Être ultrarapide dans l’infiniment petit : la nouvelle recette pour comprendre la matière
Deux scientifiques toulousains ont mis au point un instrument capable d’observer simultanément l’évolution d’un objet dans l’espace et dans le temps. Une découverte qui ouvre un immense champ des possibles pour comprendre la matière. Et même, sur un laps de temps très court, pour interagir avec elle.
Par Valérie Ravinet, journaliste.
Le premier est spécialiste de l’optique et de la physique ultrarapide ; le second, expert en microscopie électronique en transmission. Arnaud Arbouet et Florent Houdellier, respectivement chercheur et ingénieur au Centre d’élaboration de matériaux et d’études structurales (CEMES-CNRS) ont associé leurs compétences pour développer un instrument capable d’observer des phénomènes ultrarapides à de minuscules échelles. Une machine qui permet d’accéder à une matière que personne n’a encore eu l’occasion d’observer.
Un instrument inédit grâce à une source d’électrons très spéciale
C’est souvent par le rapprochement d’expertises différentes que naissent les projets les plus originaux. Pour celui-ci baptisé FemtoTEM, physique ultrarapide et microscopie électronique en transmission sont à l’origine d’une nouvelle génération d’instruments.
« En optique, on sait parfaitement générer des impulsions de lumière très courtes et les utiliser pour observer la matière sur des échelles de temps extrêmement brèves, de l'ordre de 10-12, 10-15 voire 10‑18 secondes. Mais comme on utilise de la lumière pour réaliser ces observations, la résolution spatiale des microscopes optiques conventionnels est limitée en raison de la longueur d’onde de ces rayonnements. Autrement dit, on obtient des informations très résolues dans le temps mais moyennées dans l’espace. La taille des plus petits objets qu’on parvient à observer est donc limitée », explique Arnaud Arbouet.
« En microscopie électronique, c’est exactement l’inverse », poursuit son collègue Florent Houdellier. « L’instrument utilise des électrons, dont la longueur d’onde associée est inversement proportionnelle à leur vitesse. Plus l’électron va vite, plus petite est sa longueur d’onde. Il est possible de construire des microscopes dit « électroniques » qui mettent à profit cette petite longueur d’onde des électrons accélérés et permettent ainsi d’observer des objets très petits jusqu’à leur structure atomique. En revanche, les caméras et sources utilisées dans ces instruments ne sont pas rapides ».
L’idée du projet est donc de combiner les deux technologies, en créant une source ultrarapide d’électrons. Cette source est à émission de champ froide, à imaginer comme un paratonnerre : une pointe métallique très fine dont le bout mesure à peine 100 nanomètres. Lorsqu’on y applique une différence de potentiel, sa forme permet de générer un champ électrique gigantesque.
Pour la rendre ultrarapide, une impulsion laser produite à l’extérieur du microscope est acheminée puis focalisée sur le bout de cette pointe qui, combinée avec le fort champ électrique, permet d’extraire l’impulsion d’électrons. Une seconde impulsion laser ultracourte excite un échantillon placé à l’intérieur de l’objectif du microscope « avant que l’impulsion électronique générée dans la source ultrarapide vienne sonder cet échantillon à un moment très précis et parfaitement contrôlable », précisent les spécialistes.
Une prouesse technique qui séduit : un laboratoire commun avec Hitachi High Technologies Corporation
En 2017, après quelques années d’expérimentation, les chercheurs réussissent à mettre au point le prototype. Cet instrument de quelque trois mètres de haut qui occupe une surface au moins équivalente éveille l’intérêt d’un industriel. Il offre la capacité de sélectionner la fenêtre temporelle dans laquelle on vient étudier la matière. Cette source pulsée et cohérente permet de suivre la dynamique ultrarapide de plusieurs grandeurs physiques interdépendantes en même temps dans un matériau : le mouvement des atomes, l’évolution d’un champ électrique ou magnétique… Une prouesse qui ouvre des champs d’applications encore inimaginables.
« On obtient ainsi des informations extrêmement précises de la matière observée sur des échelles de temps différentes. En excitant les systèmes, on peut même en modifier les propriétés, pendant de très courts laps de temps »,
précisent les spécialistes.
Intéressée par le potentiel de l’instrument, la société japonaise Hitachi High Technologies Corporation s’est associée au laboratoire pour poursuivre les travaux sur un microscope moderne sur lequel la nouvelle technologie de source ultrarapide brevetée par les chercheurs du CEMES-CNRS sera transférée. Une association gagnante initiée en juillet 2018 qui permet à l’industriel japonais de se familiariser avec cette nouvelle génération d’instruments et appréhender ses potentielles applications tandis que les chercheurs français pourront mener leurs travaux de recherche sur un microscope moderne équipé d’une électronique et d’un système informatique de dernière génération. Ce laboratoire commun, baptisé Hitachi-CNRS Infrastructure for Ultrafast Microscopy (HC-IUMi), est une première entre le CNRS et une entreprise étrangère.
Il reste beaucoup d’étapes à franchir avant d’imaginer contrôler la matière, mais la perspective est envisageable, à long terme. Pour l’heure, les chercheurs s’attachent à mettre au point les méthodes d’observation et de manipulation, tout en développant des outils de simulation numérique. Objectif : une nouvelle machine moderne totalement opérationnelle et ouverte à la communauté scientifique en 2022, développée dans le cadre de ce laboratoire commun avec l’industriel Hitachi. Un démarrage très prometteur.
FemtoTEM : du préfixe du système international d’unités, Femto, désignant l’unité 10-15 et TEM pour Transmission Electron Microscopy