Plastiques et perturbateurs endocriniens : quel impact sur notre santé ?
Les micro et nanoplastiques sont partout. Chaque polymère interdit est remplacé par un substitut. Le Bisphénol A (BPA) a été retiré de tous les biberons en Union européenne dès 2001, et en France dans tout produit en contact alimentaire depuis 2015. Le Bisphénol S (BPS) a pris le relai alors qu’il présente les mêmes propriétés et qu’il est même moins bien métabolisé par notre foie. Alors comment évaluer l’impact des plastiques sur la santé publique ? Des physiologistes et écotoxicologues toulousains vérifient leur dangerosité.
Par Christine Ferran, de l'équipe Exploreur.
En 2019, Santé Publique France a publié les résultats de l’étude de l’imprégnation de la population française à cinq perturbateurs endocriniens (PE) : le BPA et le BPS mais aussi les phtalates, les parabènes, les composés perfluorés et le plomb. Les recommandations de ce groupe de travail ont porté sur la structuration et le financement de la recherche pour mieux connaître les mécanismes d’actions et les effets sanitaires des PE ainsi que leurs impacts dans l’environnement.
Où trouve-t-on le Bisphénol A ?
Le BPA est un monomère présent dans tous les plastiques de type polycarbonate et dans les résines époxy utilisés dans les emballages et contenants alimentaires. Il a l’avantage d’être peu onéreux, transparent et résistant. La polymérisation incomplète, ainsi que l’hydrolyse des polymères associée à la chaleur, conduisent à la libération des monomères de BPA qui contaminent les aliments. C’est le cas des biberons en polycarbonate qu’on a pu réchauffer au four micro-onde. Des monomères actifs se retrouvaient alors dans le lait. Le BPA est également utilisé comme révélateur de l’encre des papiers thermiques (tickets de caisse).
En janvier 2017, le BPA a été classé substance extrêmement préoccupante (SVHC) par le comité des États membres de l’Agence européenne des produits chimiques en raison de ses propriétés de perturbateur endocrinien. L’utilisation du BPA dans les biberons avait été interdite dans l’ensemble de l’UE en 2001 et en France, dès 2015, une loi avait interdit son utilisation dans les matériaux entrant en contact avec les denrées alimentaires.
Passage de la barrière placentaire de la mère au fœtus
Véronique Gayrard est enseignante-chercheuse en physiologie à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT). Son équipe du laboratoire Toxalim étudie le devenir dans l’organisme des perturbateurs endocriniens et, en particulier, leur passage de la mère à l’enfant. C’est ce qu’on appelle la toxicocinétique. Son modèle d’étude : la brebis gravide (enceinte). Les ovins sont, depuis toujours, des modèles de référence pour l’étude de la physiologie fœtale. En effet, il y a beaucoup de similitudes physiologiques entre le fœtus humain et le fœtus ovin.
Ce modèle permet d’analyser les mécanismes qui contrôlent l’exposition du bébé aux contaminants : le passage de la mère au fœtus mais aussi le métabolisme et l’élimination maternelle et fœtale de ces substances. Ce qui permet de prédire l’exposition du fœtus humain à ces endocriniens.
Parmi les substances étudiées dans cette équipe figurent le Bisphénol A (BPA) depuis 2009 et, depuis 2015, un analogue structural, le Bisphénol S (BPS). Ces scientifiques ont observé que le BPA passe très bien la barrière placentaire. En administrant du BPA à la mère, on retrouve la même quantité, rapportée à son poids, dans le fœtus.
Mais comment est-on venu à se dire que le plastique pouvait être dangereux pour la santé ?
L’impact de la contamination environnementale par des produits chimiques de synthèse sur la faune sauvage a constitué le premier avertissement. En 1962, Rachel Carson a publié un ouvrage intitulé « Silent Spring » qui alertait sur la diminution du nombre d’oiseaux résultant des troubles reproductifs associés à la contamination de l’environnement par des produits chimiques ayant des propriétés de perturbateur endocrinien, dont le pesticide DDT. En Floride, des alligators présentaient des malformations génitales dont des micro pénis. Pour l’alimentaire, les industriels connaissaient déjà les propriétés œstrogéniques du BPA avant de l’utiliser pour produire des plastiques. Il était déjà employé dans les revêtements internes des boîtes de conserve et des canettes de sodas, par exemple. L’origine d’une grande partie de ses effets de PE provient du fait qu’ils miment les effets des œstrogènes en se fixant sur leurs récepteurs présents dans les glandes mammaires, les ovaires, le cerveau …
La controverse sur le BPA
Dans les années 2010, il y a eu une controverse internationale : les agences règlementaires avaient conclu que le BPA peut exercer des effets œstrogéniques, mais que les concentrations de BPA nécessaires pour activer les récepteurs aux œstrogènes sont très supérieures aux concentrations sanguines auxquelles l’Homme est exposé. Ceci s’explique par le fait que la quasi-totalité du BPA ingéré est métabolisé par le foie avant d’atteindre la circulation générale.
Des scientifiques, a contrario, se sont appuyés sur des données expérimentales obtenues chez l’animal avec de faibles doses de BPA pour conclure que l’exposition humaine au BPA était suffisamment importante pour induire des effets toxiques.
Les industriels du plastique doivent prouver l’innocuité des substances
Depuis 2007, une règlementation européenne intitulée REACH pour Registration Evaluation Autorisation Restriction of Chemicals impose aux entreprises d’enregistrer des informations sur les molécules qu’ils utilisent. En fonction du tonnage de production ou d’importation, les industriels doivent mettre en place des tests de toxicité pour prouver l’innocuité de ces substances.
Après l’enregistrement, l’Agence européenne des produits chimiques délivre une autorisation ou une restriction. En cas de restriction, c’est-à-dire si une substance est classée SVHC, il faut la substituer par des alternatives.
Le remplacement du BPA par le BPS, une substitution regrettable
Suite aux mesures restrictives de l’utilisation du BPA, le BPS, un analogue structural du BPA, l’a remplacé dans de nombreuses applications. Or des études expérimentales ont montré que le BPS exerce des effets œstrogéniques comparables à ceux du BPA. Pour contribuer à l’évaluation du risque lié au remplacement du BPA par le BPS, l’équipe « Gestation et perturbation endocrinienne » a comparé le devenir dans l’organisme du BPA et du BPS après l’administration orale d’une même quantité des deux substances. L’étude a été réalisée chez le porcelet en raison des similitudes avec l’homme de sa fonction gastro-intestinale. Les deux substances sont bien absorbées, mais le foie est moins efficace pour métaboliser le BPS : il en résulte que 57 % de la quantité de BPS ingérée passe dans la circulation générale, soit une quantité 100 fois supérieure à celle de BPA (0.5%).
« Attention aux substitutions regrettables ! » conclut Véronique Gayrard, comme l’avait préconisé un rapport de l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, sur les analogues du BPA. Il est important d’évaluer le devenir dans l’organisme de ce substitut avant de remplacer une substance dangereuse par un substitut dont on ne connait pas les dangers.
Microplastiques et nanoplastiques : quel impact en santé humaine ?
Muriel Mercier Bonin, chercheuse INRAE, dans le même laboratoire Toxalim, s’intéresse, quant à elle, aux microplastiques (de taille inférieure à 5 mm) et aux nano-plastiques (de 0,1 à 1 µm).
« La recherche sur l’impact de la pollution plastique en santé humaine est très récente » précise-t-elle. Il y a 15 ans, les écotoxicologues se sont intéressés aux plastiques de grande taille dans les milieux marins et à leur dégradation chimique, biologique, mécanique…
En ce qui concerne les microplastiques, voire les nanoplastiques, ils peuvent être ingérés par les poissons, les mollusques, les crustacés… Et nous, les humains, nous mangeons ces animaux marins. On est donc exposé via notre alimentation. D’autres denrées alimentaires contiennent ces particules de plastique : le sel, la bière, le miel… Il y en aussi dans l’air ambiant. Les nanoplastiques sont particulièrement difficiles à détecter car tout petits.
« On ne sait pas encore détecter ni quantifier les nanoplastiques dans des milieux biologiques complexes »
indique Muriel Mercier Bonin.
Mais quel est l’impact de ces petits plastiques sur notre santé ? Muriel Mercier Bonin travaille sur l’intestin comme barrière et cible de ces contaminants émergents.
Un rapport de WWF indique que l’on ingèrerait l’équivalent d’une carte de crédit par semaine. Mais aucune étude scientifique n’a apporté des éléments de preuve à ce jour. Une autre étude sur 8 volontaires a révélé des microplastiques dans leurs selles (quelques µm à des dizaines de µm).
Le plastique est un vecteur d’autres contaminants chimiques. Il peut en effet absorber des contaminants de par ses propriétés hydrophobes. Il peut transporter des antibiotiques mais également des bactéries pathogènes, qui peuvent se retrouver dans la chaîne alimentaire.
En 2018, des scientifiques chinois ont exposé des souris à des microplastiques de polystyrène de taille différente pendant plusieurs semaines. Puis ils ont regardé leur microbiote intestinal. La fonction de protection de la barrière intestinale était altérée. Le mucus, un gel qui tapisse et protège la muqueuse intestinale, était modifié. Une thèse co-dirigée par Muriel Mercier Bonin est en cours depuis un an sur des modèles in vitro de digestion de particules de polyéthylène. Le polyéthylène représente 40% de la production de plastique et est largement utilisé dans le domaine de l’emballage. La composition du microbiote intestinal est observée.
Pour Muriel Mercier Bonin, la prochaine étape est de déterminer le devenir, la toxicité et les effets sur la santé des micro et nanoplastiques, pour une meilleure évaluation du risque et une utilisation plus raisonnée des plastiques dans une économie circulaire saine et durable.
Véronique Gayrard est enseignante-chercheuse en physiologie à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT) et responsable de l’équipe intitulée « Gestation et perturbation endocrinienne » de l’Unité mixte de recherche Toxalim (UMR 1331 - Université Toulouse III - Paul Sabatier, INRAE, Toulouse INP, ENVT).
Muriel Mercier Bonin est chercheuse INRAE et travaille également dans le laboratoire Toxalim.
Références bibliographiques
- Corbel T, Gayrard V, Viguié C et al. Bisphenol A Disposition in the Sheep Maternal-Placental-Fetal Unit: Mechanisms Determining Fetal Internal Exposure. Biology of Reproduction 2013, 11: 1-9
- Gayrard V, Lacroix MZ, Grandin FC et al. . Oral Systemic Bioavailability of Bisphenol A and Bisphenol S in Pigs. Environmental Health Perspectives 2019, 127:77005.