Hésitation vaccinale : quand le doute s’installe

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Vivant・Santé

Hésitation vaccinale : quand le doute s’installe

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La résistance à la pratique de la vaccination est nommée par l’Organisation mondiale de la santé  : « hésitation vaccinale ». Quelles sont les difficultés sociales, médicales et scientifiques qui nourrissent ce doute, en ces temps de pandémie de Covid-19 ? Focus sur ce phénomène en ce mois de mars 2021.

Par Anne-Marie DUGUET, Patrick CALVAS et Bettina COUDERC, enseignants-chercheurs à l’Université Toulouse III – Paul Sabatier. Remerciements à Catherine DUPRE-GOUDABLE Michel CLANET, Vincent GREGOIRE-DELORY et Jacques LAGARRIGUE pour leur aide et le soutien apporté par l’Espace de Réflexion Éthique Occitanie.

 

La pandémie de Covid-19 a généré une course aux vaccins sans précédent et quatre d’entre eux ont obtenu une mise sur le marché en France. Dès l’annonce de la disponibilité probable d’un vaccin, des enquêtes dans plusieurs pays ont montré que les intentions de vaccination contre la Covid19 étaient inférieures à celles constatées pour les autres vaccins.

Cette résistance à la pratique de la vaccination est un phénomène planétaire, que l’organisation mondiale de la santé qualifie d’« hésitation vaccinale ». Ce phénomène proviendrait de l’atteinte à la liberté individuelle, de l’incertitude scientifique et plus généralement des risques pour la santé (selon la publication de Jocelyn Raude).

Il nous a paru nécessaire de comprendre quelles sont les difficultés qui nourrissent le doute face à l’intérêt de la vaccination pour soi et pour le collectif ?

 

L’hésitation vaccinale avant la COVID-19 et sa campagne de vaccination

En 2009, les Français n’ont pas adhéré à la campagne de vaccination contre la grippe A(H1N1). L’enquête de l’INSERM (sur un échantillon de 2 253 individus représentatifs des adultes âgés de 18 à 64 ans) a montré que seuls 17% étaient vaccinés ou en avaient l’intention (les groupes avec des comorbidités expriment quant à eux une acceptabilité du vaccin de 40%). Les raisons pour se faire vacciner, parmi ces 17%, étaient de se protéger pour ne pas être malade à 74,5%, protéger ses proches à 68,8%, alors que les raisons majoritaires de refuser parmi les 83% de l’échantillon étaient l’absence de sécurité du vaccin (effets à long terme inconnus) et les effets secondaires plus immédiats. Sur la perception du danger de la grippe A(H1N1), seulement 65% des français ont jugé cette grippe comme une maladie grave. On peut comprendre que finalement le petit nombre de cas atteints par cette grippe en France au moment de la vaccination a facilité cette réticence.

Pour la COVID-19, la perception de la gravité de la maladie est autre, variable selon les couches de populations. Parmi 15 pays internationaux (Inde, Chine, Etats-Unis, Japon, Mexique, Brésil, Allemagne, Italie, Royaume-Uni, etc.), un sondage IPSOS en octobre 2020 plaçait la France en queue du peloton des pays adhérents à une vaccination contre le SRAS-CoV-2 avec 54%  d’intentions favorables.

Pour les plus âgés, la crainte des formes graves est bien réelle expliquant un taux de vaccination de 80% dans les EHPAD. Pour la population générale, il apparait que l’adhésion à la vaccination soit en hausse à mesure que la campagne de vaccination s’étend. L’enquête menée mi-février sur des échantillons représentatifs de 1000 adultes de six pays (France, Royaume Uni, Allemagne, Japon, Etats Unis, Suède) publiée par le cabinet Kekst CNC montre que 59% des Français seraient disposés à se faire vacciner contre 40% en décembre. Actuellement en Suède 76% sont favorables et 89% au Royaume Uni. Sur la mise en place de la vaccination, 77% des Britanniques sont satisfaits contre 28% aux Etats Unis, 23% en Allemagne, 19% en Suède, 18% en France, 17% au Japon.

 

Efficacité et effets indésirables des vaccins

Actuellement, quatre vaccins sont autorisés en France. Les premiers ayant reçu l’autorisation de mise sur le marché sont les vaccins à ARN, ils reposent sur un concept connu depuis une dizaine d’années. Ilsutilisent les capacités des molécules d’ARN de produire la protéine reconnue comme étrangère par l’organisme de l’hôte (Pfizer/BioNTech et Moderna). Des vaccins plus classiques consistent à introduire une partie du génome du vaccin dans un virus inactivé qui sert de vecteur (Astra Zeneca et Janssen). Le vaccin Janssen, de Johnson & Johnson s’administre en injection unique, contrairement aux 3 précédents qui nécessitent 2 injections.

Une efficacité annoncée de 90% signifie que parmi l’ensemble des patients vaccinés, le nombre des malades ayant développé la maladie du fait d’une contamination naturelle représente 10%. Dans le monde, aucun effet indésirable grave n’a été rapporté durant les essais. Rappelons ici qu’en France, tous les événements indésirables (attendus ou non attendus) sont signalés à l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Ils peuvent être une coïncidence ou non et ces évènements indésirables font l’objet d’une analyse pour savoir s’ils doivent être attribués au vaccin (imputabilité). Les réactions générales habituelles de la vaccination (effets attendus) telles que fièvre, malaise et céphalées ont été rapportés.

Il est encore impossible de juger d’effets indésirables au long cours, c’est pourquoi une surveillance renforcée a été mise en place par l’ANSM pour évaluer en temps réel la sécurité des vaccins administrés en France. Un suivi hebdomadaire est effectué par les centres de pharmacovigilance, discuté collégialement par un comité de suivi puis publié. Au 4 mars 2021, pour le vaccin AstraZeneca, 3013 cas d’effets indésirables de toute nature ont été enregistrés (syndromes pseudo grippaux souvent de forte intensité) et 1 cas de thromboses multiples en France. L’Agence européenne des médicaments (EMA) a recensé 30 cas de thrombose pour la population européenne vaccinée qui ne sont pas plus nombreux que dans la population générale et aucun élément n’indique que la vaccination ait entrainé ces troubles. Plusieurs pays européens dont la France ont suspendu provisoirement la délivrance de ce vaccin, en application du principe de précaution, mais la corrélation avec le vaccin n’est pas établie. L’EMA a assuré le 18 mars que le vaccin était sûr et efficace et qu’il avait des bénéfices bien supérieurs aux risques éventuels. La Haute autorité de santé (HAS) a donc de son côté recommandé de reprendre la campagne de vaccination avec le vaccin AstraZeneca en la limitant aux sujets de plus de 55 ans.

 

Des questions éthiques : entre liberté individuelle et protection de la santé publique

Pendant la période de développement pharmaceutique, labsence de communication publique des résultats des essais cliniques des vaccins ARN a nourri lincertitude et déclenché des réactions de certains médecins de ville qui mettent en avant labsence de recul sur les effets indésirables. D’après une enquête menée par internet et par téléphone entre le 6 octobre et le 15 novembre 2020 auprès de 1 200 médecins, 45% d’entre eux sont daccord pour dire quun vaccin développé dans lurgence noffre pas de garanties suffisantes de sécurité.

Ce climat sest révélé très favorable aux positions anti-vaccins qui constituent un front de contestation de la vaccination dans de nombreux pays occidentaux au motif que la vaccination est une contrainte de l’État qui réduit les libertés individuelles et quelle comporte des dangers.  En Allemagne le mouvement anti-vaccin toucherait 15% de la population en faisant alliance avec les anti-masques. Aux USA, le scepticisme semble toucher près de la moitié de la population entrainant une baisse de la couverture vaccinale contre la rougeole dans les États ruraux comme le Kansas. Ce climat nourrit une méfiance vis-à-vis de la stratégie vaccinale contre la COVID-19.

En France, la Ligue nationale pour la liberté des vaccinations a été créée en 1954 pour sopposer à lobligation vaccinale. Toujours active depuis, elle a contesté en justice le passage en 2018, de 3 à 11 vaccins obligatoires pour les enfants. Le Conseil dÉtat, dans un arrêt du 6 mai 2019 (décision n° 419242) a considéré que lextension du nombre de vaccins obligatoires n’était pas contraire au droit à lintégrité physique et au respect de la vie privée car elle est justifiée par la protection de la santé publique. La demande de 3000 personnes sopposant aux sels daluminium dans les vaccins a été rejetée dans la même décision au motif que le rapport bénéfices/risques était favorable puisque les sels daluminium sont des adjuvants utilisés depuis 1920 et augmentent la réponse immunitaire.

Le cas très spécial de la vaccination chez les professionnels de santé

Pour les professionnels de santé, la loi impose une vaccination contre l’hépatite B, la diphtérie, le tétanos, la poliomyélite. Mais cette obligation n’est pas toujours respectée et aucune mesure coercitive n’est proposée pour enjoindre les non vaccinés à s’y soumettre. Fin décembre seulement 32% des personnels des EHPAD envisageaient de se faire vacciner contre la COVID. Il s’agit pourtant  d’un devoir éthique qui vient d’être rappelé par les ordres professionnels le 7 mars 2021, puisque l’ensemble des professionnels sont éligibles à la vaccination. «  Responsabiliser les professionnels est préférable à l’exercice d’un contrôle »  déclare Emmanuel Hirsch. L’Académie nationale de médecine dans son communiqué du 9 mars rappelle que la population des soignants est à l’origine de 34% des cas groupés d’infections nosocomiales à SARS-CoV-2.

 

Se vacciner pour atteindre l‘immunité collective ?  

L’immunité collective après la contamination naturelle par le SARS-CoV-2 peut conduire à l’extinction spontanée de l’épidémie. Pour l’atteindre il faudrait que 60% de la population d’un pays ait présenté la maladie, à partir de la forme « initiale » du virus ou de ses formes « faiblement » mutées.

L’immunité collective post vaccinale vise le même objectif. En admettant une adhésion massive à la vaccination, elle ne pourra dans ces conditions être obtenue qu’au terme de la vaccination des actifs soit la 4ème phase de la politique de vaccination définie par l’HAS. Vacciner le plus grand nombre est aujourd’hui questionnable. Si les vaccins actuels se révèlent efficaces contre les variants apparus, personne ne peut malheureusement encore se prononcer sur leur efficacité contre de futurs variants encore inconnus. D’autre part, la maladie semble le plus souvent bénigne chez les sujets, jeunes et en bonne santé et ceci interroge quant à la nécessité d’atteindre un seuil de protection collective. L’adhésion de cette frange de la population à la vaccination n’est d’ailleurs pas acquise. Il faudra donc longtemps pour que 60% de la population soit vaccinée afin d’obtenir l’immunité collective. Toutefois le désir de sorties et de voyages et la nécessité de détenir un « Digital Green Certificate » prévu pour le mois de mai par la commission européenne pourra inciter la frange plus jeune et mobile de la population française à accepter la vaccination.

En revanche, la vaccination contre la Covid-19 présente un autre bénéfice confirmé par les essais cliniques : la réduction du nombre des formes graves chez les sujets vulnérables. La HAS a choisi de débuter la campagne de vaccination en fonction des critères de vulnérabilité et le risque d’exposition au virus. Ces deux critères sont réunis chez les résidents des EHPAD. Début mars, 80% d’entre eux ont été vaccinés et l’effet positif de cette vaccination se traduit par la diminution des hospitalisations chez les plus âgés et la réduction de l’âge moyen d’hospitalisation de 10 points. En raison de cette bonne couverture vaccinale, les mesures contraignantes dans ces établissements sont levées progressivement.

 

Oscillation entre doute et espoir

L’hésitation vaccinale n’est donc pas un phénomène nouveau et les vaccins ont toujours suscité un rejet ou une défiance sur une faible part des populations. Les vaccins anti-COVID n’y échappent pas.  Seulement une part des raisons invoquées dans le sondage IPSOS d’octobre 2020 relève du domaine du rationnel : la rapidité d’élaboration des produits, le manque initial d’information, l’incertitude sur l’efficacité et la possibilité d’effets secondaires au moins à long terme. L’autre part moins facilement analysable diffère selon le niveau d’éducation, le genre, l’âge, la perception du risque de contagion…

Pourtant jamais d’étude à une aussi grande échelle n’avait précédé l’utilisation clinique d’un vaccin, révélant des résultats positifs et des effets secondaires habituels. Paradoxalement, la côte de confiance tombait en France à 40% d’intention vaccinale en décembre. Puis comme si l’exemple de la vaccination de proches, en particulier de sujets fragiles, serait équivalent à l’essai clinique, les intentions vaccinales remontaient autour de 60% début 2021. Les doutes sur la vaccination se focalisent plutôt aujourd’hui en France sur les effets indésirables du vaccin Astrazeneca alors qu’il y a quelques semaines, les craintes se concentraient plutôt sur la nouvelle technologie à ARN, du vaccin Pfizer en particulier …  L’intention vaccinale n’a donc probablement pas encore cessé de fluctuer …