Quand les femmes en armes bousculent l’histoire, avec Véronique Garrigues
Souvent cantonnées à des rôles secondaires dans l’histoire, les femmes sont encore moins présentes quand il s’agit de faits militaires. Domaine masculin par excellence, la guerre est pourtant ponctuée de figures féminines. Véronique Garrigues, enseignante-chercheuse en histoire moderne nous donne quelques informations sur ce phénomène et sur la manière dont il nous invite à repenser plus largement la place de la femme dans l’histoire.
Par Marin Auvray. Publication de la série LA PAUSE ÉTUDIANTE, rédigée dans le cadre de l’atelier d’écriture du Master Culture et communication, parcours Médiations scientifiques, techniques et patrimoniales de l’Université Toulouse – Jean Jaurès, avec la contribution de Chloé Mellier, et l’accompagnement pédagogique de Delphine Dupré, docteure en sciences de l’information et de la communication.
Le parcours de Jeanne d’Arc, qui prend les armes pour défendre le royaume de France est étudié par les élèves depuis bien longtemps et continue à être enseigné de nos jours. Jeanne d’Arc fait partie en France des mythes nationaux ; au même titre que Vercingétorix ou Clovis. Si la femme à la guerre n’est pas une figure très répandue dans l’histoire, Jeanne d’Arc semble être l’exception qui confirme la règle. Mais plutôt qu’une exception, on pourrait parler d’arbre qui cache la forêt. Avant d’interroger Véronique Garrigues du laboratoire France Amérique Espagne, Sociétés, Pouvoirs et Acteurs (FRAMESPA), qui s’intéresse à ces femmes qui prennent les armes à l’époque moderne, nous avions une vague idée de l’existence de ce phénomène. Si les exemples ne sont pas légion, ils sont en revanche assez significatifs pour nous pousser à revisiter l’histoire de la femme et de la guerre.
Des recherches sur la bâtardise qui mènent à interroger l’histoire des femmes en armes.
La recherche, Véronique Garrigues est « tombée » dedans : « vous connaissez l’histoire de la marmite », nous glisse-t-elle malicieusement. Mais les femmes en armes ne constituaient pas son premier sujet de recherche. Le premier, celui de sa thèse qu’elle soutient en 2002 à l’université de Limoges, c’est Adrien de Monluc, un noble qui a vécu entre sa Gascogne natale et la Cour aux XVIème et XVIIème siècles. Quel peut bien être le rapport entre un noble gascon et les femmes en armes ? Il se trouve qu’Adrien de Monluc, s’il n’a qu’une fille comme héritière, a tout de même quelques enfants illégitimes. C’est en s’intéressant au sujet de la bâtardise que Véronique Garrigues va se poser la question des femmes en armes.
Si, comme la chercheuse le reconnaît, le lien entre la bâtardise et la prise d’armes par des femmes est compliqué à définir précisément, il n’en reste pas moins que les sujets se croisent. On en trouve plusieurs exemples. C’est notamment le cas de Diane de France, fille illégitime du roi de France Henri II, qui est la première femme dans le pays à gouverner une province. À l’étranger, c’est la fille illégitime de Charles Quint, Marguerite de Parmes, qui gouverne les Pays-Bas entre 1559 et 1581. Même si elle n’est pas une fille illégitime, on peut aussi penser à Marie de Hongrie, sœur de Charles Quint. Cette chasseresse reconnue a dirigé elle aussi les Pays-Bas de 1531 à 1555 et s’est fortement impliquée dans les opérations militaires de la province.
Il en existe d’autres ; Véronique Garrigues en étudie une dizaine dans ses recherches. Que ce soit directement sur le champ de bataille ou à des postes de commandement, comme elle n’oublie pas de nous le préciser. Cette dizaine d’exemples et les enseignements que la chercheuse a pu tirer des archives l’amènent à lier les sujets de la bâtardise et de la prise d’armes par les filles illégitimes de la noblesse.
Les femmes héroïques, un phénomène loin d’être exceptionnel
« Quand on est sur le fait militaire, on se dit que l’on va voir de bons hommes »
plaisante la chercheuse.
Le phénomène des femmes guerrières ne se limitent pas aux filles illégitimes de la noblesse du XVIème siècle. Les sièges de villes sont des lieux privilégiés pour observer les femmes combattre. Ça n’est pas dans les chroniques que l’on trouve des traces de ces femmes, mais dans les sources comptables - Une chronique est un récit historique de faits et d’événements consignés par ordre chronologique. Il existe de nombreuses chroniques locales, comme par exemple la Chronique de Flandre écrite au XIVème siècle. Il n’est pas rare de trouver mention de femmes indemnisées suite à des sièges à cause de leurs blessures, comme c’est le cas à Montélimar dans les années 1590. Ces blessures sont autant d’indices qui incitent à penser que ces femmes ont participé à la défense de la ville.
Une autre source riche d’enseignements sur ces combattantes réside dans les mémoires locales qui évoquent des faits héroïques parfois réalisés par des femmes. À Lille, c’est Jeanne Maillotte qui repousse une attaque protestante en 1582. À Beauvais, c’est au tour de Jeanne Hachette. De nombreuses statues ont d’ailleurs été érigées pour commémorer ces figures féminines durant le XIXème siècle. S’il n’est pas toujours simple de déterminer si ces statues commémorent le rôle des femmes de la ville, ou celui d’une femme en particulier, il n’empêche que les preuves sont là. Loin de n’être l’affaire que de « bons hommes », la défense de la ville est aussi une affaire de femmes.
Véronique Garrigues, qui brasse de nombreuses époques et zones géographiques (en particulier Amérique du Nord, Espagne et Suisse) du fait de son enseignement de l’histoire dans le secondaire, constate que ce phénomène de femmes en armes est plus universel que l’on ne pourrait le penser. En ce moment, je travaille au Far West « Il n’y a pas que Calamity Jane et Ma Dalton » s’amuse-t-elle.
Réinterroger les sources historiques : une nécessité pour rendre leur visibilité aux femmes
Comment trouver des indices sur les exploits de ces femmes dans les archives historiques ? La réponse : une dose de hasard et une recherche constante et tenace. Même si au XVIème siècle les noms des professions sont encore féminisés, les femmes demeurent peu visibles. Il existe bien des sources produites par des femmes, notamment en Italie, mais la majorité est rédigée par des hommes. Pour dénicher les informations qui l’intéressent, Véronique Garrigues s’applique à étudier toutes les sources possibles. L’image qu’elle nous donne est celle d’un large filet avec des mailles très fines dont elle analyse les prises. C’est le cas des sources comptables évoquées plus haut, souvent plus informatives que les chroniques, mais aussi les sources judiciaires ou encore des inventaires de maison après un décès. Elle s’intéresse aussi au XIXème et à la mémoire que ces femmes ont pu laisser localement
Devant un tel panel de sources à analyser, la chercheuse utilise donc « la technique du pitbull », elle nous explique : « tant que je n’ai pas eu toutes mes réponses, je rogne mon os jusqu’au bout pour les trouver ». Pour autant cette technique ne connaît pas le succès à tous les coups et il n’est pas rare que même après de longs moments dans les archives, les sources restent muettes sur la question posée. « C’est aussi ça, la vie d’une chercheuse. »
Plus largement, elle nous explique aussi que de nouvelles sources peuvent permettre de réinterroger la place de la femme dans le fait militaire, et même plus largement. C’est le cas de l’archéologie et de l’attribution genrée des tombes. Devant notre étonnement, Véronique Garrigues nous apporte une piste de réflexion. Si traditionnellement une tombe contenant une arme était attribuée à un homme et une tombe contenant des bijoux à une femme, la génétique et des travaux sur l’ADN des restes humains peuvent contredire ce postulat. Parfois, une tombe avec une arme est la tombe d’une femme. Des travaux en ce sens sont actuellement menés sur des tombes vikings. C’est aussi le cas de la préhistoire où la sexuation des rôles est là aussi repensée.
Militer pour un enseignement de l’histoire revisité
Pour Véronique Garrigues, militante syndicale et membre du bureau de l’association Mnémosyne, qui cherche à promouvoir l’histoire des femmes, c’est toute l’histoire qui doit être repensée. L’un des points les plus importants ? La périodisation française. Classiquement, l’histoire en France est découpée en quatre grandes périodes : Antique, Médiévale, Moderne et Contemporaine. Elle cite l’historien Jacques Le Goff qui affirmait que ce découpage n’était pas adapté à l’histoire des paysans, et applique ce constat à celle des femmes. Les grands marqueurs historiques de ces périodes sont avant tout des événements politiques et militaires, dont les femmes sont largement absentes. Elle précise que prendre le cadre du Moyen-Âge pour faire une histoire des femmes et de l’éducation n’est pas vraiment possible. Pour elle, il est donc nécessaire de repenser cette périodisation pour disposer d’une histoire plus pertinente et plus juste, afin de faire sortir les femmes de la place secondaire dans laquelle le XIXème siècle et l’enseignement scolaire de l’histoire les avaient cantonnées.
Véronique Garrigues aime aussi dire que son travail sur l’histoire de la femme l’a fait devenir militante. Pour celle qui a enseigné à l’université de Toulouse et d’Albi, ses sujets de recherche sur les femmes en armes sont de mieux en mieux acceptés. Ils ne lui ont pas posé de problèmes en termes de carrière. Elle nuance néanmoins. Elle nous rappelle justement que l’irruption de l’histoire de la femme dans le champ académique date de 1992 avec l’ouvrage L’Histoire des femmes de Michelle Perrot et Georges Duby. C’est encore un sujet d’étude assez jeune. Elle souligne également que les études de genre gênent toujours un peu. Néanmoins, si des résistances peuvent persister dans les universités ou de la part du public non scientifique, elle se veut plutôt optimiste et espère que travailler sur le sujet limitera de moins en moins la carrière de chercheurs.
Un engagement pour l’égalité des genres qui inspire le travail au quotidien
Ce travail sur les femmes en armes a nourri ses réflexions et son militantisme. En tant que responsable syndicale, elle est vigilante sur les questions de parité et pointe du doigt les différences d’avancement de carrière entre hommes et femmes dans le secondaire. Sa pratique professionnelle se nourrit elle aussi de ses travaux. Pour elle qui enseigne dans un collège Réseau d’Éducation Prioritaire ; « parce que sinon on s’ennuie » dit-elle avec un sourire, aborder ces questions de genre est un autre moyen de militer pour plus d’égalité. Elle nous raconte le cours qu’elle a donné dans l’après-midi, avant notre entretien. « J’ai fait un cours sur les Lumières, j’ai parlé aux élèves de femmes et d’hommes philosophes, de femmes et d’hommes scientifiques ». Elle nous explique comment questionner concrètement le genre en histoire avec des élèves de sixième, au quotidien.
« Historienne dans la cité », Véronique Garrigues n’a aucun problème pour parler de ses positions. Comme elle l’explique, le travail de recherche et notamment en histoire, permet une mise à distance de ses points de vue personnels. Si ses opinions la guident dans le choix de ses sujets, elles ne remettent pas en cause son questionnement ou sa méthodologie : « une source reste une source, je ne vais pas lui faire dire ce qu’elle ne dit pas ». Ces travaux sur les femmes en armes lui fournissent des ressources pour sa pratique militante. Même si l’avenir de la recherche en sciences humaines ne lui paraît pas très prometteur suite aux dernières lois sur la recherche, il y a fort à parier que l’histoire des femmes en armes va continuer de s’étoffer et participer à redessiner une histoire plus proche des aspirations à l’égalité entre les genres.
Référence bibliographique
« Les femmes viriles, un genre de transgression pendant les guerres de religion? », S. Édouard, L. Douzou et S. Gal (dir), Transgression et société en guerre, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 2017, p. 45-62.
FRAMESPA : laboratoire France Amérique Espagne, Sociétés, Pouvoirs et Acteurs (Université Toulouse - Jean Jaurès, CNRS).