Covid-19, perte olfactive et surcharge des hôpitaux : le lien démontré

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Vivant・Santé

Covid-19, perte olfactive et surcharge des hôpitaux : le lien démontré

Covid odorat
© Engin Akyurt, Unsplash

Détecter la perte du goût et de l’odorat permet de suivre précisément dans le temps et dans l’espace la propagation de la maladie Covid-19, selon une étude récemment publiée par la revue Nature Communication. Membres d’un consortium international de recherche, les scientifiques toulousains Denis Pierron et Veronica Pereda-Loth démontrent qu’une détection précoce des changements d’odeur et de goût rendrait plus efficace les politiques de lutte contre le virus.

Par Emmanuelle Durand-Rodriguez, journaliste.

Dans le bureau de la Faculté de chirurgie dentaire de Toulouse qu’il partage avec Veronica Pereda-Loth, Denis Pierron est impatient de voir ses travaux de recherche enfin rendus publics. Engagé comme des centaines de chercheurs dans la course contre la montre face au virus, l’anthropologue généticien, spécialiste de l’odorat  (l’olfaction) a l’espoir que les conclusions de son étude pourront être utile à la gestion de la crise pandémique.

La France bien positionnée dans la recherche sur l’olfaction

Dans ses travaux de recherche habituels, ce spécialiste de la médecine évolutive s’appuie sur la génétique pour comprendre les migrations et l’histoire des peuplements et plus précisément pour déterminer la part génétique de la perception des goûts, des odeurs et des arômes. Concentré sur la population de Madagascar, il mène une étude intégrant 3 000 personnes sur lesquelles il réalise à la fois des tests et des prélèvements d’ADN. L’analyse croisée du patrimoine génétique et des tests d’olfaction montre que le goût et l’odorat ne sont pas uniquement le résultat d’une construction culturelle. En parallèle et en tant qu’anthropologue, Denis Pierron développe une approche dite « populationnelle » c’est-à-dire qui prend en compte un ensemble de données à la fois spatiales et temporelles. C’est cette expertise qu’il a mise en œuvre dans l’étude publiée sur la Covid-19.

Quand le virus a commencé à sévir début 2020, les spécialistes de l’olfaction se sont mobilisés.

« Début mars 2020, une étude iranienne puis d’autres études européennes ont révélé que le nouveau coronavirus SARS-CoV-2 provoquait une perte d’odorat spécifique sans sensation de nez bouché et qui apparaît du jour au lendemain. »

explique Denis Pierron, chercheur CNRS au sein du laboratoire AMIS - Laboratoire d’Anthropobiologie Moléculaire et d’imagerie de synthèse (CNRS et Université Toulouse III – Paul Sabatier)

Des chercheurs américains mettent alors en place un consortium international (Consortium for Chemosensory Research - GCCR) et lancent un appel à tous leurs collègues qui travaillent sur l’odorat dans le monde. Ce consortium regroupe très rapidement des équipes américaines, sud-coréennes, italiennes et françaises. En France, le groupement de recherche  « GRO3 Odorant, Odeur, Olfaction » qui existe depuis plusieurs années se mobilise aussitôt. Ce groupement rassemble différentes équipes, chacune étudiant l’olfaction avec le prisme de sa spécialité : l’anthropologie génétique à Toulouse, les neurosciences à Lyon, la chimie à Nice et les sciences du goût et de l’alimentation à Dijon. Ces quatre équipes participent à l’étude du GCCR dont les premières conclusions sont actuellement rendues publiques. D’autres seront révélées au cours des prochains mois.

Un lien avéré entre perte olfactive et hôpitaux débordés

L’étude sur laquelle ont spécifiquement travaillé Denis Pierron et Veronica Pereda-Loth s’appuie principalement sur des données obtenues par une enquête en ligne diffusée et proposée dans plus de 30 langues. L’objectif était de vérifier si les changements de perception sensorielle pouvaient être utilisés comme un indicateur précoce de la Covid-19. Les chercheurs ont pour cela examiné le lien entre le nombre de cas signalant des modifications de l’odeur et du goût et les indicateurs de tension dans les hôpitaux - caractérisés par les taux d’admission, les entrées en réanimation et les taux de mortalité - pour chaque région administrative française au cours des mois de mars, avril et mai 2020.

figure olfaction
En mars 2020, plus une région française enregistrait de déclarations de perte de l’odorat, plus le nombre de personnes hospitalisées, en réanimation, ou décédées dans cette région était élevé plusieurs semaines plus tard (Nature Communication).

 

« Grâce à une approche à la fois géographique et temporelle spécifique de mon travail d’anthropologue, poursuit Denis Pierron, nous montrons que les changements d'odeur et de goût sont systématiquement associés à une surcharge du système de santé. Tandis que les médecins ont une approche individuelle de la maladie, nous avons, nous, anthropologues, une analyse qui se base sur l’évolution des symptômes de façon globale et mesurée dans le temps (en combien de jours ?) et dans l’espace (quels territoires concernés ?). Or il se trouve que les modifications de perception signalées par les patients produisent une corrélation plus forte que l’indicateur constitué uniquement par le nombre de cas diagnostiqués Covid-19 et rendus publics quotidiennement par les autorités de santé. En mettant en lien les réponses de plus de 5 000 personnes, les indicateurs gouvernementaux de propagation de la maladie et les mesures de confinement, nous montrons qu’au printemps 2020 plus une région française présente de cas de modification de l’odorat ou du goût à un temps donné plus les hôpitaux sont surchargés. Nous observons également un pic dans les pertes d’odorat et de goût autour du 21 mars, précédant d’environ 10 jours le pic d’admissions de patients Covid-19 en réanimation. »

Afin de vérifier cette première conclusion, les chercheurs analysent également la fréquence des recherches faites en ligne sur Google - entre le 1er février 2020 et le 10 mai 2020 - et concernant la perte d’odorat et de goût. Pour cela, ils utilisent l’outil Google Trends qui analyse la popularité d'un terme de recherche et constatent que les requêtes formulées sur Google ("perte odorat", "perte goût") sont là aussi corrélées avec les trois indicateurs d’un système de santé débordé : admission à l’hôpital, réanimation, décès.

Un nouvel indicateur précoce pour évaluer le succès des stratégies politiques

Des comparaisons internationales montrent par ailleurs, que les pays ayant décidé les mesures de confinement les plus strictes (la France et l’Italie) présentent une diminution plus rapide des nouveaux cas de changements d'odeur et de goût après le confinement, qu'un pays ayant des mesures moins strictes (le Royaume-Uni).

« Nous constatons une diminution de l'apparition de nouveaux symptômes dès 5 jours après le début du confinement, ce qui montre l’effet rapide du confinement sur la pandémie. »

Afin d’éviter un débordement des unités de soins intensifs et de réanimation, conclut Denis Pierron, les autorités de santé pourraient suivre les changements de perception signalés par les malades eux-mêmes à la fois comme « un indicateur précoce et spécifique de la pandémie de Covid-19 et pour évaluer le succès des stratégies de déconfinement ».

Une première application à l’Université de Toulouse ?

Dans l’immédiat, Denis Pierron et son équipe travaillent au développement d’un outil de détection précoce de la perte de l’odorat à l’Université de Toulouse. « Tout est prêt pour démarrer, précise le chargé de recherches. Il nous reste à lever des incertitudes juridiques et nous pourrons proposer un questionnaire et un test perceptif. Puisque nous avons constaté que la perte de l’odorat survient une dizaine de jours avant la surcharge des hôpitaux, ces tests constitueraient un bon indicateur d’alerte pour les pouvoirs publics. »

Début 2021, Denis Pierron et Veronica Pereda-Loth feront partie d’un laboratoire en création, le laboratoire Evolsan (Évolution et santé orale). Un laboratoire pluridisciplinaire dirigée par Thierry Letellier et Olivier Hamel et installé sur le campus toulousain de Rangueil à la Faculté de chirurgie dentaire. Son objectif : continuer à étudier en quoi le passé évolutif des populations influence la santé d’aujourd’hui, notamment dans le domaine de la santé orale.

 

Référence bibliographique

Pierron, D., Pereda-Loth, V., Mantel, M. et al. Smell and taste changes are early indicators of the COVID-19 pandemic and political decision effectiveness. Nat Commun 11, 5152 (2020).

 

Veronica Pereda-Loth, ingénieure de recherche à l'Université Toulouse III - Paul Sabatier et Denis Pierron, chercheur CNRS exercent aujourd’hui leurs recherches au sein du laboratoire AMIS - Laboratoire d’Anthropobiologie Moléculaire et d’imagerie de synthèse (CNRS et Université Toulouse III – Paul Sabatier)