Génération(s) archéo (1890 - 1932) : Des passionné·es sur le terrain
À ses débuts, l’archéologie n’est pas faite par des professionnel·les. Des amateurs et amatrices passionné·es, disposant de temps ou de revenus suffisants, se forment, s’organisent en réseaux scientifiques et dirigent des fouilles où les terrassements, faisant la part belle à la pelle et la pioche, sont effectués par des ouvriers, recrutés pour l’occasion.
Mini expo : Une série de galeries artistiques, esthétiques, patrimoniales et scientifiques pour découvrir le monde autrement. Les scientifiques se transforment en chargé·es d’expositions et partagent en images les coulisses de la recherche.
Génération(s) archéo retrace, en 3 mini expos, des aventures archéologiques de la fin du XIXe à nos jours… Quand les archéologues toulousain·es fouillent dans leurs albums photos pour un voyage dans le temps et l’espace.
Épisode 1 : Des passionné·es sur le terrain (1890 - 1932)
Épisode 2 : Le tournant vers la professionnalisation (1960 - 1971)
Épisode 3 : Archéologie 2.0 (2018 - 2024)
Les premières fouilles ressemblent davantage à des terrassements, comme ici sur le site de la villa romaine de Chiragan (31) en 1891, bien loin de l’image actuelle des archéologues précautionneux·ses. Pelles et pioches sont les outils principaux, maniés par les ouvriers souvent embauchés sur place et parfois payés à la découverte. Les fouilles de la villa romaine de Chiragan ont notamment permis la mise au jour de marbres sculptés exceptionnels, dont de nombreux bustes d’empereurs romains et un ensemble de reliefs représentant les travaux d’Hercule, aujourd’hui visibles au musée Saint-Raymond à Toulouse.
De manière générale, les premiers - et premières ! - archéologues sont des passionné·es qui disposent de temps et de revenus que leur procurent leur activité ou leur statut social. Comme ici la duchesse Marie de Mecklembourg-Schwerin, reconnue pour ses travaux sur des sites de Carniole, en Slovénie, datés de la Protohistoire (période située entre la Préhistoire et l’Antiquité, qui voit la découverte et le développement de la métallurgie). À 48 ans, la duchesse se passionne pour l’archéologie. Elle se forme auprès de savants reconnus et mobilise des fonds qui lui permettent de fouiller de nombreuses tombes de l’Âge du fer. Elle constitue une collection de plus de 20 000 objets, aujourd’hui déposée au Peabody Museum à Harvard, aux États-Unis.
Édouard Piette, photographié sur ses fouilles à la grotte du Mas d’Azil (09) en 1892, est homme de loi, de même qu’Émile Cartailhac, l’auteur du cliché. Cette plaque de verre montre les fouilles menées par Édouard Piette en rive gauche de la grotte, où il applique des méthodes de fouille et d’observation rigoureuse. On remarque à l’arrière-plan les ouvriers qui tamisent la terre pour repérer les vestiges de petite taille. Grâce à ces fouilles, il définit la culture de l’Azilien, ce qui contribue à préciser la chronologie de la transition entre les derniers et dernières chasseur·euses-cueilleur·euses nomades et les premiers groupes d’agropasteur·euses sédentaires. Venu à l’invitation de Piette, Émile Cartailhac est un acteur majeur de la recherche en Préhistoire, à la charnière du XIXème et du XXème siècle. Il renonce à sa carrière d’avocat pour se consacrer à l’archéologie. Il est le premier à enseigner la Préhistoire, à Toulouse, dès 1882.
Ces premier·ères archéologues vont rapidement se constituer en véritables réseaux à l’échelle internationale. Les échanges sont nombreux, notamment au sein et entre les différentes sociétés savantes (à Toulouse, la Société Archéologique du Midi de la France, fondée en 1831, est l’une des plus anciennes sociétés archéologiques encore en activité). Les rencontres sont facilitées par la tenue de colloques ou des visites sur sites, comme ici en Europe centrale en 1914, pour une excursion de groupe tout en élégance autour du comte Henri Bégouën, figure de la recherche préhistorique toulousaine de la première moitié du XXème siècle. Il est le découvreur, avec ses fils, du réseau de cavernes du Volp, en Ariège, et de leurs occupations préhistoriques. À la mort d’Émile Cartailhac en 1921, il lui succède à son cours de Préhistoire à la Faculté des lettres ainsi qu'à la direction du Muséum d'histoire naturelle de Toulouse.
On peut voir sur ce cliché Marcel Dieulafoy, secrétaire général de la Société française des fouilles archéologiques, en visite sur la fouille de la basilique chrétienne de Saint-Bertrand-de-Comminges (31) en 1913, où il a encouragé le lancement de travaux archéologiques méthodiques. Le lieu, connu dans l’Antiquité sous le nom de Lugdunum Convenarum, était alors une ville importante et un centre politique et commercial majeur, doté des principaux monuments publics d’une ville d’influence romaine (temple, thermes, marché, théâtre...). Au Vème siècle, la ville haute est fortifiée, mais l’activité persiste dans la plaine, notamment autour de la basilique chrétienne. On distingue sur ce cliché l’abside (construction de forme arrondie à l'extrémité d'un bâtiment, visible à l’arrière-plan), la nef (partie centrale où se tiennent les fidèles lors des célébrations) et plusieurs sarcophages en pierre (visibles à droite et au premier plan).
Le cas des fouilles de Bertrand Sapène à Saint-Bertrand-de-Comminges est intéressant car de nombreux clichés des travaux ont été réalisés à une époque où les fouilleurs et fouilleuses se mettaient peu en scène « en action ». On peut voir, sur ce cliché de 1921, l’évacuation de la terre au moyen de petits wagonnets en bois. Le long temps de pause des appareils photographiques de l’époque explique que le chien, en mouvement, apparaisse flou par rapport aux ouvriers, qui prennent la pose.
Les premiers wagonnets en bois sont ensuite remplacés par des wagonnets en fer. Il faut dire que l’ampleur des terrassements demande une certaine logistique ! On voit ici le dégagement du caldarium, ou bain chaud, des thermes antiques de Saint-Bertrand-de-Comminges. Les bains antiques romains étaient chauffés par un système appelé hypocauste, associant un foyer extérieur et un aménagement de sol suspendu, reposant sur un grand nombre de pilettes (petites piles ou colonnes) disposées à intervalles réguliers et permettant la circulation de l’air chaud. La base des pilettes est visible au premier plan de la photographie.
Bertrand Sapène a été lui-même photographié en 1926, ici à gauche, dans une tranchée creusée entre le temple et le forum, en contrebas du village actuel de Saint-Bertrand-de-Comminges. Nommé instituteur en 1919, il débute des fouilles dès l’année suivante et les dirige jusqu’en 1975. Il est à l’origine de la création du musée de Comminges, qui expose les objets issus des fouilles. De nombreux fragments de statues antiques ont été découverts sur la zone visible sur ce cliché. Ils formaient le trophée augustéen de Saint-Bertrand-de-Comminges, un ensemble exceptionnel de sculptures en ronde bosse en marbre de Saint-Béat (31), aujourd’hui visible au musée archéologique de Saint-Bertrand-de-Comminges.
L'équipe de scientifiques à la réalisation de cette mini expo est composée de Benjamin Marquebielle, chargé de communication du laboratoire Traces, co-ingénieur projet du défi-clé Sciences du Passé et chercheur associé en archéologie, avec l'aide de François Bon et Sandra Péré-Noguès, chercheur·es en archéologie et histoire ancienne, à l’Université Toulouse - Jean Jaurès, au sein du laboratoire Traces - Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés (CNRS, Université Toulouse - Jean Jaurès, Ministère de la culture, conventionné avec l’EHESS, l’INRAP et le service d’archéologie de Toulouse-Métropole).
Avec la contribution précieuse de Robert Bégouën, conservateur des trois cavernes du Volp, Josabeth Millereux-Le Béchennec, conservatrice du musée départemental d'archéologie de Saint-Bertrand-de-Comminges et Christelle Molinié, documentaliste au musée Saint-Raymond de Toulouse.
Mini expo est une série Exploreur - Université de Toulouse. Conception et suivi éditorial : Clara Mauler et Hélène Pierre. Auteur : Benjamin Marquebielle. Visuel : Caroline Muller. Cet épisode a été réalisé dans le cadre de la Nuit européenne des chercheur·es.