’ils étaient obligés de soudoyer les pelletiers et les personnes sur place. Avec l’aide d’une bouteille de Ricard par exemple, on leur accordait le droit de fouiller pendant 30 minutes. Plusieurs archéologues étaient engagés dans ce travail, ils ont fait ce qu’ils ont pu. Mais dans notre discipline, l’urgence conduit à manquer des informations. Le contexte de découverte des collections que j’étudie est donc très flou. Ça a des conséquences sur notre capacité à comprendre ce qu’il s’est passé à l’époque antique sur le site de Purpan-Ancely.
Vos recherches sont ancrées dans l’histoire du territoire toulousain. Pourquoi cet intérêt pour la vie locale ?
J’ai toujours porté un regard attendri sur la ville de Toulouse. Je suis la seule de ma famille à y être née, donc j’ai un attachement particulier envers cette ville. J’ai aussi toujours été passionnée par l’Histoire, j’entretiens avec elle un rapport très émotionnel. Quand j’observe un paysage, je ne peux pas m’empêcher de l’imaginer à différentes époques. Dans l’Antiquité, je trouve qu’il y a quelque chose de particulièrement poétique. Venu le moment de faire de la recherche j’ai eu naturellement envie de parler des paysages toulousains de la période antique. En étudiant ses paysages locaux, j’ai à cœur de m’intéresser au travail des archéologues de la région. Ceux qui m’ont précédé et qui ont donné leur carrière à l’étude de Toulouse et ses environs. C’est dans cette tradition de la recherche que je m’inscris. J’en ai l’occasion dans mon travail de thèse mais aussi à travers le projet PRISMEO dont je fais partie.
Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste ce projet PRISMEO ?
Nous avons fondé PRISMEO (Pôle de Recherche Interdisciplinaire en Sciences sociales : Mémoire, Expositions, Objet) l’an dernier de manière indépendante, nous étions cinq doctorantes et chercheures en sciences sociales. L’idée était de réunir plusieurs laboratoires autour d’un même travail. J’avais très envie de mettre en perspective mon regard d’archéologue avec ceux d’autres disciplines. Une manière d’hybrider ma pensée. C’est sur cette volonté commune que s’est fondé le projet. Nous souhaitions questionner les frontières du patrimoine toulousain, à partir de l’expérience quotidienne qu’en ont les habitants de la ville. Pour prendre en compte la diversité de ces rapports intimes au patrimoine, on voudrait créer une base de données en accès libre. Chacun pourra y contribuer en nous faisant parvenir leurs témoignages, par le biais de photographies ou de vidéos. Nous souhaitons que nos recherches débouchent sur une exposition itinérante. Ce sera l’occasion de faire dialoguer des objets appartenant aux habitants avec des vestiges du passé ou des œuvres d’art plus institutionnalisées.
Ana Ramos est doctorante en archéologie antique à l'Université Toulouse II - Jean Jaurès, membre du laboratoire Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés - TRACES (UMR 5608 du CNRS, de l’université Toulouse II Jean-Jaurès et du Ministère de la culture et de la communication, conventionné avec l’EHESS, l’INRAP et le service d’archéologie de Toulouse-Métropole.)