Retarder le vieillissement repenser le temps

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Cultures・Sociétés

Retarder le vieillissement repenser le temps

© Fiamma Luzzati
© Fiamma Luzzati

Pour Paul-Antoine Miquel, philosophe et spécialiste des systèmes biologiques, vieillir ne se résume pas à un déterminisme génétique. Lorsque les biologistes comprendront réellement le vivant, les philosophes devront réinterroger la notion de temps.

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VIEILLIR sans être vieux

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Propos recueillis par Camille Pons, journaliste scientifique.

Comment vous êtes-vous intéressé à la question du vieillissement ?

Paul-Antoine Miquel : Par le biais de rencontres. J’étais élève d’Henri Atlan durant mon doctorat. Ce célèbre chercheur a essayé de faire de la biologie théorique, c’est-à-dire de comprendre ce qu’est un système biologique. Et l’un de mes premiers travaux a consisté à critiquer l’usage des métaphores informatiques en biologie. Les théoriciens des années 1960 à 1980 affirmaient que le cerveau, puis le génome étaient des programmes informatiques. Pour étayer cette critique, j’ai dû m’intéresser aux mécanismes de la vie. J’ai alors découvert les recherches d’un spécialiste de la biologie du vieillissement, Ladislas Robert. Il critiquait aussi la notion de programme informatique, et avait montré que le vieillissement ne passe pas que par les gènes, mais est aussi conditionné par notre alimentation, notre mode de vie...

Qu’apportez-vous en tant que philosophe ?

PAM : En général, un biologiste théorise peu. Le rôle du philosophe peut être d’éclaircir les concepts, d’introduire une idée, un schème, afin de nourrir la réflexion du scientifique. Il a aussi un rôle critique. L’une de ces idées est qu’on ne peut réduire le vieillissement à un programme informatique, car il n’est pas automatisé. Ce n’est pas non plus une simple machine qui s’use. On doit au contraire comprendre le système biologique comme un système ouvert, capable de s’organiser, de transformer le désordre en ordre...

Y a-t-il des exemples qui montrent que c’est un système ouvert ?

PAM : Des biologistes, dont Leonard Guarente, ont travaillé sur les mécanismes de régulation de l’ADN chez la levure, qui est un champignon unicellulaire, et chez un ver, le nématode. Ils se sont aperçus que la surexpression de certains gènes mais aussi une restriction calorique ralentissaient le vieillissement. Un autre chercheur, Hugo Aguilaniu, avec qui je travaille, a découvert que si on gagnait en fécondité, on perdait en vieillissement et inversement.

Peut-on penser une société dans laquelle le vieillissement sera retardé ?

PAM : Je pense qu’on pourra retarder le vieillissement quand on saura expliquer l’organisation des systèmes biologiques. Si on y parvient un jour, les scientifiques auront alors le pouvoir de modeler l’humain et son environnement. Très peu de philosophes se sont penchés sur ce sujet sérieusement, même dans le domaine plus spécialisé de la philosophie de la biologie. Ce qui me semble central pour un philosophe, c’est d’arriver à comprendre en quoi le temps biologique diffère du temps physique. Le jour où on comprendra mieux ce point, une nouvelle vision de la nature émergera.

Références bibliographiques : Robert Ladislas et Paul-Antoine Miquel. Bio-logiques du vieillissement. Editions Kimé, 2004

Portrait Miquel
Paul-Antoine Miquel est philosophe au laboratoire ERRAPHIS (Équipe de recherche sur les rationalités philosophiques et les savoirs) de l’Université Toulouse – Jean Jaurès.