Gaston Dupouy : un géant de l’infiniment petit
Ce physicien de la Faculté des sciences de Toulouse acquiert sa renommée internationale après-guerre. Directeur général du CNRS et membre de l'Académie des sciences, Gaston Dupouy est un des pionniers de la microscopie électronique à très haute tension.
Par l’équipe Exploreur, d’après un article de Sylvie Schwoebel.
Gaston Dupouy a voulu révolutionner la physique ; il a mené, avec un esprit d’entreprise, une pugnacité et un enthousiasme certains, une course aux hautes tensions, convaincu qu’on pourrait ainsi examiner des échantillons de plus en plus épais.
Ses travaux ont permis d’obtenir des clichés de très haute qualité - de véritables « œuvres d’art » diront même certains – et constitué une nouvelle étape vers la vision de l’infiniment petit. Il a fait école puisque six entreprises dans le monde ont commercialisé ce type de microscope, notamment au Japon, États-Unis et Allemagne. Le laboratoire qu’il a fondé, l’actuel Centre d'élaboration des matériaux et d'études structurales (CEMES), reste aujourd’hui une référence en matière de microscopie électronique. Comme il le disait lui-même, « le développement d’une technique, issue d’une découverte de base, permet à son tour d’autres découvertes tout aussi fondamentales ».
C’est au lycée Victor Duruy de Mont de Marsan que Gaston Dupouy découvre la physique et rêve de faire des études supérieures. Avec une licence de physique en 1920 et l'agrégation en 1922, il suit les cours de scientifiques célèbres : Marie Curie, Paul Langevin, Jean Perrin, et attire l’attention d’Aimé Cotton, « le magicien de l’expérience ». Une rencontre déterminante : il va alors participer à la grande aventure de l’électro-aimant menée par celui-ci, jusqu’à sa réalisation au Laboratoire de Bellevue de Paris en 1928.
Une carrière exemplaire
Gaston Dupouy prépare donc avec Aimé Cotton sa thèse sur les propriétés magnétiques des cristaux qu’il présentera en 1930. Devenu son assistant, il met au point un nouveau procédé de mesure des champs magnétiques grâce à un gaussmètre à lecture directe (appareil permettant de faire des mesures de champ magnétiques ponctuelles), très original. Sa réputation de scientifique est alors établie. Il quitte Paris pour Rennes, où il restera deux ans avant d’être nommé professeur de physique à la Faculté des sciences de Toulouse.
C’est dans cette ville que va désormais se poursuivre sa carrière de chercheur, parallèlement à sa fonction d’enseignant.
Dès son arrivée en effet, il commence à réfléchir à un projet audacieux : « construire un microscope électronique à lentilles magnétiques ». Gaston Dupouy conçoit un prototype au laboratoire. Il est enthousiasmé par les images alors obtenues d’une « stupéfiante beauté » et en raison des perspectives qu’offrait cet instrument. Grâce à ses travaux, l’équipe toulousaine acquiert le statut de laboratoire propre du CNRS sous le nom de Laboratoire d’optique électronique de Toulouse. Une aventure saluée ainsi quelques années plus tard :
« …vous avez lancé un défi à la difficulté en construisant de toute pièces, dans votre laboratoire, votre microscope électronique magnétique, à un moment où tout manquait, matière et outils, pour exécuter les travaux les plus élémentaires »
Doyen Laurent Capdecomme, Extrait « Remise de l'épée d'académicien à Monsieur le doyen Gaston Dupouy, professeur à la Faculté des sciences de Toulouse, directeur du Centre national de la recherche scientifique » - E. Privat (Toulouse) - 1952
Dernier geste avant son départ vers Paris : approuver la construction de la « sphère » qui abriterait le microscope électronique de ses rêves, appelée familièrement « la Boule » de Rangueil. En effet, en 1950, il est nommé directeur général du CNRS. Jusqu’en 1959, il restera à sa tête, avant de démissionner pour revenir dans « son » laboratoire, comme il l’avait promis, pour construire un microscope électronique fonctionnant à un million de volts.
Avec une rapidité incroyable, la construction du bâtiment à Rangueil est à l’œuvre, dans lequel sera conçu et réalisé en partie son microscope ; les pièces mécaniques les plus imposantes sont fabriquées à la Cartoucherie de Toulouse et l’électronique en Suisse. L’inauguration a lieu le 14 février 1959, en présence du Général de Gaulle et du Ministre de la Défense. La presse et les Actualités du cinéma s’en feront l’écho, mais à l’époque, pas de télévision ! Les toulousains se posent des questions devant cet étrange objet, un véritable « monstre » ! Quatre mètre de hauteur pour la colonne, et, plus impressionnant encore, l’accélérateur d’électrons abrité dans le dôme sphérique, assemblage alambiqué, mais esthétiquement admirable, que l’on peut d’ailleurs encore visiter aujourd’hui.
Il peut, en 1961, présenter ses premières images à l’Académie des sciences, provoquant, fait rarissime, un commentaire élogieux et enthousiaste de M. Louis de Broglie, célèbre physicien, Prix Nobel en 1929.
Mais Gaston Dupouy n’en a pas fini avec ses recherches. À Jean Coulomb qui lui a succédé à la tête du CNRS, il expose sa nouvelle ambition :
« Seule la construction d’un microscope travaillant sous trois millions de volts serait assez intéressante pour motiver l’équipe au long d’un travail aussi considérable et difficile ».
Ce dernier parle de « l’émotion » qu’il ressent à cet instant : « Ces trois mégavolts m’ont donné un choc ! ». Il se laisse persuader pourtant et l’aide de son mieux dans cette nouvelle aventure. Ce microscope unique au monde sera présenté en 1970 au 7e congrès de microscopie électronique de Grenoble, congrès dont il assure la présidence, et inauguré à Toulouse dans un bâtiment nommé cette fois-ci par les chercheurs « le Briquet » situé sur le même campus que « La Boule ».
Une personnalité affirmée
Rigueur, exigence, énorme capacité de travail, énergie et enthousiasme à toute épreuve, telles sont les qualités dont il fera preuve dans toute sa carrière scientifique.
Il dirige l’équipe de chercheurs de façon très autoritaire, et paternaliste. Un trait essentiel de son caractère que l’on retrouvera avec ses étudiants. Il tient à son « labo » comme à la prunelle de ses yeux : il y est interdit, par exemple, de s’appuyer au mur pour éviter le risque de taches dû à des mains souvent grasses ! Le tutoiement bien évidemment est prohibé et tout le monde doit l’appeler « Monsieur le Directeur ». Une exception pourtant fait à M. Destribats, son chauffeur.
Surnommé quelque peu irrévérencieusement « Louis XIV » voire « Napoléon » - en référence à sa petite taille, Gaston Dupouy reste dans l’histoire comme un grand scientifique, le père de la microscopie électronique à haute tension. C’est aussi, et ses amis tiennent à le préciser, un homme de cœur, exigeant, travailleur acharné, soucieux du bien-être de ses collaborateurs.
Un homme en réalité très humain, souligne M. Trinquier. Gaston Dupouy était un grand seigneur, un homme de devoir, courtois, exigeant et sensible à « l’étonnante beauté de la nature qu’il aimait à reconnaître dans certains clichés de microscopie électronique…. Nous voulons garder de lui le souvenir de l’être profondément humain qu’il fut sous des apparences distantes, de l’intérêt et de la bonté qu’il manifestait à ses collaborateurs et amis, de la gentillesse de grand-père avec laquelle il traitait les enfants, bien que les joies de la paternité lui eussent été refusées, à son grand regret. »
Une reconnaissance internationale
L’ensemble de ses travaux lui a valu une reconnaissance internationale, des invitations dans tous les pays où voient le jour la nouvelle génération de microscopes à très haute tension, particulièrement aux États-Unis, au Japon et en Grande-Bretagne. De nombreuses distinctions lui sont aussi décernées, en France mais aussi à l’étranger. Au Japon, où il effectue plusieurs voyages et rencontre l’empereur Hiro-Hito, il est nommé Grand officier de l’Ordre national du Trésor sacré. En 1985, il est lauréat de la Société américaine de microscopie électronique, avec le célèbre physicien allemand Ernst Ruska. Malheureusement, la maladie l’empêche d’entreprendre un tel voyage. Il meurt quelques semaines plus tard, le 22 octobre 1985. D’aucuns disent qu’il aurait pu partager avec le même Ruska, le prix Nobel de physique en 1986 !
Gaston Dupouy en quelques dates
- Naissance en août 1900
- Directeur adjoint du laboratoire du Grand Électro-Aimant de Bellevue en 1930
- Maître de conférences à Rennes entre 1935 et 1937
- Titulaire de la chaire de Physique de l’Université de Toulouse en 1937
- Doyen de la Faculté des sciences de Toulouse entre 1945 et 1950
- Membre de l’Académie des sciences de Paris en 1950
- Directeur général du CNRS entre 1950 et 1957
- Mainteneur de l'Académie des Jeux floraux en 1972
- Mort en octobre 1985
Références bibliographiques
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Gaston Dupouy, Microscopie Electronique Sous Haute Tension. L'Astronomie Des Hautes Energies : 204. Sitzung Am 2. Februar 1972 in Dusseldorf
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Gaston Dupouy, Eléments d’optique électronique, Armand Colin, 1951.