L’IA, les protéines et moi
Indispensables à la vie, les protéines sont aussi de précieux alliés dans des domaines variés, de la médecine au recyclage du plastique Le changement d’un seul acide aminé peut modifier l’agencement de ses molécules et donc sa fonction. Les bio-informaticiens Thomas Schiex et Frédéric Cazals en conçoivent et en modélisent avec l’aide de l’IA.
Par Valérie Ravinet, journaliste. Podcast enregistré à Toulouse à l’automne 2021.
Morceaux choisis
Une protéine, qu’est-ce que c’est ?
Frédéric Cazals : « Une protéine est une biomolécule, une unité fonctionnelle faite d’une ou plusieurs chaines polypeptidiques [NDLR – des chaines de molécules d’acides aminés], dont la fonction est attachée à sa structure mais aussi à sa dynamique. »
Thomas Schiex : « Il existe essentiellement trois familles de molécules, l’ADN, l’ARN et les protéines. Les protéines sont connues pour avoir rendu la vie possible. Elles sont utiles dans le monde du vivant mais aussi en dehors, comme les fameux enzymes gloutons dans la lessive. Elles sont des catalyseurs biodégradables, ce que bon nombre d’agents chimiques ne sont pas. »
Comment conçoit-on une protéine ?
TS : « Les protéines sont des successions de petites molécules que l’on assemble pour former des chaines. On fait souvent l’analogie avec des perles. Elles sont généralement de vingt natures différentes, vingt couleurs de perles qui forment un collier, -une protéine-. En imaginant que l’on assemble 200 perles pour faire un collier, la quantité de colliers différents est gigantesque ! On conçoit des protéines pour des usages précis. Concevoir une protéine, c’est insérer la bonne couleur pour qu’elle ait l’usage voulu. »
FC : « Il faut créer le « mot magique », la séquence qui va permettre une fonction précise, selon deux types de procédés. Le premier, la catalyse, est en lien avec la chimie, puisqu’on « casse » des protéines covalentes. Il existe aussi les protéines qui produisent des effets par des interactions non covalentes. On peut donner l’exemple du vaccin anti-covid, où le système immunitaire est stimulé contre le coronavirus, le but étant alors de fabriquer des anticorps -des protéines- qui viennent se poser sur le récepteur du virus pour bloquer son mécanisme dynamique. »
Avec qui travaillez-vous dans le domaine de la santé ?
FC : « Ils sont nombreux ! Nous collaborons par exemple avec des équipes d’immunologistes qui cherchent à comprendre comment et pourquoi des mutations, c’est-à-dire des changements d’acides aminés, s’opèrent dans certaines parties des immunoglobulines et rendent compte d’une meilleure efficacité. »
TS : « Autre exemple pour mon équipe : nous avons travaillé avec des équipes de l’INSERM pour la conception de nano anticorps issus des camélidés qui sont plus simples et ont des capacités similaires aux anti corps humains. Nous avons réussi à produire des squelettes d’anticorps. »
D’autres domaines d’applications ?
TS : « Ils sont multiples. On peut citer le domaine de l’environnement. Nous avons produit des protéines, des enzymes, capables de recycler indéfiniment le plastique, en le dépolymérisant, pour le compte de l’entreprise Carbios. »
Quel est l’apport de l’intelligence artificielle dans vos recherches ?
TS : « l’IA est utile pour des applications très diverses, elle nous permet d’optimiser des fonctions. Toutes les armes sont bonnes pour résoudre une problématique ! »
Quelles sont les techniques à votre disposition ?
FC : « Dans nos domaines, il existe essentiellement trois modalités expérimentales : la cristallographie par rayons X, la résonance magnétique nucléaire et la cryo-électro-microscopie. Cette dernière technique a donné lieu au prix Nobel de chimie en 2017. Elle a fait des progrès remarquables au cours des 15 dernières années et permet désormais de faire des observations à l’échelle de l’atome. Malheureusement, nous sommes sous-dotés en France, à la fois en équipement et en personnel formés. »
TS : « L’observation du vivant à l’échelle atomique est une révolution. Mais les équipements font en effet défaut en France, et l’effet d’attraction des chercheurs vers des pays qui accordent plus d’importance à la science ne sert pas notre recherche. »
Un mot sur le programme universitaire à dimension internationale The Algorithms in Structural Bioinformatics, dans laquelle vous êtes tous les deux impliqués ?
FC : « C’est un programme à l’interface entre biologie structurale et informatique pour résoudre des problèmes sur les protéines grâce à des chercheurs capables d’analyser les fondements des algorithmes qui les résolvent. Cette école existe depuis 2012 et accueille une cinquantaine de personnes. Cette année, le thème est « Méthodes d'apprentissage automatique pour analyser et prédire la structure, la dynamique et la fonction des protéines », avec des alternances de présentations et travaux pratiques. »
À propos des intervenants
Thomas Schiex est chercheur INRAE. Il est titulaire de la chaire Intuition 1 et logique 2 pour le design au sein de l’Institut interdisciplinaire d’intelligence artificielle de Toulouse, ANITI.
Frédéric Cazals est chercheur INRIA, au centre de Sophia Antipolis. Il dirige l’équipe Algorithmes-Biologie-Structure et a développé le logiciel Structural Bioinformatics Library http://sbl.inria.fr . Au sein de l’institut d’intelligence artificielle 3IA Côte d’Azur, il porte la chaire AIMS: Artificial intelligence for molecular studies dédiée à la conception de protéines et à l’étude de leurs interactions.
Écoutez Investiga'Sciences#9
À propos d’Investiga’Sciences
Investiga’Sciences est une série de podcasts scientifiques, dont l’objectif est d’explorer un sujet avec deux experts, dans un débat au long cours. Chaque épisode est dédié à un thème et croise les regards et les expériences pour comprendre ses enjeux, ses défis, ses perspectives. Créé par la journaliste Valérie Ravinet, ce projet est soutenu par ANITI et l’Université fédérale de Toulouse.
Ont contribué à la réalisation de cet épisode : le dessinateur Ström pour le visuel, le Studio du Cerisier pour la prise de son et le jingle.