Enfants et liens d’attachement : pour aimer et se laisser aimer

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Enfants et liens d’attachement : pour aimer et se laisser aimer

liens attachement
© by Unsplash

Quand il s’agit d’amour, la qualité prévaut toujours sur la quantité. Selon les professionnels sociaux et de santé, pour offrir à un enfant le sentiment d’être digne d’amour toute sa vie durant, il doit se sentir en sécurité, serein dès sa naissance. Focus sur la théorie de l’attachement avec deux chercheuses en psychologie de développement, Stéphanie Pinel-Jacquemin et Olivia Troupel.

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Par Anne-Claire Jolivet, de l’équipe Exploreur.

Offrir à quelqu’un une sécurité affective serait-il un acte d’amour ? À cette question, les chercheuses de l’Université Toulouse - Jean Jaurès se tordent le nez et nuancent avec précaution leurs réponses.

En premier lieu, elles précisent toutes les deux, que la théorie de l’attachement explique la construction d’un lien social très primaire : celui qui permet au nourrisson d’être protégé et de pouvoir explorer le monde extérieur et aller vers les autres.

« Après la seconde guerre mondiale, John Bowlby a construit cette théorie en réponse à l’Organisation mondiale de la santé, l’OMS, qui se demandait pourquoi autant d’orphelins se laissaient mourir, alors qu’on s’occupait d’eux ? … la nourriture ne suffit pas ! »

rappelle Olivia Troupel, enseignante-chercheuse à l’Université Toulouse Jean Jaurès, au Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (LISST).

Par ce lien, l’enfant « s’attache » aux personnes qui s’occupent de lui, à celles et ceux qui répondent à ces signaux de détresse pour satisfaire ses besoins : les pleurs et les cris en cas de froid, de faim, de peurs ou d’un inconfort dans la couche par exemple. Et si l’enfant dans les premiers mois et les premières années de sa vie, a disposé de proches qui ont su se rendre disponibles physiquement et psychologiquement pour repérer et répondre à ses besoins, alors il se sentira en sécurité (« secure » selon l’inventeur de cette théorie, John Bowlby). Il se pensera digne d’amour. Avec des liens d’attachement de qualité pendant son développement, un individu saura donc aimer et se faire aimer sereinement.

Dit autrement : l’attachement est un socle vital qui conditionne notamment l’amour en famille et en couple.

« S’il n’y a pas d’amour sans attachement, cet attachement peut toutefois être insécurisant. Dans une situation de grande précarité, par exemple, les parents peuvent ne pas être facilement disponibles. Ils ont leurs soucis à gérer, il y a l’incertitude du lendemain. Les enfants sont des éponges à émotion, si les parents sont inquiets, les enfants le sont aussi … Mais pour autant ils aiment leurs enfants ! »

précise Stéphanie Pinel Jacquemin, chercheuse au Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (LISST) et chargée d'étude à l'Institut national d'études démographiques (INED) à Paris.

Construire son schéma relationnel

Comment rendre ce socle fiable ou le consolider ? Le ou les adultes qui s’occupent principalement d’un enfant sont nommés les « figures d’attachement » : un parent mais aussi une nounou, un frère ou une sœur, etc.

C’est important que la figure principale perçoive ses signaux de détresse et qu’elle soit disponible physiquement et émotionnellement pour y répondre rapidement. En cas d’histoires de vie et de vécus douloureux ou tout simplement d’indisponibilités de la mère, du père et/ou d’autres proches, certains enfants dits « évitants » intègrent petit à petit qu’ils ne peuvent compter sur les autres, ils ne vont plus demander de l’aide, ils ne se perçoivent pas comme dignes d’amour. En cas d’irrégularité de soins, certains enfants dits « ambivalents » réagissent à l’inverse, ils sur-activent les sollicitations et sont très émotifs. Enfin, en cas de maltraitance avec des adultes qui les effraient, certains enfants seront dits « désorganisés » ou « désorientés ».

Donc en fonction de la réponse qui va lui être apportée pour apaiser sa détresse, l’enfant va intérioriser un schéma relationnel, appelé aussi « Modèle Interne Opérant – M.I.O. » dans son développement psychologique. Ce schéma guide la construction des liens affectifs tout au long de la vie ; il peut être cependant modifié et réajusté en fonction des accidents ou bonheurs rencontrés.

Une théorie qui bouleverse les pratiques des professionnels sociaux

Pour Stéphanie Pinel-Jacquemin, « il n’y a pas d’amour sans attachement, mais la réciproque n’est pas vraie » et Olivia Troupel rajoute « attachement ne veut pas forcément dire amour ».

C’est la raison pour laquelle la théorie de l’attachement a « le vent en poupe » chez les professionnels sociaux et de santé. Jusqu’à peu, était conseillé à toute famille d’accueil d’enfants placés et tout éducateur de ne pas « s’attacher » et de ne surtout pas aimer les jeunes dont ils avaient la charge. Or c’est impossible ! Existerait-il un amour professionnel ? Les Anglosaxons ont à leur disposition deux termes pour parler d’amour « love » et « like ». Pourrait-on dire que les professionnels doivent « liker » l’enfant alors que les parents doivent le « lover » ? Comment qualifier le lien que les accueillants doivent construire avec l’enfant en détresse, lien qui est, la plupart du temps, à durée déterminée ? Comment préparer la séparation future sans amoindrir l’accompagnement ?  

« La théorie de l’attachement leur permet justement de s’attacher et éventuellement d’aimer au sens « apporter une sécurité ». Vu ainsi le lien affectif est possible, tout en gardant leur place, ne pas remplacer le père et la mère. »

résume Stéphanie Pinel-Jacquemin.

Un enfant développe ses capacités à être aimé et ses manières d’aimer en fonction du climat relationnel général dans lequel il grandit durant les premières années de vie. Si un ou deux adultes jouent le rôle principal, la mère et/ou le père en majorité, il ne faut pas négliger les liens secondaires construits avec les autres proches, frères, sœurs, belle-mère, beau-père, grands-parents … dans un noyau familial en particulier.

La parentalité en jeu

La question n’est pas de trouver la recette du « bon parent » mais de rechercher les ingrédients pour faciliter la construction d’une famille sereine qui sait se serrer les coudes en cas d’adversité. Depuis la pandémie et ses confinements, ces derniers mois ont mis à l’épreuve la parentalité et les foyers.

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En mars 2020, les services de néonatologie et de maternité ont très vite alerté sur la détresse maternelle.  Avec les mesures barrières, la femme était accueillie uniquement avec les affaires dont elle disposait à son arrivée aux urgences. Elle était seule dans la chambre, sans livre, avec très peu de visite médicale – le personnel hospitalier craignant aussi d’être contaminé et pas de visite de papa autorisée… le père avait seulement le droit à 2h pendant l’accouchement, et celui de venir chercher le bébé et la mère à la sortie de la maternité. Pour les bébés prématurés, les maisons des parents étaient fermées, une seule visite pour un parent était autorisée par jour. L’autre parent se retrouvait donc à attendre sur le parking !

« Pendant le confinement, en néonatologie les bébés étaient séparés de leurs parents partiellement ou entièrement en fonction du site et les femmes étaient seules sans leur conjoint. C’est un problème dans la création du lien d’attachement. Dans notre recherche CoV-Perinat, nous avons évalué les conséquences de cette adversité en mars-avril et mai 2020 et nous sommes en train d’évaluer l’impact, neuf mois après sur ces mêmes familles »

insiste Olivia Troupel.

Pour elle, ce programme de recherche CoV-Perinat, intégré dans le groupement d’intérêt scientifique BECO-UFTMiP, va contribuer à mieux connaitre l’impact de la distanciation sociale liée à la COVID 19 sur le stress de la parentalité à la naissance et lors de cette période charnière des neuf mois après la naissance, phase importante dans la construction des liens d’attachement. Pour l’heure, 128 parents ont été interrogés (30% de papa) en maternité ou en néonatologie à Toulouse, Nantes, Tours et Paris. Il ressort rapidement que les femmes ont été beaucoup plus stressées et impactées que les hommes. Mais, également, que les relations parents-bébés ont été plus troublées en néonatologie. Enfin, pour les parents ayant eu un bébé à terme, deux profils se dégagent : les parents heureux du confinement et des mesures barrières pour profiter pleinement de leur bébé et ceux qui sont très stressés du fait de ne pas pouvoir le présenter. Afin d’aider les parents pendant cette période complexe un site a été créé pour aider à la parentalité.

 

Confinement en famille : quelles adversités ?

Avec les confinements et couvre-feu, le cercle familial s’est resserré, pour le meilleur et pour le pire. Dans le cadre également du groupement d’intérêt scientifique BECO-UFTMiP, Stéphanie Pinel-Jacquemin avec de nombreux collègues du programme COVJE ont mené une enquête pendant le premier confinement, auprès de 492 familles avec de jeunes enfants de moins de 6 ans. Les résultats sont en cours d’analyse. Mais ils observent d’ores et déjà que pour 1/3 des familles, l’expérience du confinement ne semble pas avoir eu d’effets sur leurs relations et le climat général d’entente. Pour ¼ d’entre elles en revanche, elles se sont tendues, et pour les 42% restants elles se sont renforcées, surtout entre parent-enfant et aussi entre les conjoints. Pour ces dernières, les facteurs, extraits de l’analyse qualitative des discours des parents concernés, sont, entre autres, une organisation basée sur l’entraide dans le couple, le plaisir de passer plus de temps avec ses enfants, et le développement d’une complicité dans la fratrie qui a permis une plus grande autonomie des enfants et donc davantage de tranquillité pour les parents... Stéphanie Pinel-Jacquemin fait l’hypothèse d’une base de sécurité familiale : les enfants sont contents d’être avec leur parent, ils jouent ensemble, ils sont plus autonomes, les parents ont alors plus d’espace psychique et profitent du plaisir d’être avec eux malgré les difficiles conditions de confinement. 

Concernant les relations familiales qui se sont tendues pendant le confinement, les facteurs avancés par les parents concernés sont principalement la solitude ressentie avec un fort manque de lien social, des sentiments négatifs liés aux inquiétudes (virus, avenir professionnel, monde dans lequel on vit), la routine mal vécue, l'"inconciliation" vie de famille-vie professionnelle-scolarité enfants, les comportements difficiles des enfants et la non maîtrise des écrans. Une insécurité globale et un manque de régulation des émotions familiales sont donc sources de tensions.

Par ailleurs, la place des écrans dans l’étude est incroyable. Ils apparaissent souvent comme une source de tension. Mais, dans les familles où le lien s’est renforcé, l’usage des écrans est moins problématique, cadré de manière plus « raisonnée » que les autres.

« C’est important de parler de la place des écrans quand on parle de l’attachement. La figure d’attachement doit être capable de détecter des signaux de détresse de l’enfant, et on s’aperçoit qu’avec cet envahissement des écrans dans notre vie, les jeunes parents perdent l’habitude de devoir faire attention à leur enfant, et donc ils perdent tout ce qui permet de décrypter les signaux de détresse. Par ailleurs, l’enfant peut aussi être canalisé par les écrans-sitters ! »

complète Stéphanie Pinel-Jacquemin.

Évolution des mœurs et adaptabilité de la théorie

Historiquement, John Bowlby a développé après-guerre sa théorie à partir du schéma social de la mère à la maison et du père au travail. La mère a donc été longtemps perçue comme la figure d’attachement principale et incontournable. Aujourd’hui des outils tels que des questionnaires, des protocoles comme les histoires à compléter sont expérimentés pour analyser non pas le rôle sexué d’un parent mais plutôt la fonction maternelle et la fonction paternelle comme le miroir des deux notions fondamentales de la théorie de l’attachement : la sécurité et l’exploration. La fonction maternelle serait du côté des soins et la fonction paternelle du côté de l’exploration en stimulant et en catalysant la prise de risque. A côté d’un toboggan, le « père » ne tient pas la main du haut vers le bas. Il fait reformuler son enfant car il ne comprend pas le langage-bébé.

Quid du rôle des frères et sœurs ?

Olivia Troupel qui s’intéresse depuis sa thèse au rôle des fratries dans la construction d’un individu, rappelle que « les fratries sont « les oubliés du roman familial » [selon l’ouvrage d’Odile Bourguignon, Le fraternel, 1999]. Il y a une difficulté méthodologique : pour étudier la fratrie, il faut la même formule familiale, il y a beaucoup de biais parasites. ».

Les scientifiques débattent au côté des psychologues pour dessiner le schéma relationnel : doit-on à tout prix faire référence à une figure d’attachement principale et qualifier les autres de secondaires ou bien est-ce une combinaison de plusieurs figures qui permet à l’enfant de construire son « Modèle Interne Opérant – M.I.O. » du fonctionnement des relations avec lui et les autres ? Dans quelle mesure ce M.I.O. serait d’ailleurs sujet à évoluer au cours de la vie, au grè des relations amoureuses, fraternelles et amicales ? Affaire à suivre donc !

 

LISST : Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires (CNRS, Université Toulouse – Jean-Jaurès)