Mental de champion : comment se préparer à la performance sportive ?
Peu mise en valeur en France, la préparation mentale permet aux sportifs d’améliorer leurs performances. Réguler ses émotions, sa motivation ou l’objet de son attention ont des effets bénéfiques sur la motricité. Décryptage des processus cognitifs à l’œuvre grâce aux recherches d’Anne Ille et Lilian Fautrelle. Des éléments qui peuvent, à terme, modifier les conditions d’entraînement des athlètes.
Par Paul Périé, journaliste.
On entend souvent dire d’un sportif de haut niveau qu’il possède un mental de champion. Une affirmation censée rappeler l’importance de cette performance psychique. Or, selon une enquête réalisée par l’Institut national du sport, de l'expertise et de la performance (INSEP) sur la préparation des sportifs français aux Jeux Olympiques de Rio en 2016, 43 % des sportifs interrogés n’avaient pas eu recours à une préparation mentale. Dans les formations universitaires comme dans celles délivrées par le ministère des sports, la France a pris un certain retard sur ces questions et cette absence de considération est parfois ressentie comme un manque par les sportifs eux-mêmes. Comment, alors, intégrer ces aspects à leur entrainement ? La prise de conscience passe certainement par une meilleure connaissance de l’influence des processus cognitifs et mentaux sur leurs résultats.
Où porter son attention ?
Cette question est au cœur des recherches d’Anne Ille, enseignante-chercheuse à l’Université Toulouse III – Paul-Sabatier. Certains de ces processus, comme l’imagerie mentale, qui consiste à visualiser des succès ou des performances réussies, ont des effets bénéfiques reconnus sur la performance sportive. La chercheuse toulousaine s’intéresse plus particulièrement à ceux pouvant avoir des effets négatifs, perturbant l’exécution du mouvement et son apprentissage. Il s’agit notamment des instructions qui peuvent être données à l’athlète, et plus précisément l’orientation de l’attention qu’elles vont induire chez lui. « Les entraîneurs ont souvent tendance à se concentrer sur des points techniques du mouvement, qui peuvent porter sur la position de tel ou tel segment corporel, l’alignement des bras avec le buste… Tout ça oriente l’attention du sportif sur le comment davantage que sur le pourquoi du mouvement, précise Anne Ille. C’est ce que l’on appelle un focus interne. En procédant ainsi, on ne s’intéresse pas à l’objectif du mouvement. »
Se mettre en mode automatique
Divers travaux se sont intéressés sur l’attention du sportif pouvant être portée sur un focus interne, le mouvement lui-même, ou sur un focus externe, les objectifs recherchés par le mouvement. Les études réalisées par Gabriele Wulf, de l’Université du Nevada, ont mis l’accent, dès la fin des années 1990, sur les conséquences positives d’une focalisation externe sur la performance. L’enjeu est aujourd’hui de comprendre pourquoi. « L’hypothèse principale est celle de l’action contrainte, décrypte la chercheuse toulousaine. Une focalisation interne entraîne chez le sportif une volonté de contrôler consciemment son mouvement. Or, si celui-ci a déjà été pratiqué souvent, il est en quelque sorte automatisé et peut se dérouler avec un faible coût attentionnel. » Le fait de penser à l’exécution viendrait perturber son contrôle automatique, ce que Anne Ille qualifie de « dé-automatisation du mouvement ». En somme, un mouvement non réfléchi, ou inconscient, offre une efficacité maximale.
Des observations confirmées par Lilian Fautrelle, enseignant-chercheur au Centre universitaire de formation et de recherche Jean-François Champollion, attaché au département STAPS de Rodez et membre du laboratoire ToNIC. « On a encore trop souvent tendance à résumer toute la motricité au contrôle volontaire et conscient du mouvement. Cependant, le cortex moteur et son faisceau cortico-spinal, principal centre générateur des commandes volontaires et conscientes du cerveau au muscle, n’est qu’une voie motrice particulière parmi de nombreuses autres », explique-t-il. Selon lui, deux-tiers des mouvements humains, comme la gestion de l’équilibre, ou les mouvements réflexes par exemple, sont inconscients et ces voies plus automatiques, sont plus rapides et capables de générer elles aussi des mouvements complexes. Le sportif a donc tout intérêt à confier certaines de ses performances à ces voies-là et à ne pas tout faire en conscience.
Le but avant les moyens
Pour Anne Ille, l’idée serait de faire évoluer les techniques d’entraînement pour utiliser plus souvent les focalisations externes, aussi bien dans l’apprentissage et l’optimisation que dans la compétition. « Les sportifs de haut niveau ont parfois besoin de modifier certains points techniques, admet-elle. Dans ce cas, cela suppose qu’ils soient capables de déconstruire des automatismes et donc de passer par une focalisation interne, pour revenir ensuite vers une nouvelle automatisation. »
Afin d’appuyer l’idée selon laquelle il est important de faire parler la mémoire du corps et se concentrer sur l’objectif de son mouvement, elle a mené des expériences auprès de sprinters. Avec des capteurs de force installés sur les blocs de start et sur le sol au niveau des mains, elle a pu mesurer le temps de réaction. La vitesse de course a aussi été analysée. Les résultats ont montré que les coureurs avaient un meilleur temps de réaction et étaient plus rapides si on leur demandait de sortir plus vite des starting-blocks – focalisation externe – que s’ils se concentraient sur le mouvement des jambes et des bras – focalisation interne. Des conclusions qui peuvent sembler contre-intuitives si l’on écoute les conseils généralement donnés par les entraîneurs, l’accent étant beaucoup mis sur la position du corps, en athlétisme notamment.
« Cependant, dans le cadre de la compétition, on entend parfois des instructions comme : "Ne pense à rien", "passe en mode automatique" ou "pose le cerveau" qui renvoient à cette idée de laisser parler la mémoire du corps »
nuance Anne Ille.
Ces consignes, qui de prime abord, semblent faites pour gérer le stress, auraient en fait des effets bénéfiques directs sur la performance du mouvement.
Stress et performance, alliés ou ennemis ?
Lilian Fautrelle explore les effets de l’environnement affectif sur la manière dont notre cerveau pilote notre corps. Ses expériences ont montré que, confronté à des images standardisées issues de la base IAPS (International Affective Picture System), le mouvement est plus rapide et le temps de réaction plus court pour appuyer sur un bouton si l’image est agréable. À l’inverse, le niveau de synchronisation entre les activations des muscles des jambes et des bras diminue significativement lorsque l’image est désagréable. Après avoir mené ces expériences auprès d’une population de jeunes adultes en bonne santé, il s’intéresse désormais, avec ses collègues Jean-Philippe Biéchy et Camille Charissou, aux intervenants en situation hostile et aux sportifs de haut niveau.
« Souvent, on s’entraîne dans un contexte plaisant alors que la performance doit être reproduite dans un contexte plus stressant et anxiogène qu’est la compétition, développe Lilian Fautrelle. Le but du jeu serait d’être capable d’introduire la modulation affective dans l’entraînement, pour améliorer l’apprentissage moteur et la performance. À niveau physique et technique égal, arriver à induire une plus haute performance dans un cadre affectif le plus stressant possible. » Ce mécanisme de base de modulation de la commande centrale par le milieu est complètement inconscient. Avoir connu ces situations de « stress » à l’entraînement serait donc un avantage important.
Comprendre ce qu’il se passe dans le cerveau
Pour les deux chercheurs, la prochaine étape est de comprendre à quel niveau du système nerveux se produisent les adaptations et les processus cognitifs liés. Dans cette optique, Anne Ille a travaillé avec Julien Duclay, membre du laboratoire ToNIC. En utilisant la neurophysiologie, les deux chercheurs se sont intéressés à des sportifs devant produire la plus grande force possible contre une résistance fixe. « Nous avons étudié deux consignes différentes en demandant aux sujets de se concentrer soit sur la contraction de leurs muscles, soit sur la force exercée », indique Anne Ille. Les personnes soumises à l’expérience avaient par ailleurs un feedback lié à la consigne, grâce à un écran montrant l’activité électromyographique (EMG) de leurs muscles ou la force exercée. « Les données prouvent là encore qu’il y a une plus grande force dans le cas d’une focalisation externe car le système nerveux est capable de recruter davantage d’unités motrices », assure la chercheuse.
Sur cette expérience, Anne Ille a par ailleurs voulu déterminer si ces différences de force observées entre focalisation interne et externe étaient dues à des différences dans la quantité de commande envoyée par le cerveau ou dues à la régulation de cette commande au niveau de la moelle épinière. « Même si les résultats ne sont pas tous significatifs, ils montrent que c’est la commande centrale provenant du cerveau qui est modulée et que celle-ci est plus grande dans le cas d’une focalisation externe », assure-t-elle. Avant d’envisager des expériences de neuro-imagerie, Lilian Fautrelle utilise lui aussi des EMG de surface afin d’enregistrer la quantité de signal électrique dans le muscle, reflet de la commande centrale en provenance de toutes les voies motrices. « Cela nous donne un indice sur les synergies musculaires mises en jeu pour contrôler les mouvements », résume-t-il.
Quoi qu’il en soit, l’inconscient semble occuper une place prépondérante dans les performances sportives. Et tout l’enjeu de la préparation mentale, dans les années à venir, sera de reproduire au mieux à l’entraînement des conditions permettant au sportif de réaliser les meilleures performances possibles en compétition. « La préparation mentale est un ensemble d’outils pour arriver à ce que les athlètes régulent leur état psychique pendant la compétition et l’entraînement », insiste Anne Ille, enseignante en STAPS où elle forme notamment les étudiants de licence Entraînement Sportif à la préparation mentale. Elle regrette que les aspects psychologiques aient encore une image péjorative et soient perçus comme une faiblesse. Le monde sportif n’est selon elle pas assez à l’écoute des innovations. Depuis deux ans, elle est responsable d'un diplôme universitaire "Aspects mentaux de la performance sportive pour l'entraîneur" monté en collaboration avec le Creps de Toulouse, le Centre de ressources d’expertise et de performance sportives. Le début d’une prise de conscience du milieu sportif ?
ToNIC : Laboratoire Toulouse Neuro-Imaging Center - Inserm, Université Toulouse III - Paul Sabatier.