Le supporter, un atout pour sauver les clubs sportifs
La crise liée au Covid-19 a mis en évidence la fragilité de nombreux clubs de sport professionnels. Fortement touchés par l’annulation des matchs et la bataille autour des droits de retransmissions télévisuelles, leur modèle économique reposerait trop sur leur capital médiatique. En étudiant les attentes des supporters et le sponsoring, Florian Escoubes, enseignant-chercheur à Toulouse School of Management, propose des pistes pour un nouveau modèle.
Par Paul Périé, journaliste.
Maillot, casquette, écharpe… Chaque supporter, peu importe le sport ou l’équipe, s’inscrit dans une communauté et affiche son soutien au travers de couleurs. Un merchandising qui rapporte gros pour certains clubs supportés par des fans partout dans le monde. Ainsi, en février 2020, la franchise des New York Knicks, en NBA, a été évaluée à 4,6 milliards de dollars par le magazine Forbes. Un montant dans lequel la valeur de sa marque est estimée à 620 millions de dollars. Ces chiffres colossaux illustrent le potentiel pour un club sportif mondialement célèbre, situé dans une très grande ville au sein d’une ligue en pleine expansion. Si cet exemple est difficilement comparable à ce qui se passe en France, il montre l’importance financière des fans. Cela permet en outre de s’interroger sur le comportement consumériste des supporters et sur les bénéfices que peuvent en tirer les marques liées aux clubs.
Prendre en compte les attentes des supporters
Enseignant-chercheur à la Toulouse School of Management (TSM), Florian Escoubes s’est beaucoup intéressé au football français. Comme il l’explique, le modèle économique des clubs est très différent de celui d’une entreprise classique. « La masse salariale représente près de 80 % de leur chiffre d’affaires, rappelle-t-il. Ils sont donc très exposés, d’autant plus qu’ils dépendent beaucoup des droits télé. La crise actuelle, très grave pour eux, doit les pousser à repenser leur organisation et leur fonctionnement. » Leur équilibre repose sur trois piliers : le capital médiatique, directement lié aux droits télé, le capital social, à savoir les joueurs, et le capital supporter. « Et le modèle des clubs français a souvent été déséquilibré parce que le capital médiatique est trop important et un peu en perfusion », regrette-t-il.
En voyant le supporter comme un atout économique, l’un des trois piliers sur lequel repose un club, celui-ci est alors traité comme un client que l’on cherche à contenter. Et non plus comme quelqu’un chargé de mettre l’ambiance, d’acheter son billet et éventuellement son maillot, puis de se taire si ce qu’il voit ne lui plait pas. Loin du modèle de certains clubs espagnols où les socios (les supporters actionnaires du club) élisent leur président, les clubs de football français ne laissent que peu de moyens d’expression à leurs supporters, les obligeant à faire grève ou à manifester bruyamment leur mécontentement.
Prenant l’exemple de clubs étrangers, ils révèlent l’existence de modèles plus vertueux. Certains, et c’est notamment le cas en Allemagne, s’appuient davantage sur les revenus générés par les spectateurs et sont donc plus robustes financièrement. Contrairement à ce qu’il se passe en France, l’affluence dans les stades n’est pas directement liée aux résultats car les clubs encouragent les supporters à se déplacer pour de multiples raisons. Il estime ainsi que la place donnée aux supporters par les clubs est essentielle. À ses yeux, comme cela se fait aux États-Unis, le stade doit être un lieu de vie générant des recettes grâce à la présence de boutiques, de restaurants, de bars, « un endroit qui vit toute l’année ». Avec le projet de musée du rugby envisagé aux abords du stade Ernest-Wallon, c’est un peu l’ambition du Stade Toulousain à moyen terme.
Le spectacle avant les résultats
Dans ce cadre, une bascule dans le modèle des clubs est selon lui nécessaire à leur survie. Responsable du Master 1 Management du sport à TSM, Florian Escoubes a pour cela étudié les attentes globales des spectateurs d’événements sportifs. De ses recherches, il a isolé certains profils afin de proposer aux clubs un outil permettant de mieux connaître leur public. Se sont dégagées quatre typologies de spectateurs qu’il désigne ainsi : les fans, les amateurs de spectacle, les occasionnels et les sympathisants détente. Chacun possède des caractéristiques différentes mais certaines dimensions demeurent importantes pour tous. La combativité, la beauté du jeu, le fair-play, les émotions et le résultat positif sont attendus par l’ensemble d’entre eux.
Aujourd’hui, comme dans d’autres secteurs, les clubs vendent une expérience qui dépend, en plus de l’aspect sportif, de plusieurs facteurs : qualité du stade ou de l’enceinte, spectacle autour du match, interaction via les réseaux ou une application… « Pendant très longtemps, les clubs ont été centrés uniquement sur le résultat sportif. Mais celui-ci est seulement bénéfique pour une très petite partie d’entre eux. La question est donc : comment assurer un niveau minimum de plaisir pour les supporters sans avoir de bons résultats ? », éclaire le chercheur toulousain.
C’est là que la France accuse un véritable retard, à la fois en matière d’infrastructures et de mentalité. Pour reprendre l’exemple des New York Knicks, le Madison Square Garden est une enceinte mythique qui fait partie intégrante de l’image de la ville. À l’intérieur, une petite ville s’active pour pousser le spectateur à consommer et pour lui offrir un spectacle continu. Même si cela commence à se développer, très peu de stades ou de salles sont aujourd’hui connectés, proposent des applications complémentaires, des écrans géants, la livraison de nourriture sur place… Autant de détails qui font d’un match une expérience réussie. De plus, dans l’approche américaine notamment, le club vend un spectacle dont le match est la pièce centrale, agrémentée de nombreux moments de show avant, pendant et après la rencontre. « Ce type de mentalité a mis du temps à arriver. Aujourd’hui, elle est là, mais le retard est pris, souligne Florian Escoubes. Le regard a changé et de nombreux métiers, qui n’existaient pas il y a seulement trois ans, apparaissent et attirent nos étudiants. »
Le sponsoring influence-t-il inconsciemment les spectateurs ?
Partant de la nécessaire évolution dans le découpage des revenus des clubs, la question du sponsoring entre en jeu. Comment les marques peuvent-elles s’adapter à ce changement ? Lors de sa thèse, Florian Escoubes s’est penché sur l’impact inconscient du sponsoring sportif sur le spectateur. Et, en un sens, ses deux sujets de recherche se rejoignent. Si les événements et les lieux de vie autour et dans les stades se multiplient, les recettes venant des supporters vont augmenter sensiblement. Dans le même temps, les sponsors pourraient en tirer profit en s’associant à ces événements par exemple. L’impact de leur communication serait d’autant plus fort.
Très intéressé par les neurosciences, il s’est ainsi posé la question de leur intérêt dans la communication persuasive. En d’autres termes, il a voulu savoir s’il était nécessaire de se rappeler du nom d’un sponsor pour que cela influence le comportement, la consommation ou la perception des supporters vis-à-vis de cette marque. « Peut-on, inconsciemment, être influencé par la com ? La réponse est oui, affirme Florian Escoubes, au sens où l’on ne va pas forcément le verbaliser. » Dans certaines situations, nos choix découlent de mécanismes qui ne font pas appel à la réflexion, notamment lorsque l’on n’est pas motivé ou que l’on n’a pas le temps. « Il semblerait que, dans ce cas-là, le nombre d’expositions à un sponsor, à un logo, influence directement notre comportement. Il y a une porte entre l’inconscient et le comportement. »
S’appuyer sur les émotions générées par le sport
Dans ce cas-là, l’émotion prend une place essentielle dans nos choix et c’est là-dessus que les marques peuvent s’appuyer. Ceci est d’autant plus vrai que de nombreux mécanismes positifs bénéficient aux marques que l’on a déjà vues. Le jugement porté sur celles-ci s’appuie sur des croyances et non sur des informations objectives, ce que l’on appelle la fluidité perceptive. Si l‘on ajoute à cela l’affect que l’on porte à une équipe ou un club, les effets peuvent être multipliés.
« Les émotions que l’on éprouve pour quelque chose sont en partie menées par une dimension inconsciente. Et le sport va générer énormément d’émotions qui vont se transférer vers les sponsors »
rappelle Florian Escoubes.
Mais, malgré son discours, il assure que les marques ne doivent pas se contenter d’apparaître sur le maillot ou en bord de terrain. Il est nécessaire d’assurer une très forte exposition au travers d’actions d’activation comme le street-marketing, des jeux concours sur internet, du merchandising ou une présence forte sur les réseaux sociaux. « Pour qu’elle ait des effets, une campagne de sponsoring doit être accompagnée de tout un écosystème de communication qui permet de rentrer progressivement dans l’univers du spectateur. Les actions d’activation et les campagnes autour sont vitales pour les sponsors. Sinon, on n’exploite que 10 % du potentiel. »
Créer une véritable communauté
« Le sentiment d’appartenance va avoir des marqueurs. Faire partie d’une communauté, c’est en porter les codes, à savoir le maillot, l’écharpe, le bonnet… Il existe un véritable intérêt pour les clubs à développer ce sentiment d’appartenance. Pour qu’ils s’approprient le club, il faut qu’ils rentrent dans l’organigramme, d’une façon ou d’une autre, que leur avis soit pris en compte dans leur décision. Est-ce que le spectateur, le supporter est pris en compte dans les décisions du club ou dans ses attentes ? », interroge le chercheur toulousain.
Dans un système où les revenus issus des droits de retransmission télévisuelle sont fortement inégaux, développer de nouvelles recettes est essentiel pour les clubs. Dans cette optique, que son comportement soit rationnel ou émotionnel, le supporter est clairement un actif important, trop longtemps négligé.
« Finalement, les clubs qui vont remplir à 100 % leur stade sont assez rares en France. Je ne m’adresse pas au côté sportif, mais à des managers qui vont gérer la com, l’aspect administratif et marketing. Si on ne peut pas tout miser sur les résultats, sur quoi jouer ? C’est là que les attentes des supporters entrent en jeu. »
conclut Florian Escoubes.
Toulouse School of Management Research : TSM Research (Unité mixte de recherche 5303 CNRS)