Covid-19 : le développement de médicaments en Europe

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Vivant・Santé

Covid-19 : le développement de médicaments en Europe

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Apparu en Chine en novembre 2019, le virus 2019-nCov ou SARS-CoV-2, responsable de la pathologie Covid-19, se propage en quelques semaines pour devenir une pandémie. Le 24 avril 2020, on comptait 2 591 015 cas et 178 686 décès dans 213 pays du monde. La course aux traitements anti-Covid 19 est lancée. Nicotine, sang de vers marins, anti-viraux (VIH et Ebola), anti-paludique… tout est envisagé. Quelles sont les étapes nécessaires au développement de médicaments à l’échelle européenne ?

Par Éloïse Gennet, Bettina Couderc et Emmanuelle Rial-Sebbag, chercheuses et enseignante-chercheuse au Laboratoire d’épidémiologie et de santé publique (LEASP, UMR 1027, Inserm - Université Toulouse III - Paul Sabatier)

 

Qu’est-ce qu’est (et n’est pas) un essai clinique de médicament ?

Si les essais cliniques n’ont pas tous un objectif commercial, ils sont en revanche un préalable nécessaire à l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché d’un nouveau médicament.

Les études observationnelles ne sont pas des essais cliniques

Si les études sur des traitements contre le Covid-19 se multiplient, beaucoup ne sont pas de véritables essais mais des recherches en laboratoire ou des études observationnelles. Ces dernières doivent, en cas de résultats positifs, être confirmées par de véritables essais cliniques afin d’apporter une preuve scientifique suffisante d’efficacité indispensable à la garantie de la sécurité sanitaire.

C’est d’un tel type d’étude qu’ont émergé les premiers résultats de l’efficacité potentielle de l’hydroxychloroquine. C’est aussi le cas de l’ivermectine dont les résultats très prometteurs n’ont été démontrés qu’in vitro et non sur des patients. C’est également le cas d’une étude chinoise sur l’injection de plasma de patients guéris du Covid-19 à cinq malades.

Les différentes phases des essais cliniques

Les essais cliniques dans la recherche et le développement de nouveaux médicaments correspondent à la validation chez l’homme de résultats obtenus préalablement en laboratoire et/ou chez l’animal. Ils comprennent plusieurs phases décrites ci-dessous.

Après autorisation à la fois d’un comité d’évaluation éthique (comité de protection des personnes (CPP) en France) et de l’Agence européenne des médicaments (EMA) (ou le cas échéant de l’Agence Nationale de Sécurité des Médicaments pour les essais nationaux), l’essai peut commencer.

  • Essai clinique de phase I : première administration sur un nombre restreint de volontaires sains afin de tester la sécurité du médicament et d’en déterminer la dose maximum tolérée.
  • Essai clinique de phase II : test visant à évaluer l’efficacité du médicament sur des patients porteurs de la maladie visée, souvent en comparaison avec le traitement de référence.
  • Essai clinique de phase III ou essais pivots : test visant à affiner les posologies de sécurité et d’efficacité du médicament, et à les comparer par rapport au traitement existant. Cette phase nécessite la participation d’un grand nombre de patients recrutés sur de multiples sites et la plupart du temps à l’échelle européenne si ce n’est mondiale.

La réalisation probante de ces trois phases permet alors l’obtention d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) de l’Union européenne auprès de la Commission européenne, conseillée par l’EMA.

  • Phase IV :

Pharmacovigilance : surveillance par les médecins prescripteurs et les patients des effets du médicament sur la base des données de la vie réelle ;

Études de sécurité et d’efficacité post-AMM : Ces études (volontaires ou imposées par l’AMM) permettent de compléter les données concernant un médicament (par exemple sur des groupes spécifiques de populations). Elles sont observationnelles et s’effectuent sur des patients réels à qui l’on prescrit le médicament conformément à son AMM.

 

Pourquoi réaliser des études à l’échelle européenne ?

Une optimisation des ressources et de l’expertise

Seuls des essais cliniques avec un nombre important de participants, proposeront des données robustes et seront en mesure d’apporter une preuve suffisamment fiable d’efficacité d’un médicament. La démarche européenne permet une optimisation et un renforcement des ressources et de l’expertise. En outre, l’EMA joue un rôle de conseiller scientifique par la mise en place d’un groupe de travail dédié à la pandémie de Covid-19.

Une circulation (et répartition) du médicament sur le territoire européen

Là où une AMM européenne est valable sur tout le territoire européen, les autorisations nationales devront faire l’objet de procédures supplémentaires de reconnaissances mutuelles bilatérales avant de pouvoir circuler. De plus, l’EMA veille à la garantie d’approvisionnement continu en médicament, de lutte contre les pénuries et de juste répartition des stocks, pour tous les médicaments et pour ceux utilisés dans le cadre de la crise sanitaire.

 

Existe-t-il des procédures d’urgence d’essais cliniques ?

En dehors même des phases précliniques, la conduite des phases I à III des essais cliniques dure en moyenne une dizaine d’années. C’est pourquoi il existe en droit européen des autorisations conditionnelles et des procédures accélérées de mise sur le marché, notamment grâce au plan PRIME (PRIority MEdicine). Ces dernières permettent d’évaluer des médicaments visant des besoins médicaux non satisfaits, des maladies graves ou des situations d’urgence, ce qui est indéniablement le cas de la pandémie actuelle. Les données complémentaires des essais cliniques une fois terminés doivent être fournies dans des délais déterminés et contrôlés.

La procédure sera également plus courte pour un repositionnement de médicament. Dans ce cas, des essais sont menés sur un médicament qui, pour une autre pathologie, possède déjà une AMM. Un nouvel essai clinique pourra débuter directement à la phase II ou III pour tester l’efficacité contre le Covid-19 d’un médicament commercialisé. Un groupe d’experts de la Commission européenne a élaboré en mars 2019 une proposition pour guider les investigateurs dans les procédures de repositionnement. Le virus étant encore inconnu en décembre 2019, il serait trop long d’identifier ou générer des molécules innovantes. Les essais cliniques européens du COVID-19 concernent donc en effet majoritairement des repositionnements de médicaments.

 

Un médicament peut-il être utilisé sans autorisation de mise sur le marché (AMM) ?

L’usage hors autorisation de mise sur le marché (hors AMM)

Les médicaments commercialisés peuvent être utilisés en dehors des dosages ou indications prévues par leur AMM. Si cet usage n’est pas anodin – pour rappel, c’est l’utilisation hors AMM du Benfluorex qui a conduit au scandale du Mediator – il est loin d’être exceptionnel. Il est indispensable pour pallier le caractère nécessairement limité des essais cliniques qui, même de grande ampleur, se font sur une petite partie de la population et dans un temps limité. L’usage hors AMM représente au moins 20% du total des prescriptions. Mais surtout, l’usage hors AMM est indispensable pour pallier l’absence de traitements de maladies. Le cas du Covid-19 en est une parfaite illustration puisque tous les traitements utilisés le sont hors de leur AMM. 

Toutefois, l’usage hors AMM d’un médicament se fait à la charge du patient puisqu’il n’est pas pris en charge par le système de sécurité sociale. En outre, le médecin qui prescrit hors AMM engage sa propre responsabilité, ce qui est particulièrement problématique dans l’incertitude qui entoure les questions de sécurité des traitements contre le Covid-19. C’est pour contourner ces problèmes que le gouvernement a autorisé et encadré dans un décret du 25 mars 2020 l’usage de l’hydroxychloroquine et du lopinavir/ritonavir.

Les autorisations temporaires d’utilisation (ATU)

Lorsqu’un médicament n’a pas d’AMM, son utilisation exceptionnelle est possible grâce à l’obtention, au niveau national, d’une autorisation temporaire d’utilisation (ATU). Cette ATU peut être délivrée lorsque la maladie visée est rare ou grave, qu’aucun traitement n’est disponible sur le marché, que le traitement ne peut être différé et que l’état des connaissances scientifiques permet de présumer de son efficacité et sa sécurité (par exemple si ce traitement est autorisé et utilisé dans d’autres pays). Ces ATU peuvent concerner des cohortes de patients ou bien des patients individuellement désignés, et on parle alors d’usage compassionnel.

L’EMA a appelé à l’harmonisation des approches au sein de l’Union européenne des procédures d’usage compassionnel contre le Covid-19 du remdevisir, ce dernier n’ayant pas d’AMM.

 

Quels sont les traitements contre le Covid-19 testés au niveau européen ?

Tous les essais européens sont enregistrés dans le Registre européen des essais cliniques. Nous en présentons ici les principales pistes.

Vaccins

L’EMA est en discussion avec des promoteurs pour une douzaine de vaccins potentiels. À ce jour, seuls deux essais de vaccins ont débuté la phase I au niveau européen, et dureront au moins une année.

Anticorps monoclonaux

Des essais de thérapie ciblée ont débuté afin d’étudier l’activité d’anticorps monoclonaux contre le phénomène inflammatoire massif ou “orage cytokinique” souvent à l’origine des décès dans les formes graves de la pathologie.

Comparaison de quatre traitements : l’essai Discovery

Un essai de phase III a été mis en place par l’Inserm, l’essai Discovery visant à tester 3200 patients et à comparer quatre traitements avec les soins standards. 

  1. L’hydroxychloroquine (Plaquenil) est un médicament utilisé contre la malaria (paludisme), la polyarthrite rhumatoïde ou encore le lupus. Il est un dérivé amélioré de la chloroquine. Dans un communiqué du 1er avril, l’EMA a insisté sur l’absence de preuve de son efficacité et sur la nécessité de limiter son usage aux essais cliniques ou autorisations nationales temporaires pour les cas d’urgence.
  2. Le remdesivir a initialement été développé pour le virus Ebola. Son efficacité n’ayant pas été démontrée lors des essais, aucune AMM n’a été délivrée. L’EMA a publié des recommandations pour une approche harmonisée dans l’Union européenne de la prescription exceptionnelle, grâce à des programmes nationaux d’usage compassionnel, de remdevisir pour les patients atteints de Covid-19.
  3. et 4. L’association lopinavir/ritonavir (Kaletra) est indiquée pour les patients atteints de VIH. L’association est testée en elle-même, et elle est aussi testée lorsque co-administrée avec l’interferon bêta. Présent dans une douzaine de médicaments commercialisés, l’interferon bêta, est une protéine qui aide le système immunitaire et est utilisée comme traitement pour la sclérose en plaques.

Les premières tendances et conclusions sur l’efficacité de ces traitements dans le cadre de l’essai Discovery ne sont pas attendues avant fin avril 2020 au plus tôt.