Représentation de l’autisme dans la pop culture : VRAI ou FAUX ?

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Cultures・Sociétés

Représentation de l’autisme dans la pop culture : VRAI ou FAUX ?

The good doctor et Extraordinary Attorney Woo

Le spectre de l’autisme est un trouble complexe et l’étude scientifique de ses causes et répercussions au quotidien relativement récente. Mais de Rain Man à Love on the Spectrum, en passant par The Good Doctor, il a inspiré nombre de séries et films, témoignant de sa présence dans la culture populaire. La « pop culture » a l’avantage de nous renseigner sur les représentations et les influences du plus grand nombre. Décryptage avec Lucie Bouvet, spécialiste de l’autisme et enseignante-chercheuse en psychopathologie développementale à l’Université Toulouse - Jean Jaurès.

Quand la science fait POP : Une série où la science imprègne, infiltre et interroge la pop culture, les scientifiques démêlent le vrai du faux des films et séries à l'affiche de nos cinémas et petits écrans... 

 

À l'affiche aujourd'hui :

  • Rain Man, Barry Levinson, 1988

  • Mary et Max, Adam Elliot, 2009

  • The Good Doctor, David Shore, 2017 - en cours

  • Extraordinary Attorney Woo, Moon Ji-won et Yoo In-shik, 2022 - en cours

  • Love on the Spectrum (Histoires d'amour et d'autisme), Cian O'Clery, 2019 - 2022

  • Atypical, Robia Rashid, 2017 - 2021

Les personnes autistes sont incapables de gérer leurs relations et interactions sociales : FAUX

Quand on pense cinéma et autisme, on pense évidemment à Rain Man, le célèbre film sorti en 1988 racontant la rencontre entre Charlie Babbitt (Tom Cruise) et son frère autiste Raymond Babbitt (Dustin Hoffman). « Ce film met en scène les symptômes les plus courants de l’autisme : la rigidité face aux changements, des stéréotypies verbales (la répétition de phrases sans signification apparente) et motrices (balancements)…, mais de manière très prototypique. Il y a presque 40 ans, c’était la représentation qu’on en avait », précise Lucie Bouvet. 

 

Rain Man
© Rain Man (1988) / Barry Levinson / Metro Goldwyn Mayer

Parce qu’effectivement, on revient de loin. Les premières descriptions de l’autisme dans les années 50 (les toutes premières études ont été menées par le psychiatre Léo Kanner en 1943), ne représentent que des personnes qui ne parlent pas ou peu, n'interagissent pas… Or, si on évoque aujourd’hui un « spectre » de l’autisme, c’est qu’il existe en réalité une grande hétérogénéité du trouble, avec des profils cognitifs très variés. 

Depuis les années 80 et 90, les recherches se multiplient, des outils de diagnostic s’affinent et permettent de mieux accompagner les personnes autistes au quotidien. Et aujourd’hui beaucoup de personnes le sont, sans que cela ne soit perçu par leur entourage ! « Elles apprennent à camoufler les troubles, à simuler les expressions faciales, à inférer les règles sociales, à préparer leurs interactions avec les autres… C’est épuisant, car elles sont dans le contrôle permanent de tout ce qu'elles font en société, mais elles en sont capables. Et heureusement cette représentation a bien évolué, on trouve aujourd’hui de nouvelles séries où les personnes autistes ont un bon niveau verbal et intellectuel, vont à l’école, ont un métier, des relations amoureuses et amicales… », se réjouit Lucie Bouvet. 

Le film d’animation Mary et Max par exemple, met en scène une histoire d’amitié entre Mary Dinkle, une petite fille solitaire, vivant dans la banlieue de Melbourne en Australie, et Max Horowitz, un homme de 44 ans, atteint du syndrome d'Asperger (un trouble du spectre autistique), habitant dans la jungle urbaine de New York. Cette amitié aurait pu ne jamais voir le jour, mais Mary et Max finiront par s'écrire et avoir une belle relation épistolaire... pendant 20 ans.

Les personnes autistes font des carrières brillantes : VRAI & FAUX

Prenons l’exemple de la série américaine The Good Doctor, sortie en 2017, qui nous invite à suivre la vie et le parcours d’un autiste Asperger pour devenir chirurgien. « Cette série est plutôt fidèle aux symptômes qu’on peut retrouver dans l’autisme : la difficulté à communiquer, le phénomène d’anxiété que peut engendrer le fait d’être confronté aux autres, la fatigabilité… mais aussi les capacités intellectuelles qui sont parfois très élevées. S’il n’y a pas de déficience intellectuelle associée, les personnes autistes n’ont pas de contrainte intellectuelle pour faire des métiers relevant de CSP+ (catégories socioprofessionnelles favorisées), comme la médecine, la politique ou le droit. On peut aussi retrouver des personnes autistes dans des métiers techniques et scientifiques, comme ingénieur·e ou chercheur·e », détaille Lucie Bouvet. 

 

Extraordinary Attorney Woo
© Extraordinary Attorney Woo (2022) / Yoo In-shik / AStory

Une autre série, nord-coréenne cette fois, Extraordinary Attorney Woo, qui a cartonné sur Netflix à sa sortie en 2022, met en scène une jeune avocate autiste. Elle possède un QI élevé, une mémoire impressionnante et un processus de pensée extrêmement créatif, mais a du mal à gérer les interactions quotidiennes. « Je trouve cette série très intéressante, car elle met en scène une femme autiste, ce qui rare, et qui fait un travail où elle doit sans cesse se représenter en public, avec tous les efforts que ça implique pour elle. » 

Alors, oui, travailler (et même mener une carrière brillante) est possible, mais qu’en est-il dans la réalité en France ? « L’accès à l’emploi reste difficile », regrette la chercheuse. « Une fois adultes, les personnes autistes peuvent se retrouver dans des structures protégées pour personnes handicapées qui ne correspondent pas vraiment à leurs capacités intellectuelles. » Au travail, les plus grosses contraintes viennent des difficultés dans les relations sociales, de la gestion du temps, des capacités de synthèse et de la surcharge sensorielle (fatigabilité à la lumière, perception augmentée des sons, appelée hyperacousie…). « Mais les personnes autistes peuvent aussi être extrêmement efficaces sur un travail de précision. Elles ont souvent une grande capacité à se focaliser sur les détails. Par exemple, beaucoup de personnes autistes sont contributrices sur Wikipédia ! Malheureusement le lien entre autisme et monde du travail n’est pas chiffré, il n’y a pas d’études sur ce point-là en France. C’est compliqué du fait de l’hétérogénéité des cas, et souvent, les personnes sont diagnostiquées tard. »

Si les choses commencent à évoluer, que des structures se montent et se mettent en place, ces initiatives sont encore minoritaires. « Il faut qu’il y ait une prise de conscience au niveau politique », affirme Lucie Bouvet. « L’autisme est un trouble d’origine neurologique qui touche une personne sur cent - environ 700 000 personnes en France - et dure toute la vie. On naît avec, on meurt avec. Et le passage à l'âge adulte est encore trop compliqué dans notre société. Il est indispensable de bien comprendre comment fonctionnent ces troubles pour savoir comment adapter la société en termes d’apprentissage et de soutien. Notre objectif est de comprendre pour agir. »

Les personnes autistes se mettent en couple entre elles : FAUX

En termes de rapports amoureux, on peut citer l’émission de téléréalité Love on the Spectrum (Histoires d'amour et d'autisme en français), qui suit le parcours de célibataires autistes dans leur recherche de l’amour. Car bien sûr, si certaines personnes autistes sont bien seules, d’autres ont envie d’aimer et d'être aimé au sein d’un couple. « Cette série est très touchante, mais je regrette le fait qu’ils proposent souvent un rendez-vous avec une autre personne autiste », confie Lucie Bouvet. Car dans la réalité, beaucoup d’individus autistes entretiennent des relations amoureuses avec des neurotypiques (comprenez dont le fonctionnement neurologique est considéré comme « dans la norme » ou « typique ». Initialement créé par la communauté autiste, ce terme est aujourd'hui utilisé par les militant·es pour la neurodiversité). 

 

Love on the Spectrum
© Love on the Spectrum (2019) / Cian O'Clery / Northern Pictures

« On peut parfois observer des profils d’hommes non diagnostiqués qui sont en couple, ont des enfants et dont la femme prend en charge totalement les aspects sociaux du foyer. Sans elles, ils ne seraient clairement pas autonomes, mais cela ne se voit pas dans le sens où, dans notre société, il y a cette idée que les femmes sont plus sociables et que les intérêts restreints sont mieux acceptés chez les hommes. Ces hommes vont d’ailleurs parfois se rendre compte de leur trouble autistique quand celui-ci est diagnostiqué chez l’un de leurs enfants, ils vont alors se dire « Tiens, j’avais le même souci étant petit. » et être diagnostiqué à leur tour. »

La série Atypical raconte la quête d'amour et d'indépendance de Sam, un jeune autiste de 18 ans qui découvre les aléas du passage à l'âge adulte. Avec l'aide de ses ami·es et sa famille, il va apprendre les nuances sociales de l'amour. « Ce n’est pas parce qu’ils n’expriment pas beaucoup d’émotions qu’ils n’en ressentent pas ! Mais il est vrai que les relations amoureuses restent compliquées pour les personnes autistes, car elles demandent une codification sociale - explicite, mais surtout implicite - qu’elles doivent apprendre. Elles ont du mal à interpréter les signaux du visage, les règles de conversation, la réciprocité… Beaucoup aimeraient bien avoir un manuel ! » sourit la chercheuse.

Les personnes autistes fonctionnent en pensée visuelle : VRAI

Shaun Murphy, le jeune chirurgien de The Good Doctor a une particularité qui lui permet d’appréhender le corps humain de façon très précise : la pensée par l’image. Visuellement, les réalisateurs et réalisatrices la traduisent par un schéma qui se dessine sur l’écran, nous permettant de suivre son raisonnement (et trouver la solution à un problème soi-disant insoluble !). « Alors ce n’est pas aussi précis que ça ! », sourit Lucie Bouvet. « Mais on retrouve effectivement cette capacité de visualisation plus développée ». 

 

© The Good Doctor (2017) / David Shore / 3AD

Cette « pensée en image » est d’ailleurs au cœur des études de la chercheuse. La première personne à en avoir parlé est Tremple Grandin, une scientifique autiste qui a révolutionné les méthodes d’abattage bovin aux États-Unis. « Je me suis beaucoup inspirée de ses travaux dans mes recherches, explique Lucie Bouvet. Elle décrit remarquablement bien cette capacité à simuler mentalement des machines et à manipuler ces images. Cette imagerie très forte et cette mémoire photographique peuvent aussi être présentes chez la population non autiste, mais d’après les études menées, on pense qu’elles sont plus récurrentes chez les personnes autistes. De plus, quand elle existe, cette faculté est très importante, voire quasi exclusive. Pour certains, la pensée passe uniquement par un format d’image et pas du tout en mot. » 

Une particularité qui fait défaut aux personnes autistes, au grand regret de la chercheuse. « Notre société est très verbale, nos apprentissages le sont aussi. Cette survalorisation est dommage, car elle nous prive des atouts des autres façons de penser. Le système éducatif aurait intérêt à s’adapter en prenant en compte une certaine variété dans la façon d’être et d’apprendre. La diversité est une richesse pour la société, les personnes autistes peuvent nous apporter beaucoup de choses ! »

 

Atypie-Friendly : réussir l'université inclusive

Atypie-Friendly, réussir l'université inclusive est un programme national coordonné par l'Université de Toulouse qui a pour but d’engager les universités dans l’inclusion des étudiant·es autistes sans déficience intellectuelle, en abordant toutes les questions liées aux études supérieures, en amont de l’entrée à l’université jusqu’à l’insertion sociale et professionnelle, en passant par l’adaptation pédagogique, les outils numériques ou encore l’accompagnement social et la formation. Il s’adresse aux personnes autistes et progressivement va s’étendre aux autres troubles du neuro-développement (trouble du déficit de l’attention avec ou sans hyperactivité, troubles « dys »…). Ce dispositif s’appuie aujourd’hui sur un réseau de plus d’une vingtaine d’universités en France, parmi lesquelles toutes les universités d’Occitanie, pour construire une université et une société plus inclusives. 

 

Lucie Bouvet est enseignante-chercheuse en psychopathologie développementale à l’Université Toulouse - Jean Jaurès, au sein du Centre d’études et de recherches en psychopathologie et psychologie de la santé - CERPPS (Université Toulouse - Jean Jaurès). Elle est spécialiste de l’autisme.

 

Quand la science fait POP est une série Exploreur - Université de Toulouse. Journaliste : Naomi Vincent. Visuel : Delphie Guillaumé. Rédactrice en cheffe : Clara Mauler. Ces recherches et cet épisode ont été financé·es par l’Agence Nationale de la Recherche (ANR). Cet épisode est réalisé et financé dans le cadre du projet Science Avec et Pour la Société « CONNECTS » porté par l’Université de Toulouse. Cet épisode a été réalisé dans le cadre de La Nuit européenne des chercheur·es et en partenariat avec Instant Science et les dispositifs Soirées Cult' et Instants Cult'.