Protection des mineurs contre la pornographie : une loi pour rien ?

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Droit・Entreprises

Protection des mineurs contre la pornographie : une loi pour rien ?

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© Adobe Stock pour UT Capitole

[Comprendre pour entreprendre] Fabrice Prigent, responsable "infrastructure système et réseau" à l'Université Toulouse Capitole, a établi une liste, automatiquement mise à jour, de l’ensemble des sites pornographiques mondiaux. Un travail de fourmi qui permet à l’Éducation Nationale de bloquer leur accès. Plus efficace que la loi très symbolique qui vient d’être adoptée ?

Propos recueillis par l'équipe du magazine Comprendre pour entreprendre de l'Université Toulouse Capitole. Entretien publié initialement le 3 décembre 2020.

Vous avez établi une liste noire pour aider les administrateurs à réguler l’usage d’internet, et en particulier à mieux protéger les mineurs. Qui en sont les utilisateurs ?

Fabrice Prigent : Ma base de données est en accès libre et gratuit. Elle est utilisée par plusieurs académies et universités, mais aussi par des bibliothèques. La circulaire Darcos de 2004 avait recommandé dans chaque école, un système pour sécuriser l'accès à internet. La ministre déléguée à la Recherche et aux Nouvelles Technologies de l’époque avait alors diligenté une enquête pour savoir comment étaient protégés les établissements, et s’était rendu compte que la quasi-totalité d'entre eux utilisaient mon outil. Elle en a, de facto, fait le standard, ce qui explique la recommandation du ministère de l'éducation, d'utiliser ma base également. Le gouvernement américain, ainsi que de nombreuses universités dans le monde, l’ont également téléchargée. Cette base se compose de nombreuses catégories, qui peuvent être bloquées ou autorisées, et, une fois installées, agissent comme des filtres. Le filtre pornographique est enrichi de 50 à 300 nouvelles adresses par jour. J’ai déjà recensé deux millions de sites pornographiques.

Pourquoi avez-vous pris cette initiative ?

Cela remonte à plus de vingt ans. À l’époque, je travaillais à l’université de Belfort. Je me suis rendu compte qu’un tiers de la bande passante était consommée par des sites pornographiques. Or, on avait une toute petite bande passante, donc il fallait à tout prix bloquer ces sites. J’ai commencé à travailler sur un modèle statistique capable d’explorer Internet. J’ai ensuite amélioré le robot, pour qu’il sache remplir ma base de données de façon autonome. Puis les utilisateurs m’ont demandé d’autres applications, comme par exemple le blocage de sites de paris interdits par l’État. De temps en temps, le ministère de l’Éducation Nationale nous appelle pour bloquer un nouveau site pornographique. Les entreprises de ce secteur rachètent souvent des sites abandonnés (les droits n’ont pas été renouvelés) ayant acquis une bonne réputation sur les moteurs de recherche.

Comment procédez-vous pour mettre à jour cette base et comment expliquer son succès ?

Le robot est entraîné à détecter les sites pornographiques, grâce à des mots clés, plus faciles à identifier que pour les autres thématiques. La liste est automatiquement mise à jour, grâce à l’exploration de pages référencées, l’utilisation d'index déjà connus et de moteurs de recherche. Deux à trois fois par semaine, je relève l’exploration réalisée par le robot et par une dizaine de contributeurs bénévoles, dont certains à l’étranger.

Ma base contient des milliers de mots et expressions dans une trentaine de langues. Le robot met une note à chaque site détecté. Si la note dépasse 35, il le met en quarantaine, ce qui m’épargne les pires sites pédophiles. Entre 5 et 35, c’est à moi de vérifier manuellement. Le robot intelligent est également capable de situer un mot dans son environnement. Il sait par exemple que « sein » à côté de « cancer » ne relève pas du registre pornographique. La plupart des bases gratuites finissent par être abandonnées, d’où le succès de la mienne.

Une loi a été votée en juin 2020, afin de renforcer les conditions d’accès aux sites pornographiques et de mieux protéger les mineurs. Mais son efficacité est contestée, pourquoi ?

L’amendement voté le 10 juin 2020 par le Sénat, dans le cadre de la loi sur les violences conjugales, vise à bloquer pour les mineurs, de manière plus efficace, l’accès aux sites pornographiques gratuits. Ces sites sont tenus de s’assurer que leur public a plus de 18 ans, via une procédure plus sophistiquée qu’une simple case à cocher, en demandant par exemple un numéro de carte bleue ou une carte d’identité.

L’idée est louable, mais je pense que cette loi va surtout entraîner une augmentation des procédures de contournement, par exemple via l’utilisation d’un VPN, c’est-à-dire d’un téléporteur qui masque l’emplacement de l’ordinateur. En effet, si l’emplacement n’est pas indiqué en France, le site ne demandera pas de décliner une identité numérique. De plus, cet impératif de protection des mineurs se heurte aux principes fondamentaux du respect de la vie privée et de la liberté d’expression. Le gouvernement avait envisagé le recours à France Connect pour stocker les données de cartes bleues, mais la piste a été abandonnée. Il faut trouver l’équilibre entre la liberté individuelle et la protection de la société.

Y a-t-il des alternatives non juridiques pour protéger les mineurs ?

Le plus efficace, selon moi, serait de faciliter la vie des parents, en leur proposant des outils de protection pour la maison, par exemple des verrouillages DNS, à activer via une manipulation simple. Ce type d’outils est compatible avec la liberté individuelle. Mais ils sont techniquement plus compliqués à installer, tout comme les contrôles parentaux des systèmes d’exploitation. Il faudrait sans doute que les fournisseurs d’accès à internet proposent ce genre de service, sous la forme d’un simple code à activer sur sa box. Un administrateur de système de réseau est capable de bloquer ce qu’il veut et de rendre compliquées les procédures de contournement. Mais il faudrait une méthode plus simple pour l’usage domestique.

 

Comprendre pour entreprendre