Croquer les briques à pleine dent, avec l’archéologue Emmanuel Baudouin

Partagez l'article

Cultures・Sociétés

Croquer les briques à pleine dent, avec l’archéologue Emmanuel Baudouin

Emmanuel Baudouin portrait

La série « Les 2 font la paire » met en scène des couples insolites… Un ou une scientifique et un objet. Découvrez pourquoi ils se sont choisis et ce qu’ils représentent l’un pour l’autre.

 

Par Lucas Cousinet et Hélène Pierre, de l’équipe Exploreur.

Pour ce portrait original, l’équipe Exploreur a demandé à des chercheurs de différentes disciplines de venir avec un objet évoquant leur thématique de recherche. Une occasion de parler de leurs travaux, de leur métier, des rencontres qui les ont marqués durant leur parcours et de ce qui les anime dans leur quotidien, en laboratoire ou sur le terrain.

brique Emmanuel Baudouin
© 2021 - Sébastien Chastanet, OMP

 

Emmanuel Baudouin est chercheur associé au laboratoire Travaux et recherches archéologiques sur les cultures, les espaces et les sociétés - TRACES. et chargé d’enseignement à l’Université Toulouse - Jean Jaurès. Archéologue spécialisé dans l’architecture du Néolithique dans le Sud Caucase. Il a choisi, pour illustrer ces recherches, de présenter une brique rose toulousaine en écho aux briques utilisées il y a bien longtemps dans cette région située entre la mer Noire et la mer Caspienne passant par les actuels Arménie, Géorgie et Azerbaïdjan.

Portrait Emmnanuel Baudoiun
© 2021 - Sébastien Chastanet, OMP

 

« Les briques étaient moulées comme celle que l’on peut voir ici à Toulouse. »

En effet, peu de choses séparent ces deux briques. Toutes deux sont faites à base de terre et réalisées grâce à la technique du moulage permettant une fabrication en série. Datant de - 6000 ans, ces briques ont été conçues probablement à partir de moules en bois aujourd’hui disparus. Mais contrairement à la brique toulousaine, les briques du Sud Caucase au Néolithique n’étaient pas cuites mais crues.

Pour Emmanuel Baudouin, l’intérêt d’étudier le Sud Caucase est de comprendre comment l’architecture s'est développée et s’est dispersée, à l’image de l’agriculture et de l’élevage dont on connaît mieux la dynamique de dispersion. Un autre point intéressant est la néolithisation tardive de ce territoire. Bien que situé à seulement 300 km de la Mésopotamie qui voit les premières populations sédentaires de l’histoire entre -10 000 et - 8000 ans, le début de la sédentarisation dans le Sud Caucase ne se déroulera que 3000 ans plus tard. 

À travers ses recherches, Emmanuel Baudouin observe les stigmates particuliers laissés lors du moulage des briques (bord droit, crête sur la surface, etc…) afin de reconstituer la chaîne opératoire de la confection de ces briques. Il cherche à connaître les matériaux utilisés et leur procédés d’assemblage (enduit, toiture, etc…), la forme du bâtiment, l’organisation des bâtiments au sein du village afin d’en comprendre leur fonction. Autant d’indices qui révèlent comment vivaient les populations de l’époque. Ces traces sont parfois délicates à percevoir, puisque la terre locale crue servant à confectionner les briques se confond avec la terre du sol. Généralement, Emmanuel retrouve une architecture réduite à quelques dizaines de centimètres.

« On retrouve exceptionnellement des murs conservés sur plus d'un mètre de hauteur, avec des briques entières. »

Il arrive, dans des cas exceptionnels, de retrouver des élévations allant jusqu’à 1m40, ce qui est remarquable pour des structures datant de près de 6000 ans. En 2018 en Azerbaïdjan, des restes de la toiture d’un bâtiment ont pu être retrouvés. Habituellement, les restes organiques et végétaux périssables ne sont pas conservés. Mais dans ce cas précis, l’incendie a brûlé le bâtiment et a permis aux archéologues de retrouver des restes de la toiture effondrée et d’observer l’utilisation mixte des matériaux. Les toitures de la région étaient, selon cette découverte exceptionnelle, en bois, en branchages et en roseaux.

Même si ses recherches portent sur des architectures datant de plusieurs milliers d’années, à l’image de la brique toulousaine, les travaux d’Emmanuel Baudouin sont bien ancrés dans le monde d’aujourd’hui. En 2012, l’UNESCO estimait que près d’un tiers de la population mondiale vivait dans des constructions en terre.

 

> Écoutez l’interview d'Emmanuel Baudouin. Réalisation : © Lucas Cousinet (Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées, Campus FM Toulouse, Quai des savoirs).

 

TRACES : Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés - UMR 5608 du CNRS, de l’université Toulouse II Jean-Jaurès et du Ministère de la culture et de la communication, conventionné avec l’EHESS, l’INRAP et le service d’archéologie de Toulouse-Métropole.