Microplastiques, l’épopée des voyageurs-pollueurs

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Terre・Espace

Microplastiques, l’épopée des voyageurs-pollueurs

Microplastiques pollueurs
© Dustan Woodhouse, by Unsplash.

En 2020, vivre sans plastique est impossible. Difficile de poser son regard sur un bureau, une pièce, une rivière, une plage et même un paysage sans voir différentes formes et types de plastiques. Au-delà de la triste réalité de la tortue qui ingère un sac au milieu de l’océan, comment notre planète et ses habitants digèrent la quantité exponentielle de ces polymères synthétiques qui se dégradent en macro, micro et nanoparticules ? L’enjeu environnemental rejoint le défi scientifique. Établir le cycle de tous les plastiques : c’est le challenge auquel contribuent de nombreux projets toulousains de recherche, en lien avec l’émulation scientifique internationale.

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PLASTIQUE De la passion à la raison

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Par Anne-Claire Jolivet, de l’équipe Exploreur.

Le constat est édifiant. Depuis les années 1950, 6,3 milliards de tonnes de déchets plastiques ont été générés dans le monde. À l’horizon 2050, si l’industrie et la consommation associée ne changent pas, nous atteindrons 12 milliards de tonnes par an. Aujourd’hui, notre capacité de recyclage ne représente que 10 % de la production totale, l’incinération ne concerne que 12 %. En 2015, 270 millions de tonnes semblent présents à la surface des océans. La question est vertigineuse : où est passé le reste ? Dans les décharges et/ou dans la nature ? Il ne peut s’être « volatilisé » dans l’environnement, il nous est simplement pour l’instant invisible et/ou difficilement détectable.

Plonger dans les eaux profondes 

Les plastiques s’accumulent dans les océans : certaines zones des grands tourbillons ou gyres subtropicaux du Pacifique et de l’Atlantique Nord sont malheureusement aussi nommés « vortex de déchets ». Par leur mouvement giratoire permanent, ils rassemblent et centrifugent ce qui a été déversés par l’Homme directement dans la mer et sur son littoral, mais aussi sur les surfaces continentales. Ils concentrent tel un réceptacle une partie de la pollution planétaire, et génèrent une accumulation de débris si conséquente que depuis leur découverte en 1997, ont surgi des « continents plastiques ».

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Le navire de l’expédition 7e continent, mission dans le gyre de l'Atlantique Nord 2015 © Vinci Sato-Expédition 7e Continent

 

Les scientifiques français de l’emblématique expédition 7e continent traquent tous ces polymères synthétiques et leurs dégradations. Au fur et à mesure des missions maritimes, les analyses se sont affinées. Les zones de prélèvement se sont élargies : la surface des gyres mais aussi la colonne d’eau et les sédiments océaniques. Cet été, le britannique Richard Lampitt et son équipe ont mesuré que de fortes concentrations de plastique sont cachées sous la surface de l'océan Atlantique.

« Nous ne faisons des bilans massiques que depuis 5 ans. On a alors découvert qu’il y a moins de 1% de ce qui rentrait dans les océans en masse que l’on retrouvait à la surface des continents. En fait, quand les plastiques sont trop petits, moins de 5 mm, ils ne flottent plus et nous avons des difficultés à les détecter et à les analyser. Entre les biologistes, les chimistes et les océanographes, il y a eu beaucoup d’hypothèses et des discussions animées. Aujourd’hui, on peut dessiner des volumes, mais il y a pleins d’approximations, ce sont des bilans globaux. », précise Alexandra Ter Halle, chercheuse CNRS au Laboratoire des interactions moléculaires et réactivité chimique et photochimique (IMRCP).

La pêche aux particules sur tous les continents

Les océans mais aussi les fleuves, différents cours d’eau, les lacs et tourbières d’altitude, les sols et l’atmosphère … en 2020, tous les milieux naturels sont concernés et les plastiques y sont pourchassés.

« Démontrer l’année dernière qu’il pleut du plastique dans des zones reculées des Pyrénées fut un choc médiatique et scientifique. Nous avons été surpris d’observer que ces particules synthétiques puissent voyager sur des centaines de kilomètres et se retrouver loin des zones urbaines. Ces résultats depuis ont été confirmés dans de nombreuses régions comme les Grands parcs de l’ouest américain. Et nous ne savions pas encore que les embruns marins en bord de plage génèrent des aérosols contenant des plastiques. » Gaël Le Roux, chercheur CNRS, géochimiste au Laboratoire d’écologie fonctionnelle et environnement.

Pour ce chercheur et ses collègues du laboratoire, l’étape suivante dans le cadre du projet Plasticopyr est de tracer l’origine de cette pollution dans des zones qui a priori semble peu exposées, comme les versants Nord et Sud des Pyrénées. Les microplastiques viennent-ils majoritairement par voie atmosphérique ou bien via le tourisme et les autres usages de la montagne avec la dégradation des déchets plastiques ou bien encore l’émission de fibres des vêtements polaires ?

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Un exemple d’un des nombreux déchets retrouvés le long des ruisseaux des Pyrénées : le gobelet plastique dégradé. © Plasticopyr, Ordino Arcalis, Andorre, 3 septembre 2020

 

Julien Cucherousset et la doctorante Aline Carvalho, quant à eux, effectuent dans le cadre du projet Plastigar (dont Alexandra Ter Halle est la responsable), un suivi spatio-temporel de la pollution en microplastiques (de 0.7 mm (700 µm) – 5 mm) présents dans le bassin versant de la Garonne. 250 échantillons d’eau récoltés environ sur 14 sites sur quatre saisons (printemps/été/automne/hiver) et 500 poissons d’une vingtaine d’espèces différentes et 500 échantillons d’invertébrés de 30 taxons différents … pour obtenir au final, après un traitement chimique pour réduire la matière organique, plus de 2500 particules prises une par une à la pince, observées au microscope puis avec un spectroscope infrarouge.

« La nouveauté et la force du projet Plastigar est sa puissance analytique sur autant d’échantillons prélevés à différentes périodes de l’année, à la fois dans l’environnement mais aussi dans les organismes. Nous allons ainsi quantifier le potentiel transfert des microplastiques dans la chaine alimentaire »

déclare Julien Cucherousset, chercheur CNRS au laboratoire Évolution et diversité biologique (EDB).

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Échantillonnage par pêche électrique des poissons dans la zone aval de la Garonne en Juillet 2019 dans le cadre du projet PlastiGar. © J. Cucherousset / A. Carvalho

 

Si les scientifiques ont commencé par compter au bord de la Seine, les bouteilles, les barquettes de frites et les cigarettes, aujourd’hui, ils zooment de plus en plus bas dans la taille des plastiques.

« L’attention des scientifiques est rivée sur les petites particules. Nous avons beaucoup de recherches à mener avant de les connaître chimiquement et physiquement pour ensuite mesurer leur impact sur les écosystèmes »

souligne Alexandra Ter Halle.

Une étape préalable indispensable : la caractérisation des polymères.

Les gammes de plastiques sont extrêmement diversifiées. Les processus de dégradation et de flottabilité varient. Inventés il y a plus de 100 ans, les traces de nylon retrouvées ont une plus longue histoire environnementale que les fibres des polaires de randonnée ou de nouveaux matériaux bio-sourcés. Autre exemple qui rend les plastiques difficiles à étudier : la couleur noire des résidus de pneus issus du trafic routier ou de leur utilisation agricole complique leurs analyses.

« En tant que physicochimiste, je regarde comment les polymères synthétiques s’altèrent, comment ils s’érodent en surface ou se fragmentent et fabriquent de petites particules. J’ai passé beaucoup d’énergie à comprendre ce phénomène en laboratoire dans un environnement contrôlé, mais on n’arrive jamais au stade d’oxydation qui a lieu dans la nature. Quand il y a une très grande altération et qu’on arrive au micron ou au nanomètre, j’ai démontré que ce n’est plus le même mini-bout de plastique, c’est une autre molécule ! » précise Alexandra Ter Halle.

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Particules dont des microplastiques observées dans un échantillon collecté dans la Garonne en filtrant de l’eau de surface avec un filet en 2019 dans le cadre du projet PlastiGar. © J. Cucherousset / A. Carvalho 

 

Les frigos des laboratoires toulousains sont donc remplis d’échantillons dans le but de caractériser tous ces types de polymères, par leur taille mais aussi par leur caractère physico-chimique. Plusieurs défis techniques et méthodologiques restent à relever : le premier est de les isoler des particules organiques et des autres contaminants comme les éléments-traces métalliques (type métaux lourds, notamment) avec qui elles cohabitent dans l’environnement. Des analyses fines doivent pouvoir établir une classification, seulement ensuite il sera possible de déterminer leurs origines, les phénomènes de fragmentations et enfin leurs effets sur les écosystèmes. 

Vecteurs de contaminants

« Un plastique tout fraîchement sorti d’usine semble moins toxique qu’un plastique dégradé. Malheureusement, il ne s’améliore pas avec le temps. En se fragmentant, les chimistes pensent qu’il attire et concentre d’autres contaminants présents dans le milieu aquatique », alerte Julien Cucherousset.

L’enjeu est de comprendre quels sont les plastiques les plus dangereux. Dans la mesure où nous ne pouvons pas nous passer du plastique, les chercheurs toulousains contribuent à ajuster le choix de matériaux et ainsi limiter l’impact négatif sur l’environnement. Certains plastiques dits « bio », dits recyclables pourraient être plus toxiques que les polymères synthétiques classiques lorsqu’ils se retrouvent dans la nature, à cause de leurs additifs de fabrication ou encore du fait qu’ils se dégradent plus vite.

« Plus les particules sont petites, plus leur surface est réactive. Elles peuvent devenir des vecteurs d’autres contaminants. Les polluants seraient alors potentiellement plus « bio-disponibles » pour d’autres organismes vivants »

précise Camille Larue, chercheuse CNRS, écotoxicologue au Laboratoire d’écologie fonctionnelle et environnement.

La toxicité des particules sur le biotope est plus facilement détectable sur des écosystèmes sentinelles, comme les zones extrêmes de hautes montagnes ou les territoires polaires qui sont sensibles au moindre changement. Leur équilibre est plus fragile. Ce sont des espaces contenant des végétaux et des animaux moins habitués aux stress provoqués par l’activité humaine (anthropique). 

« Mes recherches partent du constat que la pollution au plastique est un stress négligé sur les écosystèmes de montagne. Aucun résultat ne me permet aujourd’hui d’affirmer que le plastique est un stress supplémentaire pour la faune et la flore d’altitude, alors on y travaille ! »

nuance Gaël Le Roux.

En analysant les intestins et les muscles des poissons et des invertébrés de la Garonne, l’équipe de Plastigar cherche à comprendre les mécanismes associés à la consommation de microplastiques. Qui mange qui, et avec quels types de plastiques ? Et éventuellement ils espèrent répondre à la question : les organismes mangent-ils volontairement des plastiques ou pas ? Est-ce que le poisson vise le morceau de plastique car il le confond avec une proie, ou bien le plastique est-il plutôt consommé de manière accidentelle ?

Plastique, un cycle sans fin

En les ingérant, les digérant et les excrétant, les animaux élargissent le champ d’action de ces polluants. Après avoir travaillé sur la pollution aux métaux lourds propre à l’extraction minière au Groënland, Sophia Hansson poursuit ses recherches à Toulouse et dans les Pyrénées pour comprendre le rôle des animaux dans la circulation des microparticules de plastiques. Elle conçoit ces derniers comme des biovecteurs de contaminants. 

« Je trouve passionnant que chaque jour de nouveaux résultats complètent ou remettent en cause les précédents. Le cycle du plastique que nous avons publié l’année dernière est déjà à revoir. Nous devrions rajouter le fait que les particules circulent entre la mer et l’atmosphère, aussi nous avons probablement négligé le rôle des animaux dans la dégradation et le transport d’un habitat à l’autre des polymères synthétiques, en mer mais également sur terre »,

résume Sophia Hansson, chercheuse CNRS au Laboratoire d’écologie fonctionnelle et environnement.

schema cycle plastic
Modèle conceptuel du cycle de pollution plastique et des interactions entre biogéochimie, transfert trophique, santé humaine et exposition. Notez que les flèches et les illustrations ne sont pas à l'échelle et sont uniquement à des fins descriptives. Développé, adapté et redessiné, en partie, de Rochman et al. (2019) avec permission.

 

Face à ces millions de tonnes de plastiques « disparus », les scientifiques se mobilisent. Chaque discipline apporte sa pierre à l’édifice. Chimistes, biologistes, écologues, toxicologues, océanographes, géologues, géographes, sociologues, physiciens de l’atmosphère … tous prennent au sérieux ces polymères comme des marqueurs externes de l’Anthropocène, jusqu’à nommer notre ère le Plasticocène.

 

Références bibliographiques

  • Rowenczyk, L.; Dazzi, A.; DenisetBesseau, A.; Beltran, V.; Goudouneche, D.; Wong-Wah-chung, P.; Boyron, O.; George, M.; Fabre, P.; Roux, C.; Mingotaud, A. F.; ter Halle, A. Microstructure Characterization of Oceanic Polyethylene  Debris. Environ Sci Technol 2020.
  • Bank MS, SV Hansson SV., The plastic cycle: A novel and holistic paradigm for the Anthropocene., Environmental Science & Technology, 2019, 53 (13).
  • Allen, S., Allen, D., Phoenix, V.R. et al. Atmospheric transport and deposition of microplastics in a remote mountain catchment. Nat. Geosci. 12, 339–344 (2019)

 

IMRCP : Laboratoire des interactions moléculaires et réactivité chimique et photochimique (Université Toulouse III-Paul Sabatier et CNRS)

Laboratoire d’écologie fonctionnelle et environnement (CNRS, Université Toulouse III - Paul Sabatier, Toulouse INP – ENSAT)

EDB : Évolution et diversité Biologique (CNRS, Université Toulouse III - Paul Sabatier, IRD)