Ville démocratique ?
Les citoyens veulent être acteurs de leur cadre de vie. Les consultations publiques sur les grands travaux se multiplient et l’habitat participatif prend son essor. Mais l’opinion des citoyens peut parfois aller à l’encontre de l’intérêt public...
Par Jean-François Haït, journaliste scientifique.
Une troisième ligne de métro à l’horizon 2024, pour un coût de 2 milliards d’euros : tel est le projet sur lequel les Toulousains ont été invités à s’exprimer dans le cadre d’une consultation publique de quatorze semaines qui s’est achevée le 15 décembre dernier.
« Depuis 1995, la loi Barnier impose d’impliquer les citoyens dans les grandes décisions d’aménagement. Elle est née en réaction aux mobilisations de plus en plus fréquentes de la population face à certains projets »
explique Julien Weisbein, maître de conférences de science politique à Sciences-Po Toulouse et chercheur au Laboratoire des sciences sociales du politique (LaSSP).
On a donc créé une autorité, la Commission nationale du débat public (CNDP). Elle permet d’organiser un débat contradictoire au stade où le projet n’est encore qu’un projet. « C’est ce que l’on appelle démocratie délibérative, ou co-construction. On y a recours de plus en plus fréquemment dans le gouvernement urbain », poursuit Julien Weisbein.
À Toulouse, le dispositif a été porté par une CPDP (commission particulière du débat public), mandatée par la CNDP et financée par l’opérateur de transports Tisséo SMTC. Outre un questionnaire en ligne, des stands ont été installés sur les marchés, des plaquettes d’information distribuées. En plus des réunions publiques classiques, des formes plus originales ont été expérimentées, comme des ateliers de cartographie ou le " dialogue 3D " (ateliers de délibération d’environ 100 personnes dont 30 de Toulouse, 30 de l’agglomération et 30 du département). La CNDP a demandé à Julien Weisbein et à ses 25 étudiants du master " Risques, science, environnement et santé " de Sciences-Po Toulouse une évaluation en temps réel du débat. Ils ont mené des entretiens avec les acteurs, suivi les discussions, étudié les questionnaires recueillis... « Les premiers résultats révèlent une vraie ouverture et un réel effort pour un débat honnête de la part de la CPDP et du maître d’ouvrage, note Julien Weisbein. Tout le monde a joué le jeu et toutes les opinions ont été recueillies. » Le sociologue s’intéresse particulièrement au rôle des experts dans ce genre de débat. Dans ce domaine, des inerties structurelles et culturelles demeurent.
« L’expert, qu’il soit technicien ou organisateur des débats, ne s’efface pas toujours. Pour le métro, nous avons observé que la communication technique vers le public, par exemple, est encore assez souvent descendante et reste une boîte noire. »
L’exercice a bien sûr une limite, celle de la démocratie représentative. Le débat public sur le métro n’est pas un référendum. Il débouchera sur un avis consultatif. « Mais les élus ne peuvent pas ne pas en tenir compte, conclut Julien Weisbein… Et les citoyens font l’apprentissage de ce genre de dispositif dont ils sont de plus en plus demandeurs. »
Plus que jamais, en effet, les citoyens veulent être acteurs de leur cadre de vie. Certains même tentent l’aventure de l’ " habitat participatif ". Il s’agit de concevoir collectivement son habitat et d’y partager des espaces communs.
« Des expériences ont déjà été menées dans les années 1970, c’est ce que l’on appelait l’habitat autogéré. Mais le fait nouveau est l’inscription de l’habitat participatif dans la loi Duflot de 2014 sur l’investissement locatif. »
note Marie-Christine Jaillet, sociologue spécialiste du fait urbain, de l’habitat et du logement au sein du LISST.
Marie-Christine Jaillet étudie les conditions de succès de ces projets. La première est le portage – de plus en plus fréquent – par les bailleurs sociaux (organismes HLM), capables de mettre à disposition leur compétences en ingénierie de projet. La seconde tient à la constitution du collectif : « On est dans une logique élective, les gens doivent se coopter. Le processus prend souvent plusieurs années. » Deux écueils peuvent alors survenir. Le premier inhérent au mode de constitution de ce collectif : « Cela peut aboutir à un entre-soi de gens qui ont les mêmes valeurs et les mêmes origines sociales. Le risque est que le projet ne réponde plus aux exigences de la mixité sociale. » Le second problème est la viabilité sur le long terme : la mobilité ou la séparation des ménages fait que des fondateurs peuvent quitter le projet. Dès lors, l’intégration nécessaire de nouveaux habitants peut le fragiliser.
« Bien qu’encore marginal, l’habitat participatif se développe, on n’est plus dans l’expérimentation. Il témoigne plus généralement d’une volonté forte des citoyens d’être associés à l’aménagement de leur cadre de vie. Mais ce souci peut parfois entrer en contradiction avec l’intérêt général »
note Marie-Christine Jaillet.
Il faut trouver d'autres manières de produire la ville
En effet, la densification de l’habitat, nécessaire pour rapprocher les nouveaux habitants de leurs emplois, éviter l’étalement urbain et des problèmes de congestion insolubles, et promouvoir une urbanisation compatible avec une gestion économe des ressources est souvent mal acceptée. D’où de multiples recours des habitants devant les tribunaux administratifs. C’est ce que l’on nomme le phénomène NIMBY (Acronyme anglais pour " Not in my backyard ", en français : " Pas dans mon jardin "). « Il faut trouver d’autres manières de produire la ville, ouvrir ce qu’on peut appeler des " scènes de transaction " pour engager le débat et construire l’enjeu de la densification comme relevant du " bien commun ". Les citoyens peuvent accepter cette densification même si elle a un coût pour eux à la condition qu’elle présente aussi un intérêt même différé. Chacun peut en effet avoir des enfants obligés de déménager vers une autre ville et qui seront heureux d’y trouver un logement accessible et central », explique Marie-Christine Jaillet. À l’heure où la fabrique de la ville ne peut se concevoir sans associer les habitants, quel pouvoir leur donner ? Où placer le curseur de la démocratie participative par rapport à la démocratie représentative ?
« Une chose est certaine : dès lors qu’on engage une consultation, il faut accepter qu’elle fasse bouger les lignes. »
conclut Marie-Christine Jaillet.
LaSSP : Laboratoire des sciences sociales du politique – IEP Toulouse.
LISST : Laboratoire interdisciplinaire solidarités, sociétés, territoires – CNRS, Université Toulouse – Jean Jaurès, ENSFEA, EHESS.