Vers des lendemains qui chauffent ?

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Cultures・Sociétés

Vers des lendemains qui chauffent ?

planète Terre en feu
© iStock

Quel climat de confiance règne dans l’espace public face aux discours politiques, médiatiques et scientifiques en temps de crise écologique ? Exploreur prend la température avec Guillaume Carbou et Julien Weisbein, spécialistes des discours de l’écologie politique.

L'Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées et le Quai des Savoirs lancent Questions de confiance : un cycle de huit rencontres chaque dernier mardi du mois, de janvier à octobre 2022, proposé dans le cadre de l’exposition "Esprit Critique, détrompez-vous !" et des rencontres #Exploreur.

Rencontrez deux spécialistes de l'analyse des discours politiques traitant des enjeux écologiques : Guillaume Carbou, enseignant-chercheur à l'Université Bordeaux Montaigne, et Julien Weisbein, enseignant-chercheur à Sciences-Po Toulouse, le 25 janvier 2022 à 18h au Quai des savoirs, en direct sur YouTube et en rediffusion dans cet article.

 

Par Clara Mauler et Clara Teixeira, de l’équipe Exploreur.

 

Comment intervient la question de la confiance dans vos recherches sur les discours politiques traitant des enjeux écologiques ?

Julien Weisbein : J’interroge la confiance accordée aux surfeurs dans l’arène des politiques publiques de protection des littoraux et des espaces maritimes. La Surfrider Fondation Europe est une association de surfeurs qui est une ONG environnementale majeure en France et en Europe. Comment des surfeurs - qui sont souvent associés au cliché « Brice de Nice » ou à une image de rebelle -  ont réussi à devenir des acteurs politiques reconnus sur les questions environnementales ? Une de mes hypothèses est qu’ils sont perçus comme authentiques. On considère qu’ils ne trichent pas, car leur engagement est motivé par leur passion pour les vagues.

Guillaume Carbou : Ce qui caractérise les discours qui circulent dans l’espace public aujourd’hui, c’est leur diversité et leurs divergences. On peut entendre des points de vue très différents et tout aussi affirmés sur un même sujet, et la thématique écologique n’échappe pas au problème, loin de là ! La question pour le citoyen c’est donc : comment accorder ma confiance à tel ou tel discours ?

Sur le baromètre de la confiance, où situez-vous celle accordée aux institutions et discours politiques aujourd’hui : soleil, éclaircie, grisaille, orage ?

GC : À l’orage ! La perte de confiance dans les institutions et le personnel politique est majeure. Mais il reste paradoxalement des attentes envers l’État. Donc l’orage est important mais quelques éclaircies persistent…

JW : Il n’y a jamais eu de confiance absolue envers les institutions et surtout le personnel politique. Aux États-Unis, la procédure de révocation, l’impeachment, est une tradition culturelle qui permet l’expression de la défiance. L’urne ne fabrique pas de la confiance mécaniquement. En France, il y a davantage une mystique de l’intérêt général, l’homme politique est sacralisé… Mais depuis les années 80, la défiance augmente.

Comment observez-vous ce boom de la défiance ?

JW : En deux mots : abstention et mobilisation. Depuis les années 80, la défiance se manifeste de plus en plus à chaque rendez-vous électoral, par le fait de ne plus aller voter. Ces dernières années, l’expression de cette défiance est plus active encore avec une multiplication de mouvements de contestation et de mobilisation. Un seuil a été franchi avec Nuit debout et les Gilets jaunes… Il ne s’agit plus seulement de ne pas se déplacer pour aller voter. Tous les dimanches, on va occuper un rond-point, manifester dans les rues, prendre des grenades lacrymogènes dans la figure…

Pourquoi cette défiance envers les institutions et discours politiques ne cesse-t-elle de croître ?

JW : Depuis les crises économiques des années 70 et 80, les hommes politiques paraissent démunis. Quelles que soient les alternances politiques, les choix qui sont faits ne transforment pas la réalité. Mais surtout le fait que l’activité politique soit professionnalisée, animée par des hommes (et quelques femmes) qui y ont un intérêt professionnel, passe de moins en moins. 

GC : La confiance dans les gouvernants est plus faible dans une société où il y a un sentiment de crise, des problèmes économiques et sociétaux. Ces différences de rapport à l’État s’expliquent aussi culturellement. Dans les pays scandinaves, il est mal vu d’être très démonstratif... L’écart de richesse est plus faible, ce qui favorise un sentiment d’équité. Il y a donc une plus grande proximité entre les dirigeants et la population. Tout cela renforce la confiance.

Sur le baromètre de la confiance, où situez-vous celle accordée aux scientifiques aujourd’hui ?

GC : Le statut du scientifique garde une certaine crédibilité. La rationalité a toujours du poids, c’est ce qui nous permet d’avoir accès à des arènes discursives dans l’espace public. D’un autre côté, la confiance dans les institutions scientifiques s’est aussi étiolée. Les débats écologiques y sont pour beaucoup. Qu’il s’agisse du changement climatique, de la dangerosité d’un ensemble de substances chimiques, d’OGM… Lorsque les alertes scientifiques contredisent certains intérêts, comme ceux des lobbys, la controverse scientifique est utilisée pour jeter le doute et les discréditer.

Le discours scientifique trouve-t-il difficilement sa place aux côtés des discours politiques et médiatiques ?

JW : Nous sommes un peu désarmés dans les arènes où on échange des idées et des connaissances aujourd’hui. Un discours scientifique se résume difficilement aux 140 caractères du tweet ! Le savoir scientifique est construit comme un objet critiquable. On annonce les théories utilisées, les conditions dans lesquelles le résultat est vrai, les enquêtes et les sondages réalisés… On laisse les « échafaudages » de construction de la connaissance. De cette manière, on donne les « outils » pour la critiquer.

GC : La science est un appel au débat honnête et transparent. C’est un discours de la nuance, de la complexité et de la non affirmation qui s’inscrit dans un temps long. L’exact inverse du discours médiatique et politique qui s’inscrit dans un temps court où tout doit être affirmé et rapidement compréhensible.

JW : Par exemple, si je me suis entretenu avec 10 surfeurs, mes conclusions sont valides pour ce groupe. Un sondage d’opinion auprès de 10 000 personnes me permettra de tirer des conclusions représentatives d’une population plus large. Ce que j’avance est vrai sous certaines conditions. Contrairement au discours militant, où une chose est présentée comme vraie dans l’absolu. C’est un discours qui marche beaucoup mieux, car il se présente comme irréfutable.

Un conseil pour faire le tri au milieu de tous ces discours écologiques ?

JW : Se renseigner auprès des professionnels de la profession. Si vous avez une question sur le climat, chercher l’information venant d’un climatologue. Ne pas faire confiance au scientifique pour faire de la science, c’est comme ne pas faire confiance au boulanger pour faire du pain. De plus en plus de chercheurs font de la médiation et de la vulgarisation scientifique. J’y crois beaucoup, il y a vraiment un public intéressé.

GC : Cela revient à la question de la confiance… Faire confiance aux scientifiques et aux passeurs de science qui ont des discours fiables et honnêtes et présentent des données qui ont été vérifiées et validées par la communauté scientifique. Mais toujours en gardant un certain recul critique !

Accordez-vous parfois une confiance aveugle à certains discours ?

GC : La vie humaine consiste à avoir confiance en des choses qu’on ne peut pas vérifier. Je ne suis jamais allé en Australie pour voir s’il y avait bien des kangourous. Je fais confiance aux personnes qui me l’ont dit. Il y a des savoirs d’expérience, mais l’immense majorité sont des savoirs de confiance.

JW : D’un côté, il y a le doute méthodique du chercheur. De l’autre, je pense que j’aurais du mal à vivre dans la vie sociale si je doutais de tout !

GC : L’esprit scientifique pousse à douter en permanence…

Est-ce que plus on cherche, plus on doute ?

GC : Plus on cherche, plus on doute, plus on s’aperçoit que les choses sont infiniment complexes. Ce n’est pas une raison pour douter de tout, mais au contraire pour accorder beaucoup de respect au peu que l’on sait.

JW : Le philosophe des sciences Gaston Bachelard parlait de « surveillance intellectuelle de soi ».

GC : Il cite sa source, vous pouvez lui faire confiance !

 

Guillaume Carbou est enseignant-chercheur à l’Université Bordeaux Montaigne en sciences de l’information et de la communication au laboratoire Sciences, philosophie, humanités (SPH). Il est membre associé du laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (LERASS - Université Paul Sabatier - Toulouse III, Université Toulouse - Jean Jaurès, Université Montpellier - Paul Valéry, IUT de Tarbes).

Julien Weisbein est enseignant-chercheur à Sciences Po Toulouse au laboratoire des sciences sociales du politique (LaSSP).

Ils sont tous les deux membres de l’Atelier d’écologie politique (Atécopol), un groupement de scientifiques étudiant les multiples aspects liés aux bouleversements écologiques et réfléchissant à la façon de partager ces connaissances avec l’ensemble de la société.