Étudier le genre et la sexologie : le parcours intéressant mais semé d’embuches de Sylvie Chaperon
Devenir une référence sur l’histoire des femmes, l’histoire de la sexualité et le féminisme n’est pas un long fleuve tranquille. Sylvie Chaperon nous raconte…
Par Huau Marius. Publication de la série LA PAUSE ÉTUDIANTE, rédigée dans le cadre de l’atelier d’écriture du Master Culture et communication, parcours Médiations scientifiques, techniques et patrimoniales de l’Université Toulouse – Jean Jaurès, avec l’accompagnement pédagogique de Delphine Dupré, docteure en sciences de l’information et de la communication. Entretien mené avec Marin Auvray.
Lorsqu’il s’agit de résumer son expertise, Sylvie Chaperon évoque en priorité ses recherches sur les écrits de Simone de Beauvoir et les origines de la sexologie au XIXe siècle. Mais très vite, l’entretien est l’occasion de préciser qu’elle aurait très bien pu ne jamais devenir la chercheuse accomplie d’aujourd’hui : des difficultés à être recrutée, des attaques politisées envers ses domaines de recherche pendant ses interventions ou encore le manque de reconnaissance d’une partie de la communauté historienne. Sylvie Chaperon nous livre son expérience de femmes scientifiques explorant des sujets de recherche « marginaux ».
Un sujet de recherche qui s’impose à la chercheuse
Le plus impressionnant lorsque Sylvie Chaperon nous évoque son cursus universitaire, c’est le nombre de diplômes et de concours qu’elle a obtenus. Titulaire d’une thèse en histoire des femmes qu’elle a validée en 1996 et possédant l’habilitation à diriger des recherches depuis 2007, elle est depuis l’année dernière membre de l’Institut universitaire de France. Il s’agit d’une institution qui offre des conditions avantageuses aux chercheurs pour réaliser leurs travaux. Il n’est donc plus à prouver que Madame Chaperon mérite amplement son statut actuel.
« Au départ, je ne voulais pas devenir prof, ni chercheuse. Au départ, je voulais tenter une école de cinéma »
nous explique Sylvie Chaperon en souriant tout en nous précisant qu’elle a raté par trois fois le rude concours d’entrée à l’IDHEC, l’Institut des hautes études cinématographiques (aujourd’hui FEMIS).
Peu engagée dans le féminisme mais intéressée par son approche intellectuelle, la chercheuse se laisse guider par « Le Deuxième Sexe » de Simone de Beauvoir. Cet ouvrage majeur de la philosophie féministe paru en 1949 étaye ses recherches, Sylvie Chaperon souhaite comprendre la réception de cet ouvrage lors de sa parution.
En effet, le discours critique que cette philosophe porte sur la sexologie a été « très mal reçu » par la classe politique et la société : « Pourquoi un discours qui aujourd’hui ne nous paraît pas si choquant que cela a suscité tant de critiques à l’époque ? » s’interroge Sylvie Chaperon. Même constat concernant les rapports scientifiques du sexologue américain Kinsey, publiés en France après leur traduction au début des années 1950. Ce chercheur avait mené la première enquête de masse sur la vie sexuelle de 10 000 hommes et 10 000 femmes en leur faisant passer des entretiens. La chercheuse explique avec sérieux que c’est pour comprendre les raisons du tabou sur la sexualité qu’elle s’est orientée vers l’histoire de la sexologie et l’histoire des femmes.
Les études de genre : un frein à la carrière professionnelle ?
Le premier obstacle de l’histoire des femmes est le manque ou la dissymétrie des sources contemporaines. En histoire du féminisme, les sources disponibles se trouvent dans les archives des associations de l’époque. La chercheuse nous éclaire en précisant que ce genre de documents représente la « vitrine » des associations, c’est-à-dire leurs actions, leurs campagnes, etc. En ce qui concerne la sexologie, le recours aux thèses de médecine et à la presse médicale très riche permet de collecter suffisamment de matière pour tester des hypothèses de recherche.
Malgré la rigueur scientifique et historique des recherches menées sur ces sujets, la communauté des historiens et historiennes (mais des historiens surtout) ont longtemps peiné à reconnaître à leur juste valeur les travaux sur le genre : « Il y a un certain machisme qui peut s’exercer sur toutes ces études-là. », argumente la chercheuse. De plus, les institutions « marginalisent » ces travaux car ils sont perçus comme, selon les mots de Sylvie Chaperon, « trop militants ». Mais cette dernière paraît soulagée que cette méfiance des historiens soit moins vraie aujourd’hui, bien que cela dépende des universités et de l’intérêt que les chercheurs et chercheuses portent aux études genre.
« Dans les universités, comme à Jean-Jaurès, où il y a une implantation assez ancienne des études de genre, nous sommes assez bien acceptés »
nous raconte-t-elle.
Les conséquences d’une telle méfiance vis-à-vis des études de genre est la difficulté de se faire recruter par les institutions, nous explique madame Chaperon : « J’ai dû candidater pendant quatre ans dans je ne sais combien, quinze universités peut-être, avant d’obtenir un poste, à une époque qui était quand même moins difficile qu’aujourd’hui. »
Des oppositions virulentes
« Politiquement, on a des ennemis. »
C’est lorsque que ces études (qui regorge d’opinions divergentes et qui porte sur des sujets sensibles) sont expliquées ou débattues publiquement que des contestation émergent. Mais ces dernières sont néanmoins « de plus en plus actives et virulentes », déplore la chercheuse. Ceci n’est pas spécifique à la France car Sylvie Chaperon observe le même phénomène dans d’autres pays. Les mouvements « anti-genre » existent partout.
Lors de cet entretien, la chercheuse a évoqué une anecdote personnelle qui nous a littéralement stupéfaits. Le colloque « Nos luttes changent la vie entière : 50 ans de mouvement de libération de la femme » s’est déroulé le 6 novembre dernier en visioconférence avec des enseignants et des doctorants. A son sujet, Sylvie Chaperon déclare : « Nous nous sommes faits attaqués par des néo-nazis qui nous ont insultés et qui ont mis des croix gammées, des phallus et des injures sur les écrans ». Sur internet et les réseaux sociaux, précise Sylvie Chaperon, les féministes sont visées tout comme les juifs ou les homosexuels. Comme nous l’étions pendant l’interview, les doctorants ont eux aussi été choqués devant un tel déferlement de haine. L’institution a porté plainte et la chercheuse pointe du doigt le manque de sécurité des logiciels de réunions virtuelles (ce qui a progressé depuis).
Malgré un soutien croissant de la part de la société et des institutions, le féminisme reste la cible d’attaques. L’exemple du colloque sur le MLF reflète l’acharnement de certains groupes politisés contre les sciences sociales et le féminisme. Qui sont ces individus anonymes qui s’en prennent aux études de genre ? Quelles sont leurs motivations ? Le succès de cette manifestation scientifique montre l’intérêt grandissant du public pour les questions de genre, qui sont de plus en plus fréquentes dans notre société, mais également l’hostilité persistante de certains groupes.