L’impact du réchauffement sur les espèces se confirme

Partagez l'article

Vivant・Santé

L’impact du réchauffement sur les espèces se confirme

Métatron de Saint-Girons (Ariège)
Les 48 cages interconnectées du Métatron permettent de soumettre les espèces vivantes à des variations de température, de lumière et d’humidité et d’étudier leurs mouvements en réponse à ces changements environnementaux. © Elvire Bestion

Les chercheurs de la Station d’écologie expérimentale de Moulis (Ariège) démontrent qu’en réponse à des températures plus élevées, les espèces animales étudiées se développent plus vite, mais leur survie diminue à l’âge adulte.

Cet article fait partie du dossier

LE DÉFI CLIMATIQUE Comprendre, lutter, s'adapter

Lire le dossier

Par Jean-François Haït, journaliste scientifique.

Derrière une zone industrielle banale à l’entrée de Saint-Girons (Ariège) se cache un instrument scientifique unique au monde : le Métatron. Sur une prairie, dont une partie est une zone humide, sont posées 48 cages connectées par des corridors d’environ 20 mètres de long. Vu du ciel, ensemble figure un circuit électronique géant. C’est l’équipement phare de la Station d’écologie expérimentale de Moulis, implantée une quinzaine de kilomètres dans le village du même nom.

« Dans chaque cage, on peut modifier la température et la lumière grâce à un système d’ombrage, ou encore contrôler l’humidité par arrosage »

explique Olivier Guillaume, ingénieur de recherche responsable des infrastructures.

Les chercheurs de Moulis y lâchent lézards, crapauds, tritons, papillons ou libellules, et observent leurs déplacements, selon les conditions auxquelles ces animaux sont confrontés. Ils étudient en particulier les effets causés par l’homme : la fragmentation des habitats naturels, et le changement climatique, devenu une thématique forte de Moulis.

« Aujourd’hui, nous publions les premiers résultats d’envergure depuis que le Métatron est devenu réellement opérationnel en 2012 »

se félicite Jean Clobert, le directeur de la Station.

Julien Cote, chercheur au laboratoire Évolution et diversité biologique, et sa doctorante Elvire Bestion ont reproduit dans les cages les conditions de température que l’on rencontrera dans 50 ou 60 ans, soit deux degrés de plus qu’aujourd’hui. Des populations de lézards y ont été soumises. « On observe que leur croissance est plus grande, leur développement plus rapide et leur reproduction plus précoce. Mais la survie à l’âge adulte baisse de 20 % par rapport à celle des individus qui n’ont pas été soumis à une élévation de température. Le réchauffement induit donc une accélération du rythme de vie. La conséquence, pour la population étudiée, c’est une possible extinction en dix à vingt ans », explique Julien Cote. Sombre perspective...

Certes, l’extinction d’une population animale ne signifie pas celle de l’espèce, dont la zone de distribution peut être très large. Mais les résultats obtenus mettent en évidence le risque majeur d’extinctions à l’échelle de régions. C’est pourquoi les scientifiques de Moulis mènent aussi des observations sur le terrain. Ils suivent notamment une population de lézards des Cévennes depuis 26 ans. « Sur ces animaux, nous observons, comme dans le Métatron, une taille plus importante et un nombre d’œufs plus grand. Nous n’avons pas encore d’éléments concernant la survie à l’âge adulte », explique Jean Clobert.

La reproduction, la croissance et même la couleur des animaux atteints

Le changement climatique induit d’autres modifications. Sur le site de Moulis, on élève en cage des femelles de lézards vivipares. En pénétrant dans le local, la chaleur et l’humidité règnent et on entend le chant des grillons qui servent de repas aux lézards. « Nous avons constaté des variations de couleur chez ces animaux. C’est pourquoi nous étudions l’adaptation au changement climatique en mesurant notamment le degré de mélanisme : les lézards s’éclaircissent‑ils pour absorber moins de chaleur, ou de-viennent-ils plus foncés afin d’être davantage protégés des ultraviolets ? Nous n’avons pas encore la réponse », souligne Julien Cote.

Autre constat : celui d’une "préférence thermique" : lorsque les femelles sont soumises expérimentalement à des températures plus élevées que la normale, leur progéniture affiche une préférence pour des températures plus basses. Le réchauffement climatique aurait donc des effets sur la descendance. Julien Cote s’intéresse aussi au microbiote des lézards, c’est-à-dire à la flore microbienne de leur système digestif. Avec Elvire Bestion, il a montré qu’avec des températures plus élevées, la diversité en bactéries baisse de près de 20 %. Or, que ce soit chez le lézard ou chez l’homme, le microbiote joue un rôle fondamental dans la digestion, donc sur la santé des individus. Son appauvrissement peut donc avoir des conséquences sur les populations.

De l'individu à l'écosystème

Mais étudier les espèces à l’échelle de l’individu ou de la population ne suffit pas. Il faut aussi comprendre les phénomènes l’échelle de l’écosystème. À Moulis, c’est l’objectif du Centre de théorie et modélisation de la biodiversité dirigé par Michel Loreau. « Nous développons des modèles mathématiques pour prédire la stabilité des écosystèmes, notamment face au changement climatique, explique-t-il. Ces modèles montrent que les écosystèmes riches en espèces s’en sortent mieux à court terme. Les espèces survivantes peuvent s’équilibrer quelque temps. Mais cela ne peut durer. »

Des travaux publiés par l’équipe ont montré que le changement climatique pourrait par exemple " désynchroniser " une plante et son insecte pollinisateur : tous deux sont actifs plus précocement, mais pas à la même vitesse. Avec, à terme, la possibilité d’une disparition du système. Aujourd’hui, Michel Loreau souhaite aller plus loin et intégrer l’être humain dans les modèles, pour étudier sur le long terme la stabilité de notre mode de développement actuel.

Simuler les mares et les rivières

Pour mieux étudier l’impact des changements de l’environnement sur les espèces, Moulis va bénéficier de moyens supplémentaires sous forme d’une dotation de 5,5 millions d’euros dans le cadre du deuxième Contrat de plan État-Région. En projet notamment : étudier les écosystèmes aquatiques grâce à un " Métatron aquatique " qui sera composé de 95 bassins communicants pour reproduire un réseau de mares, ainsi qu’un système simulant sur 100 mètres le cours d’une rivière. L’ " hydroécologie " va en outre bénéficier d’un nouveau bâtiment, qui accueillera trois nouvelles équipes représentant jusqu’à 45 personnes supplémentaires.

Glossaire

  • Métatron : de « méta » = réseau (de populations et d’écosystèmes) et « tron » = suffixe générique pour désigner un système expérimental.
  • Mélanisme : coloration noire de la peau, des plumes ou des poils due à un pigment, la mélanine.

 

Bourse Advanced grant

Michel Loreau a obtenu une bourse advanced grant du Conseil européen de la recherche (ERC). Son projet " Biostases " vise à mieux prédire les changements environnementaux et la stabilité des écosystèmes, et à intégrer une dimension sociale dans les modèles d’écosystèmes.

Référence bibliographique : "Live fast, die young: experimental evidence of population extinction risk due to climate change", par E. Bestion, A. Teyssier, M. Richard, J. Clobert et J. Cote, Plos Biology, sous presse.

Station d’écologie expérimentale de Moulis – SEEM – rattachée depuis ses origines au CNRS, et partenaire du Labex Tulip, Moulis est une unité mixte de service et de recherche avec l’Université Toulouse III – Paul Sabatier depuis janvier 2016. Le MNHN est également une de ses tutelles.

Évolution et diversité biologique – EDB – Université Toulouse III – Paul Sabatier, CNRS, ENSFEA : École Nationale Supérieure de Formation de l'Enseignement Agricole. Ce laboratoire est membre du Labex Tulip.