Les Pyrénées mises à nu par les géologues

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Terre・Espace

Les Pyrénées mises à nu par les géologues

plissement roche portalet
Plissement dans les roches du Col du Portalet © Frédéric Mouthereau

Arpentées, escaladées, admirées par les touristes et sportifs, les Pyrénées sont aussi un fabuleux terrain de jeux pour les scientifiques. Elles fascinent en particulier les géologues. Chaîne de montagnes modeste en altitude, elles aident néanmoins à comprendre la longue histoire de notre planète Terre. Voyage dans le temps il y a plus de 300 millions d’années et sous terre à plus de 30 km sous nos pieds, avec les enseignants-chercheurs Stéphanie Duchene et Frédéric Mouthereau.

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PYRÉNÉES

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Par Anne-Claire Jolivet, de l'équipe Exploreur.

 

À l’échelle de la vie humaine, une montagne semble immuable, seul les tremblements de terre nous signalent une activité géologique. À l’échelle de l’histoire de notre planète, plusieurs montagnes se sont formées, puis effondrées, puis reformées ailleurs … et pour les Pyrénées, cette chaîne de montagnes a la particularité d’avoir vécu au moins deux fois toutes ces étapes sous des conditions très particulières. Opportunité pour les géologues : ces roches donnent à voir tous les moments clés de son existence !

Vivante et bien vivante

Il y a plus de 300 millions d’années, une majestueuse chaîne de montagnes, aussi vaste que l’Himalaya, traverse le « supercontinent » Pangée qui rassemble presque toutes les masses continentales de l’époque. Que nous en reste-t-il aujourd’hui en France : le Massif central, les Vosges, le Massif armoricain et des fragments remontés au cœur des Alpes et des Pyrénées. Les trois premières masses montagneuses sont considérées comme mortes par les géologues, elles ne font plus que s’éroder. Les Alpes et les Pyrénées sont quant à elles bien vivantes.

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La Pangée il y a 300 millions d’années © Christopher Robert Scottese.

 

Une montagne est comme un iceberg, sa racine crustale (cachée dans les profondeurs de la Terre) est en moyenne 6 fois plus importante que la partie visible en surface, sa topographie. Cette topographie est soumise à l’action de l’érosion qui tend à diminuer son altitude. Pourtant celle-ci peut rester relativement constante pendant des millions d’années. Comment est-ce possible ? Grâce à la tectonique, la convergence des plaques et leur déformation qui contrebalance cet affaissement par la construction continue d’une racine crustale. Si cette convergence des plaques et le raccourcissement associé s’arrêtent, la racine va progressivement disparaitre en compensant l’érosion. Dès qu’elle arrive à une épaisseur de 30 km, l’épaisseur de la croute continentale stable, il n’y aura plus de changement sous terre et la montagne sera considérée comme inactive.

L’histoire des Pyrénées ne s’arrête pas là. À la faveur du mouvement des plaques, la Pangée se fragmente. L’étirement extrême de la croûte fait apparaître le manteau entre ce qui forme une micro-plaque Ibérique et la plaque Européenne. C’est le rapprochement de ces deux plaques, à partir 80 Ma, qui conduira à la formation de la chaîne de montagnes actuelle. Elle offre aujourd’hui un point culminant à 3404 mètres, et une racine qui peut atteindre les 60 kilomètres de profondeur. 

 

Il était une fois une chaine de montagnes un peu spéciale …

Rappel des cours de sciences de la Terre au lycée : sur environ 30 km sous nos pieds se trouve la croûte terrestre, puis le manteau lithosphérique jusqu’à 100 km de profondeur. L’ensemble de la croûte (terrestre ou océanique) et du manteau lithosphérique forme des plaques tectoniques se comportant comme des blocs rigides. Elles convergent, se soulèvent, se plissent, se raccourcissent puis divergent, s’effondrent et s’étirent : ce sont les cycles de Wilson, ils sont propres à notre planète avec ses reliefs et ses océans.

La majorité des chaînes de montagnes se forment par le rapprochement de deux continents séparés par un océan. La plaque la plus dense (souvent océanique) passe sous l’autre dans une zone de subduction. L’océan une fois « fermé », les continents rentrent en collision – la croute terrestre est alors épaissie et soulevée. C’est le phénomène qui a conduit à la formation des Alpes et de l’Himalaya … pour ne citer que ces 2 massifs emblématiques.

Lorsque deux plaques continentales avec une croûte peu dense se percutent et que la convergence continue, il y a un raccourcissement horizontal et une épaississement vertical à l’origine de la chaîne de montagnes (avec sa racine et son relief). Une partie des roches sont enfouies dans les profondeurs et donc perdues pour l’observation de nos jours … sauf si des conditions particulières les maintiennent ou ramènent à la surface. Or, les Pyrénées n’ont pas subi beaucoup de raccourcissement.

« Il s’agit là d’une énigme à résoudre mais aussi une chance pour nous les géologues car cette chaîne a donc préservé son histoire et nous offre même à voir une partie du manteau ! Nous pouvons échantillonner des roches qui témoignent d’une activité géologique datant d’il y a plus de 300 millions d’années. »

nous précise Frédéric Mouthereau, enseignant-chercheur à l'Université Toulouse III - Paul Sabatier, du laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (GET).

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Illustration de Cyril Hermosilla

Sur le terrain et en laboratoire

Les géologues ne sont pas des magiciens, ils ne disposent pas de machine à remonter le temps … par contre ils aiment se raconter la grande histoire planétaire à partir de ce qu’ils voient sur le terrain. Rien qu’en repérant les roches qu’ils disent « à l’affleurement », ils s’enthousiasment face à ces cailloux témoins d’un passé si lointain. Des échantillons datant de 500 millions d’années, début de l’ère primaire sont visibles et assez facilement repérable à l’œil nu. Pour les roches sédimentaires, il est aisé de déterminer leur âge grâce à la variété de fossiles présents caractéristiques d’une période.

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Observation à l’œil nu de roches métamorphiques du Pic de Saint Barthélemy en Ariège, roches visibles en surface (gneiss à grenat), dites à l’affleurement, transformées par enfouissement de sédiments, chauffées à plus de 800°C et déformées à une vingtaine de km de profondeur il y a plus de 300 Ma. © Stéphanie Duchene.

 

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Observation au microscope polarisant cette fois-ci de roches métamorphiques du Pic de Saint Barthélemy en Ariège. La présence de minéraux formés à haute température et pression (850°C, 0.7GPa) et de figures de déformation témoigne de l’enfouissement des sédiments en profondeur lors de la formation de la chaine de montagnes.

 

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Image en cathodoluminescence d'un zircon, un minéral riche en uranium utilisé classiquement pour faire les datations © Image acquise au Centre Raimond Castaing de microanalyse (Toulouse).

 

Par contre, des analyses en laboratoire sont indispensables pour dater les roches profondes magmatiques (formées par la cristallisation de magmas en profondeur) ou métamorphiques (formées par la transformation des roches lors de leur enfouissement dans la chaîne de montagnes), grâce à la méthode de désintégration radioactive. Pour cela, il faut étudier leur composition à l’échelle atomique en analysant les différents isotopes qui se transforment au fil du temps, comme de véritables chronomètres naturels terrestres. Un isotope bien connu est le carbone 14, utile pour remonter à quelques dizaines de milliers d’années maximum. Mais pour naviguer dans le lointain, il faut utiliser d’autres éléments radioactifs comme l’uranium, qui a deux isotopes radioactifs, de masse 238 et de masse 235. Ceux-ci vont former des isotopes du plomb.

« Quand on analyse dans une roche la quantité de l’élément père, l’uranium, et la quantité de l’élément fils, le plomb, et connaissant la vitesse de transformation de lun en lautre, on peut en déduire lâge de la roche. C’est une méthode inventée il y a plus d’un siècle mais qui est devenu très accessible depuis une vingtaine d’années avec le développement de la spectrométrie de masse associée à l’ablation laser. »  

explique Stéphanie Duchene, enseignante-chercheuse à l'Université Toulouse III - Paul Sabatier, du laboratoire Géosciences Environnement Toulouse (GET).

 

Accéder au manteau : le graal des géologues

La construction des Pyrénées offre aux géologues une superbe préservation de l’histoire ancienne avant la collision des plaques et la formation de la chaîne de montagnes. Une spécificité des Pyrénées est qu’elles exposent de nombreux affleurement de manteau terrestre, dont l’une de ses roches constitutives - la lherzolite en lien avec le nom du plateau de Lers (ou Lherz) en Ariège. Pour être au plus proche de ce dernier, Frédéric Mouthereau emmène également ses étudiants au Turon de la Técouère sur le plateau de Bénou (en Vallée d'Ossau dans les Hautes-Pyrénées).

 

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Le plateau de Lers en Ariège, photo prise du Pic des trois seigneurs © Frédéric Mouthereau

« Nous connaissons encore assez peu le rôle du manteau lithosphérique dans la construction des montagnes, leur altitude et leur évolution. La découverte de ce qui s’est passé il y a des millions d’années peut nous aider à comprendre les phénomènes sismiques, et constitue un enjeu majeur. Le manteau est l’endroit le plus résistant de la lithosphère, donc si on reconstitue comment il peut rompre pendant ces phases tectoniques, on peut comprendre comment se forme les chaînes de montagnes. »

se passionne Frédéric Mouthereau.

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Manteau à l’affleurement sur le site du Turon de Técouère sur le plateau du Benou en Vallée d'Ossau à Bilhères (Pyrénées-Atlantique)

 

Pour être efficace, un travail d’équipe pluridisciplinaire est nécessaire. « Je travaille avec des géophysiciens qui sont aussi au laboratoire GET pour comprendre les vitesses sismiques, les ondes élastiques dans le manteau. J’ai besoin d’avoir ces informations géophysiques, ces images en profondeur que l’on acquiert par la méthode dite de la tomographie sismique » développe Frédéric Mouthereau.

De plus, connaitre plus finement les conditions des mouvements de la lithosphère dans le passé, c’est comprendre comment les déformations des plaques ont et vont impacter le climat, les courants océaniques et la biodiversité. Tout est lié !

 

Le manteau des Pyrénées : l’espoir d’une ressource verte

Au-delà d’être une source inépuisable de connaissances, historiquement, les Pyrénées ont offert des ressources énergétiques et minérales importantes, avec en particulier deux grandes exploitations européennes : le gisement de gaz de Lacq et la carrière de Talc de Luzenac à Trimouns. Au début du 20ème siècle, il y avait aussi de toutes petites exploitations, artisanales, qui remontaient de l’or, de l’argent, du tungstène, du plomb…  De nos jours, les industries portent leur espoir sur l’hydrogène. Le manteau produit de l’hydrogène quand il est hydraté !

« Le graal serait de pouvoir capter l’hydrogène naturel produit par le manteau en mettant une soucoupe dessus. Il serait inépuisable ! »

se projette Frédéric Mouthereau.

Au GET, les géologues qui travaillent sur les ressources actuelles sont dans une logique de développement durable. L’objectif est de dessiner un continuum depuis la description géologique de la formation des ressources jusqu’à leur exploitation par l’industrie. Mieux comprendre ce qu’est une ressource, c’est savoir quand et comment elle s’est formée, et aussi comment par son exploitation, les pollutions se dispersent et avec quels processus chimiques associés.  

« Une ressource géologique émane toujours d’un processus très localisé à la fois dans l’espace et dans le temps. Nos recherches permettent de faire de l’exploration mais aussi de montrer que ces ressources naturelles se forment grâce à des périodes clés de l’histoire de la Terre, évènements qui ne reviendront pas, en tout cas pas à l’échelle de la vie humaine »

conclut Stéphanie Duchene.

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Illustration de Cyril Hermosilla

 

 

GET : Géosciences environnement Toulouse (CNRS, UT3 – Paul Sabatier, IRD, Cnes)