Sébastien Maronne sur les traces des philosophes mathématiciens

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Maths・Ingénierie

Sébastien Maronne sur les traces des philosophes mathématiciens

Portrait de René Descartes (1596-1650)
Portrait de René Descartes (1596-1650) de Frans Hals, Collection du Musée du Louvre

Maître de conférences à l’Institut de mathématiques de Toulouse, diplômé de maths et d'épistémologie, Sébastien Maronne explore la correspondance savante de Descartes ainsi que l'œuvre scientifique de Pascal et milite pour la transmission d'une culture mathématique.

Propos recueillis par Carina Louart, journaliste scientifique.

Depuis Platon et Aristote, les philosophes et les mathématiciens ont toujours entretenu des liens étroits. Est-ce parce qu'ils travaillent sur des thèmes communs ?

Portrait Sébastien Maronne
   

Sébastien Maronne : Le lien premier entre mathématiciens et philosophes concerne la nature et l'existence des objets mathématiques. Les mathématiciens sont par nature platoniciens en ce sens qu'ils postulent l'existence d'un domaine d'objets mathématiques abstraits qu'ils manipulent au quotidien. D'autre part, des notions et des problèmes philosophiques comme l'universel, la nécessité, la démonstration, la certitude, etc. se manifestent de façon privilégiée dans la pratique des mathématiques qui offrent, depuis Platon et Aristote, un réservoir d'exemples et parfois un modèle pour le philosophe. Pour Descartes, ce sont par exemple les « longues chaînes de raison » des géomètres grecs, autrement dit les démonstrations, qui constituent un modèle pour sa méthode philosophique.

Comment pratique-t-on l'histoire et la philosophie des mathématiques ?

SM : Il s'agit de comprendre et d'analyser le contenu mathématique de textes rassemblés au sein d'un corpus, en identifiant des circulations de concepts ou de méthodes, des particularités de style d'écriture et, surtout, d'essayer de mettre en évidence des questions qu'on espère pertinentes. Au XVIIe siècle, les mathématiques se diffusent surtout dans les correspondances savantes, dans lesquelles les mathématiciens se lancent des défis. Tout le jeu est, en répondant à une lettre, d'en dire assez pour montrer qu'on a résolu le problème, mais aussi d'en dire peu pour jauger son adversaire et ne pas dévoiler sa méthode. Mais qu'est-ce que cela signifie d'avoir résolu un problème ? Selon la méthode employée, les avis diffèrent entre des auteurs comme Descartes, Pascal, Roberval.

En quoi vos recherches peuvent-elles aider les mathématiciens d'aujourd'hui ?

SM : Si les textes et les problèmes étudiés ne leur seront d'aucun secours sur le plan technique, sauf exception, ils mettent parfois en avant des questions qui traversent les mathématiques et peuvent recevoir des échos dans leur propre pratique. La question de la généralité explicative est un cas typique : lorsqu'un mathématicien est confronté à un problème, il lui arrive de généraliser la situation pour se détacher des conditions particulières et expliquer de la façon qui lui semble la plus naturelle le phénomène mathématique. Toute la question est de savoir comment définir cette généralité explicative.

Comment diffusez-vous cette culture mathématique ?

SM : Par des conférences devant des publics d'élèves, d'étudiants ou d'enseignants en formation, et par l'enseignement de l'histoire des mathématiques en licence et master de mathématiques. De plus, en licence et en préparation à l'agrégation de philosophie, je traite des rapports entre mathématiques et philosophie. J'espère ainsi participer à la diffusion d'une culture mathématique auprès des futurs enseignants qui pourront, je l'espère, à leur tour introduire des éléments d'histoire et philosophie des mathématiques dans leurs cours.

IMT : Institut de mathématiques de Toulouse (CNRS, Université Toulouse 1 Capitole, Université Toulouse - Jean Jaurès, Université Toulouse III - Paul Sabatier, INSA Toulouse).