Les mathématiques, sources de cauchemars et de rêves

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Maths・Ingénierie

Les mathématiques, sources de cauchemars et de rêves

chou romanesco fractal

Quel est le point commun entre le chaos et le chou romanesco ? Rencontre avec Arnaud Chéritat, chercheur CNRS à l’Institut de mathématiques de Toulouse. L’occasion d’en apprendre un peu plus sur les systèmes dynamiques. Ceux-ci puisent leur dimension cauchemardesque dans la théorie du chaos et trouvent leurs pendants oniriques dans les projections graphiques du chercheur.

Par Charline Blanc, Murielle Péria et Luka Martineau. Publication de la série LA PAUSE ÉTUDIANTE, rédigée dans le cadre de l’atelier d’écriture du Master Culture et communication, parcours Médiations scientifiques, techniques et patrimoniales de l’Université Toulouse – Jean Jaurès, avec l’accompagnement pédagogique de Déborah Gay, docteure en sciences de l’information et de la communication.

Arnaud Chéritat est assis à son large bureau encombré d’une impressionnante pile de documents. Deux ordinateurs, des modèles en trois dimensions, une machine à café : voici à quoi ressemble l’environnement d’un homme qui passe le plus clair de son temps à essayer de « résoudre des problèmes que d'autres gens ont regardé et qu'ils n'ont pas réussi à résoudre. »

Portrait Arnaud Cheritat
Arnaud Chéritat à son bureau © Charline Blanc

 

Le mathématicien est chercheur CNRS à l’Institut de Mathématiques de Toulouse.

Passionné de géométrie et de topologie, il confie s’être retrouvé à travailler sur la théorie du chaos un peu par hasard. En effet, le choix du sujet de thèse est souvent orienté par les offres du moment.

Deux possibilités s’offraient à lui, la théorie des nombres ou les systèmes dynamiques. Arnaud Chéritat a choisi la deuxième proposition. Il confesse : « je ne savais pas vraiment de quoi il s’agissait, on découvre vraiment le sujet lorsqu’on travaille dessus. »

 

 

Un monde en tension entre chaos et contrôle

Selon le chercheur, le chaos peut être défini comme la dépendance sensible aux conditions initiales. « C’est vrai que le mot chaos est un peu plus percutant » déclare-il, amusé. Afin d’illustrer la théorie du chaos, le mathématicien dresse un modèle simplifié : « Quand on veut mesurer la météo, on met l'atmosphère en équation puis on essaie de mesurer l'état de l'atmosphère à un instant t. Ensuite on déroule les équations de la physique dans un gros simulateur et cela nous simulera l'état de l'atmosphère dans trois jours, par exemple. Mais on ne peut pas mesurer parfaitement l'état de l'atmosphère car il y a trop de molécules et donc de nombreuses incertitudes. » Ce qu'on a appelé la théorie du chaos correspond au double mouvement hasardeux qui comprend cette « dépendance sensible aux conditions initiales » mais aussi la nature intrinsèque de tout ce qui nous entoure.

« Le monde est quantique, il est donc peut-être intrinsèquement aléatoire »

nous explique Arnaud Chéritat, d'un ton calme et didactique.

Cette théorie peut également être illustrée par le célèbre effet papillon. Selon ce dernier, le battement d’ailes d’un papillon peut entraîner une tornade à l’autre bout de la planète. Mais faut-il voir dans le terme de « chaos » une peur intrinsèque de l'Homme face à un monde qu'il ne peut contrôler ? « Ça dit peut-être quelque chose de l'humain effectivement. Mais je ne sais pas. », déclare le chercheur. En supposant des moyens technologiques avancés et la connaissance de la part de chaos dans l’univers, tout serait prédictible. Mais cette prédictibilité exacte et infinie est-elle réellement souhaitable ? Selon le mathématicien, la part de hasard qui régit notre monde et notre vie quotidienne, à l’image des rencontres que l’on peut faire par inadvertance, ne sont pas nécessairement de mauvaises choses.

Le chaos n’est pas forcément synonyme de cauchemar.

Le rêve comme outil de représentation

Au détour d'une phrase Arnaud Chéritat nous confie une dimension insoupçonnée des recherches en mathématiques : « l'aspect ″rêve″ dans les mathématiques m'évoque surtout le côté méditation et visualisation intérieure ». Le chercheur nous explique en effet que ce processus de visualisation de l'objet auquel on s'intéresse, qu'il soit géométrique ou lié à des fonctions ou à des calculs beaucoup plus abstraits, lui est très utile. « Quand je vois une fonction, j'essaye d'imaginer son graphe », nous explique-t-il simplement. Un moyen de rendre plus concrètes des choses qui sont parfois destinées à rester à l'état de calculs savants, mais également de permettre de matérialiser ses recherches, notamment à des fins de vulgarisation. Arnaud Chéritat réalise ainsi de manière régulière des dessins représentant des systèmes dynamiques. Ce sont les fractales, objets mathématiques dont la structure ne varie pas malgré le changement d'échelle. L'exemple le plus connu est certainement celui du chou romanesco, dont la structure globale se retrouve à différentes échelles.

Le mathématicien se plonge dans des théories aussi compliquées à imaginer que celle de la quatrième dimension, qui dépasse notre conception du monde en seulement trois dimensions. C'est à travers cet aspect particulier des mathématiques qu’il cherche à développer la science :

« Mon rôle est de fabriquer des outils que les gens utiliseront, ou pas. Nous n'explorons pas parce que nous voulons résoudre le cancer. Je n'en ai pas le pouvoir, mais j'essaie d'ouvrir des portes. »