Les élections américaines : le reflet d’une démocratie sous tension

Partagez l'article

Cultures・Sociétés

Les élections américaines : le reflet d’une démocratie sous tension

vote usa
© Ian Hutchinson, by Unsplash

La crise sanitaire, les tensions sociales et les candidats hargneux, ont fait de la course à la présidence des États-Unis une élection inédite. « Nuit Américaine », un événement organisé tous les 4 ans, invite des chercheurs d’Occitanie à débattre sur la présidentielle en cours. Rencontre avec certains d’entre eux pour connaître leurs opinions sur cet événement politique exceptionnel.

Par Victoria Lascaux, avec l’aide d'Hilary Sanders et Emmanuelle Perez-Tisserant, enseignantes-chercheuses à l'Université Toulouse - Jean Jaurès, organisatrices de l’événement « Nuit Américaine », dans le cadre du festival « l’Histoire à venir ».

 

Cette année, le contexte de la campagne électorale américaine a été particulièrement difficile : la pandémie, le mouvement Black Lives Matter, de nombreux heurts médiatiques … Deux candidats s’affrontent !

Conquérir les grands électeurs

Du côté du parti républicain, le président sortant Donald Trump et son vice-président Mike Pence ; pour les démocrates Joe Biden et sa vice-présidente Kamala Harris. Chacun cherche à séduire certains États clés  – les « swing states ». En 2020, les yeux sont rivés sur les résultats des votes de la Pennsylvanie, la Floride, le Michigan, le Wisconsin… Depuis 1787, les États-Unis ont un dispositif électoral sous suffrage universel indirect, c’est-à-dire que le président n’est pas élu selon le vote populaire, mais par le Collège électoral.

Pour bien comprendre, décryptons avec Jack Thomas, enseignant-chercheur à l’Université Toulouse – Jean Jaurès ce dispositif électoral américain. « Chaque État se voit accorder un nombre de grands électeurs qui change périodiquement selon la démographie et le nombre d’élus au Congrès. Tous les 10 ans, un recensement détermine la population de chaque État. En fonction de cette donnée, le Congrès répartit les sièges des grands électeurs dans chacun d’entre eux ». Par ailleurs, un État avec très peu de population, aura au moins 2 sénateurs et 1 député, peu importe sa population. Ainsi, le dépouillement des votes désigne le candidat gagnant qui se voit attribuer tous les grands électeurs de l’État. Pour gagner la présidentielle, il faut obtenir 270 grands électeurs sur un nombre total de 538.

Pendant toute la campagne présidentielle, les candidats parcourent les États-Unis afin de convaincre les Américains et redoublent d’effort dès qu’ils se trouvent dans un État stratégique.

Les « swing states » sont des États dont le vote populaire peut changer d'une élection à l'autre et qui comptent un nombre de grands électeurs significatif. Un État qui n'a que trois grands électeurs ne sera jamais aussi courtisé qu'un État avec 10, 15 ou 20 grands électeurs et qui ne vote pas toujours de la même façon d'une élection à l'autre. Les candidats y passent plus de temps, organisent plus de meetings, paient plus d'argent pour des campagnes publicitaires.

Un jeu médiatique redoutable

Pour convaincre les États-Unis, le candidat investi massivement, financièrement et personnellement. Raphaël Ricaud, enseignant-chercheur en civilisation états-unienne à l’Université Paul Valéry-Montpellier 3, nous donne son point de vue : « L’engouement pour toute chose politique aux États-Unis remonte à la fondation de la nation. Les États-Unis sont constitués de 50 États, la nation est donc géographiquement vaste. Couvrir ce territoire physiquement coûte cher. Mais le plus cher est bien évidemment la conquête de l’espace médiatique. De nos jours, il n’y a plus de limite quant à l’argent qui doit être dépensé pour concourir ».

Il n’y a donc pas que sur la scène territoriale que l’on retrouve les candidats, les réseaux sociaux sont aussi un de leur terrain de jeu favori, particulièrement pour Donald Trump. « Il tweete depuis son compte personnel, et ses envois arrivent d’abord sur les téléphones de ses fidèles. Ceux-ci ont par conséquent l’impression que Trump leur parle en direct ». Dès lors, les médias s’en mêlent et analysent chaque élément du tweet. « Ceci donne à Trump une couverture médiatique maximale pour un coût dérisoire. Il a compris que saturer l’espace médiatique en faisant parler de soi est plus important que de tenir un discours cohérent. Ou pour le dire en d’autres termes : toute publicité est bonne à prendre ». Plus le candidat est présent de n’importe quelle façon, de manière positive ou négative, plus les Américains se sentent proche de lui. Comme il a été possible de le constater lors du premier débat présidentiel, qui opposait Joe Biden et Donald Trump. « Le premier débat fut un véritable pugilat. Une partie de l'électorat de Trump a apprécié, puisque ce n'est pas un débat d'idées qu'ils cherchaient mais l'établissement d'un rapport de force. Trump a montré qu'il était une bête de scène » confie Raphaël Ricaud.

Cette année, la politique américaine a été réduite à un spectacle vivant et violent. Malgré sa personnalité sulfureuse, pourquoi Donald Trump aurait-il pu être à nouveau réélu ? Raphaël Ricaud nous apporte quelques éléments de réponse « De nombreux républicains votent pour lui en se pinçant le nez. Ils ne l'apprécient pas en tant que personne, mais comprennent qu'il est dans leur intérêt qu'il soit élu. Les évangélistes de droite, par exemple, n’approuvent pas sa vie dissolue, mais apprécient qu'il nomme autant de juges conservateurs. Des ouvriers ont voté pour lui en 2016 car il était porteur de leur colère contre l’establishment. Les suprématistes blancs votent pour lui pour des raisons assez évidentes. Certains hommes latinos ou noirs votent pour lui car il incarne à leurs yeux une certaine idée de la masculinité ». A contrario, beaucoup de personnes soutiennent le rassurant Joe Biden, telle que la majorité des célébrités qui se sont mobilisées sur les réseaux sociaux, et qui ont incité la population à soutenir le candidat démocrate.

Mais cette année, au-delà de la personnalité des candidats, la conduite des campagnes et des élections a été perturbée, à commencer par la crise sanitaire.

Le coronavirus : l’invité surprise des élections

Les États-Unis n’ont pas fait partie des premiers pays touchés par la pandémie. Mais, la propagation du virus n’épargne finalement pas les Américains. Le pays recense à ce jour plus de 235 000 décès pour une population de 328 millions d’habitants.

« Le coronavirus a évidemment impacté, influencé l'élection. À la fois par le jugement des Américains sur la gestion de la crise sanitaire par Trump, mais aussi par la manière même de mener les campagnes »

confie Jack Thomas.

En effet, Donald Trump a continué à organiser des meetings dans tous les États d’Amérique quant au même moment son concurrent Joe Biden réduisait au strict minimum ses rassemblements. En ce qui concerne l’organisation de l’élection, des mesures ont été mises en place, tel que le vote par anticipation ou par correspondance. Les votes anticipés ont battu tous les records, plus de 102 millions d’Américains ont voté avant le jour J, pour éviter au maximum une foule trop importante aux urnes le 3 novembre. Pour Zachary Baqué, enseignant-chercheur en civilisation états-unienne à l’Université Toulouse - Jean Jaurès, le coronavirus a également impacté le discours des candidats. « Le coronavirus a été un des enjeux de la campagne, les deux candidats, Donald Trump et Joe Biden se sont attaqués mutuellement sur la manière dont la crise a été gérée durant ces derniers mois ». En parallèle de cette crise sanitaire, une crise sociale a fragilisé les élections. Le mouvement Black Lives Matter a déchainé les foules et des affrontements violents ont eu lieu dans tout le pays.

« Les vies noires comptent »

Le mouvement Black Lives Matter (“Les vies noires comptent” en anglais) a débuté en mai 2020. En pleine campagne présidentielle, George Floyd, un homme noir décède lors d’une interpellation policière à Minneapolis. Des manifestations contre le racisme et les violences policières naissent dans tout le pays, et se propagent très rapidement dans le monde entier. Un chiffre révélateur des inégalités raciales aux États-Unis, un noir américain a une chance sur 3 d'aller en prison au cours de sa vie et un blanc une chance sur 17. Hallucinant ! Ces inégalités s’expliquent en partie par un racisme institutionnalisé, fondé sur un rapport de pouvoir entre les blancs et les noirs depuis les fondements de l’institution américaine.

Marine Dassé, enseignante-chercheuse en civilisation états-unienne à l’Université de Perpignan Via Domitia nous explique cette inégalité. « L’esclavage est né en 1619. La Déclaration d’Indépendance, stipule « tous les Hommes créés sont égaux », mais pour autant cela exclut les femmes et les esclaves. Quelques années plus tard, en 1787, la Constitution, deuxième document fondateur, décide de maintenir l’esclavage et de ne pas mettre en pratique ces idéaux de liberté et d’égalité. Ainsi, dès les fondements de la nation, les inégalités sont intrinsèques à l’histoire du pays. L’esclavage a duré 244 ans et la ségrégation raciale 88 ans, au total cela fait 332 ans. Pendant plus de 83% de l’histoire américaine, les noirs étaient soit esclaves soit victimes de ségrégation ».

Ce racisme est visible au niveau du gouvernement, avec un recensement de multiples propos racistes prononcés par Donald Trump. En 2020, si les noirs sont victimes de violences policières, c’est qu’il s’agit d’un héritage racial. Pour Marine Dassé, « l’enjeu principale de cette élection est l’égalité noir-blanc, l’égalité femme-homme et l’égalité homosexuel-hétérosexuel ». Malheureusement, ces conflits sont encore loin d’être terminés. L’Amérique entière craint de nouvelles violences depuis l’annonce de la défaite de Donald Trump, la contestation des résultats encouragerait les suprématistes blancs pro-Trump. Á ce propos Zachary Baqué nous précise « Donald Trump a remis en cause la légitimité du processus électoral dès le début de la campagne, il a bien "préparé" le terrain ». Critique du vote par correspondance, refus de garantir un transfert des pouvoirs en cas de défaite, affirmation de tricherie… pour toutes ces raisons, l’Amérique redoute les prochaines semaines.

Les urnes ont parlé, Biden a maintenu sa légère avance, mais l’attente de la confirmation et la bagarre judiciaire sera longue. Croisons les doigts pour éviter tout débordement et affrontement en attendant l’investiture, le 20 janvier 2021.