Détectives des océans
Fédérer les spécialistes des éléments chimiques "en traces" pour mieux connaître les océans : tel est l’objet du programme GEOTRACES, dans lequel Toulouse joue un rôle majeur.
Par Jean-François Haït, journaliste scientifique.
Ils sont présents à des concentrations infinitésimales dans les océans. Pourtant, les "éléments traces" ont une importance fondamentale. Les micro-organismes marins (phytoplancton), à la base des écosystèmes et de la chaîne alimentaire, ont en effet besoin de fer, cobalt, cuivre, zinc… pour être capables d’absorber le carbone et l’azote qui les constituent. D’autres éléments, au contraire, sont toxiques : plomb ou mercure, dégagés notamment par les activités humaines. D’autres encore (thorium, actinium...) sont des témoins précieux de cycles lents : ils permettent de chronométrer la vitesse de chute des sédiments vers le fond des océans ou la circulation des masses d’eau. Étudier ces éléments implique de recueillir et d’analyser avec une précision extrême des échantillons d’eau sur toutes les mers du globe.
« La recherche dans les océans se fait sur de grandes échelles d’espace et de temps : il est donc nécessaire de collaborer au plan international »
explique Catherine Jeandel, océanographe et géochimiste au Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales (LEGOS).
La recherche dans les océans se fait sur de grandes échelles d'espace et de temps
De ses discussions au début des années 2000 avec ses collègues, dont l’Américain Bob Anderson, de l’Université Columbia, naît le projet GEOTRACES, destiné à fédérer les spécialistes du domaine. Le meeting fondateur se tient à Toulouse en 2003, les campagnes par zones (Atlantique, Pacifique, Océan Indien...) débutent en 2010.
« Aujourd’hui, 35 pays sont impliqués »
souligne Catherine Jeandel.
En France, 50 scientifiques collaborent à GEOTRACES, dont 15 à Toulouse, où se trouve le bureau international du projet.
Cette organisation permet notamment de coordonner des opérations d’inter-calibration régulières entre les membres, afin d’obtenir des données homogènes de haute qualité. « Nous faisons en même temps du capacity building : au début, seuls quatre laboratoires savaient doser le fer dans l’océan. Maintenant, il y en a une vingtaine, y compris en Inde et en Chine », souligne Maeve Lohan, de l’Université de Southampton (Royaume-Uni). Les données sont ensuite mises en accès ouvert. Elles ont déjà généré nombre de publications scientifiques, dont la démonstration que la source principale du fer océanique n’était pas, comme on le croyait, les poussières transportées par l’atmosphère, mais les sédiments qui se déposent le long des continents.
À ce jour, GEOTRACES totalise 93 campagnes en mer. L’année 2014 a vu la première publication de données et d’un atlas des éléments traces dans l’océan en 2D et 3D (profondeur). L’année 2017 verra la seconde mise à disposition des données du projet dont l’achèvement est prévu pour 2025. « L’Arctique est bouclé, l’Atlantique presque terminé, il reste encore un gros travail dans le Pacifique, et surtout le plus difficile : l’Antarctique, résume Catherine Jeandel. Plusieurs pays devront joindre leurs efforts pour y parvenir. »
Améliorer les modèles de climat
Les micro-organismes des océans constituent une pompe biologique pour le CO2 présent dans l’atmosphère. Comme ceux-ci ont besoin de fer (mais aussi cuivre, zinc, cobalt…) pour se développer, les modèles de distribution de ces éléments dans l’océan sont intégrés aux modèles de prévision climatique du GIEC. Problème : la fiabilité de ces modèles de distribution était jusqu’à présent mal connue. Les données GEOTRACES vont permettre de tester ces modèles, et donc d’améliorer les prévisions climatiques.
LEGOS : Laboratoire d’études en géophysique et océanographie spatiales – LEGOS – CNRS, IRD, Université Toulouse III – Paul Sabatier, CNES
GIEC : Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, qui regroupe des milliers de scientifiques.