Personnes âgées : quels droits, quelles libertés ?
Les lois du 28 décembre 2015 et du 26 janvier 2016 mettent les personnes âgées au cœur de l’organisation de la société et des soins. Les juristes de l’Université Toulouse Capitole étudient ces textes qui comportent des avancées notables, mais qu’il faudra encadrer pour éviter de porter atteinte aux libertés.
Par Camille Pons, journaliste scientifique.
« Ce que l’on recherche aujourd’hui, ce n’est pas d’allonger l’espérance de vie, c’est de vieillir en bonne santé. C’est cet enjeu qui est au cœur de la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement », résume Anne-Laure Fabas-Serlooten, chercheuse à l’Institut de droit privé de l’Université Toulouse Capitole.
Enjeu qui se traduit également dans les mesures de deux autres nouvelles lois : celle du 26 janvier 2016 relative à la modernisation de notre système de santé, et celle du 2 février 2016 créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie. Les juristes toulousains se sont penchés sur ces textes dont ils ont analysé les apports et les limites. Pour Anne-Laure Fabas-Serlooten, qui a publié ses travaux sur la loi sur l’adaptation de la société au vieillissement dans un article paru en février dans la revue AJ Famille (éditions Dalloz), la plus importante avancée est d’ordre juridique puisque « cette loi regroupe enfin dans un corpus unique la question du vieillissement, alors que jusque-là on la traitait uniquement de manière sectorielle : dans le droit des incapacités, de la famille, de la santé, du travail... ».
Une reconnaissance de la personne âgée et de son droit au bien-vieillir qui se traduit de deux autres manières, selon la chercheuse : la loi " prend en considération le bien-vieillir " en déclarant que « c’est la société qui doit s’adapter aux personnes âgées », et reconnaît ce public « comme un atout pour l’économie et non plus comme un fardeau ». Car « même si elle ne se donne pas tous les moyens d’y parvenir », nuance la chercheuse, cette loi liste une série d’objectifs « visant à faire de la France le leader de la silver économie, en encourageant le développement de l’habitat, du tourisme, des transports, du mouvement associatif en faveur de ces publics ou encore la mixité générationnelle dans les entreprises ».
Pour la première fois, le " bienvieillir" est inscrit dans la loi
Cette place centrale donnée à la personne âgée se traduit aussi dans les orientations de la loi du 26 janvier. L’extension des parcours de santé personnalisés (parcours de santé des personnes âgées en risque de perte d’autonomie – PAERPA), qui avaient été expérimentés par neuf agences régionales de santé depuis 2013, est l’une des principales innovations, selon Isabelle Poirot-Mazères, chercheuse en droit public de l’institut Maurice-Hauriou (IMH) de l’Université Toulouse Capitole, spécialisée dans les logiques d’organisation des soins. Le législateur incite en effet tous les professionnels qui œuvrent dans les secteurs hospitalier, sanitaire, médico-social et social à « élaborer ensemble un projet afin de rationaliser les parcours de soins, éviter les ruptures dans les traitements ou le recours aux urgences », explique la chercheuse. D’autres " pratiques innovantes " sont inscrites dans la loi de janvier mais nécessiteront d’autres évolutions juridiques. C’est le cas de la mesure qui vise à élargir les compétences des paramédicaux (qui concernera notamment les infirmiers), dispositif qui sera susceptible de compenser les manques ou les « déserts médicaux ».
« Cela suppose une évolution des formations, la modification des décrets de compétences et, sur le plan financier, la révision de la nomenclature des actes professionnels »
explique Isabelle Poirot-Mazères.
Les deux chercheuses pointent néanmoins le caractère " liberticide " de certaines mesures. Ainsi, la loi santé autorise par exemple les structures d’accueil à mettre en place des mesures particulières pour assurer l’intégrité physique et la sécurité de la personne et donne enfin un cadre légal aux décisions d’isolement et de contention utilisées en soins psychiatriques. Pour autant, ces mesures « portent atteinte à la liberté de la personne et suscitent des interrogations éthiques », souligne Isabelle Poirot-Mazères. Autre exemple : l’interdiction de « recevoir à titre gratuit » des biens de la personne soignée (hors de la famille), circonscrite jusque-là au médecin, est étendue à toute personne qui prodigue du soin (dispositif pour éviter les captations d’héritage, qui n’était pas inscrit dans la loi mais dans la jurisprudence).
« Si ces mesures ont vocation à protéger la personne âgée, il ne faudrait pas en faire une incapacité déguisée. La loi aurait pu distinguer selon que la personne est ou non en état de manifester sa volonté, même s’il est vrai que c’est un équilibre subtil à trouver. »
estime Anne-Laure Fabas-Serlooten.
La Loi et l’éthique
Les lois du 26 janvier et du 2 février introduisent deux nouveautés : la possibilité de désigner une personne de confiance quand on entre en EHPAD, et celle de faire une sorte de « testament anticipé » dans lequel on peut préciser ce que l’on veut ou ne veut pas en fin de vie. « Quand nous serons consultés sur ces questions, nous serons amenés à réfléchir en termes d’éthique, remarque Isabelle Poirot Mazères, juriste à l’Institut Maurice-Hauriou de l’Université Toulouse Capitole, à travailler autour de questions telles que " est-ce raisonnable ? " ou " est-ce adapté ? ", car le problème de la façon dont le malade peut participer aux décisions est difficile à résoudre d’un point de vue strictement juridique. »