Les Français et leurs médias : une relation passionnée ?

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Cultures・Sociétés

Les Français et leurs médias : une relation passionnée ?

Femme abritée sous un journal de presse papier
© iStock

À l’heure où les informations sont produites rapidement et massivement, comment faire le tri entre rumeur, opinion, fake-news et information vérifiée ? Franck Bousquet, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, décrypte la production médiatique française et nous aide à y voir plus clair sur une industrie qui a mauvaise presse.

L'Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées et le Quai des Savoirs lancent Questions de confiance : un cycle de huit rencontres chaque dernier mardi du mois, de janvier à octobre 2022, proposé dans le cadre de l’exposition "Esprit Critique, détrompez-vous !" et des rencontres #Exploreur.

Rencontrez Franck Bousquet, enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Toulouse III - Paul Sabatier, et Jean-Marie Charon, ingénieur d’études en sociologie et membre honoraire du CNRS, le 22 février 2022 à 18h au Quai des savoirs, en direct sur YouTube et en rediffusion dans cet article.

 

Par Clara Teixeira, de l’équipe Exploreur.

 

Sur le baromètre de la confiance (soleil, éclaircies, grisaille, orage), où placez-vous celle accordée aux médias aujourd’hui ?

Franck Bousquet : C’est un début d’orage. Paradoxalement, toutes les enquêtes montrent une baisse de la confiance envers les médias, alors que notre consommation ne fait qu’augmenter. Il y a de plus en plus de médias et d’informations produites, mais on constate aussi que le nombre de journalistes stagne ou régresse depuis quelques années. Il n’est pas difficile d’en déduire que les conditions de production se dégradent…

Les médias peuvent-ils garantir une information neutre pour inspirer confiance ?

FB : Une information est toujours construite par le journaliste ou le comité de rédaction. Tous les médias ont une ligne éditoriale à partir de laquelle ils sélectionnent et présentent l’information. Donc on ne peut pas leur demander d’être totalement neutre et objectif. En revanche, pour leur faire confiance, on peut leur demander d’être honnête sur la vision du monde que défend leur ligne éditoriale. Certains titres de presse y arrivent : Reporterre fonde son « agenda » sur l’environnement, Médiapart fonde le sien sur l’investigation, avec un positionnement affirmé sur des valeurs de gauche.

Le choix des sujets d’actualité est-il dicté par les grands médias ?

FB : On peut différencier deux types d’acteurs qui composent l’environnement médiatique français. Il y a les titres de presse dominants qui ont à peu près le même « agenda », c’est-à-dire les mêmes choix et la même hiérarchisation de sujets. Ils se citent mutuellement. C’est ce que Bourdieu appelait « la circulation circulaire de l’information ». Autour d’eux gravitent des médias plus petits aux « agendas » alternatifs, qui affichent un engagement politique, social ou écologique. Par exemple, Le Média, ouvertement à gauche, organise une contre-matinale tous les matins en réaction à l’actualité des médias centraux. Cela signifie que l’« agenda » classique reste central. Les médias qui le construisent sont toujours dominants, puisque tous les autres continuent de se positionner par rapport à eux.

La concentration de la propriété de médias à quelques grands groupes économiques joue-t-elle sur la confiance des lecteurs ?

FB : Il est clair que c’est un enjeu de confiance important. La concentration ne favorise ni la diversité de l’information, ni la confiance des citoyens. La question n’est pourtant pas celle de l’ingérence au quotidien des grands propriétaires dans les comités de rédaction. Cela n’existe que marginalement. Mais posséder un média n’est pas non plus anodin. Si on peut à la fois être à la tête d’un média et répondre à des marchés publics, ouverts par l'État ou les collectivités, pour vendre des armes, du conseil en communication, construire des bâtiments ou prétendre à des licences de téléphonie mobile… Cela peut transformer la possession du média en outil d’influence et donc entamer la confiance. Certains pays, comme l’Allemagne, rendent cette situation légalement impossible.

La presse locale est-elle dans la même situation que la presse nationale ?

FB : Dans ce secteur, c’est pire que la concentration, c’est le monopole. Nationalement, les médias se concentrent dans les mains de quelques grands groupes. En local, un titre de presse a le monopole de l’information sur chaque territoire. C’est le cas de La Dépêche ou encore d’Ouest France qui est, par ailleurs, le premier quotidien tiré dans le pays en nombre d’exemplaires. Cela démontre la puissance sociale, souvent ignorée, de la presse quotidienne régionale.

La déontologie du journaliste est alors garante de la qualité de l’information ?

FB : La nécessité d’être transparent sur les positions à partir desquelles on rapporte un discours est un des principes fondamentaux de la Charte de déontologie de Munich, adoptée par la fédération européenne des journalistes en 1971. Par exemple, Le Monde favorise la confiance des lecteurs quand il indique que Xavier Niel, cité dans un article, est propriétaire du média à 30%. C’est l’inverse lorsqu’un débat télévisé est organisé autour des positions de Jean-Michel Blanquer par son épouse journaliste, sans que ça ne soit mentionné nulle part. On prend le téléspectateur pour un imbécile…

Est-ce qu’il y a une évolution dans la manière de raconter l’information ?

FB : Depuis qu’il y a des médias de masse, dès la deuxième partie du XIXème siècle, il y a cohabitation entre information et divertissement. En revanche, les formes de cette cohabitation ont évolué sans cesse. Le Petit Journal, le premier média à dépasser le million de lecteurs en France, va par exemple inventer le fait divers. Une manière romanesque et feuilletonnante de raconter l’actualité à travers des évènements extraordinaires et spectaculaires. Avec les médias audiovisuels, ces récits deviennent de plus en plus spectaculaires et addictifs. Aujourd’hui, une polémique en chasse une autre en quelques heures.

Les fausses informations circulent-elles plus facilement avec le développement d’Internet ?

FB : La circulation de l’information n’a jamais cessé de s’accélérer. L’information en général, la vraie comme la fausse, se répand beaucoup plus vite. Mais on n’a pas attendu les réseaux sociaux numériques pour diffuser de fausses informations et des rumeurs. Ce qui est parfois problématique, c’est le mélange de types d’informations très différentes, issues de toutes sortes de sources, affichées côte à côte sur les mêmes supports. Une rumeur, un fait divers, une information brute, une enquête argumentée ou une polémique vont défiler sur votre réseau social sans hiérarchie. C’est à vous de faire le travail de hiérarchie éditoriale qui est le rôle jusque-là assumé par les médias.

Faudrait-il inventer un label « information vérifiée » ?

FB : L’éducation aux médias et au décryptage des sources me semble prioritaire, bien plus que la création d’un tampon légal « information vraie » ou « fausse ». Malgré le temps que nous passons à consommer des médias, c’est pour beaucoup de l’autoformation quand il s’agit de les décrypter. Cela ne fait pas l’objet d’une politique publique de l’État. Elle n’est pas inscrite dans le programme scolaire. Parfois ce sont les enseignants qui la prennent en charge. Ils peuvent trouver des outils auprès du CLEMI, le Centre de liaison de l’enseignement et des médias de l’information. Il ne me semble pas cohérent, étant donné la place des médias dans nos vies, que l’on accorde si peu d’espace à ce qui devrait être une discipline enseignée dès l’école primaire.

Quelle est la place des informations scientifiques dans les médias ?

FB : Les sciences sont traitées de manière marginale. C’est une des conclusions de l’enquête que nous avons menée sur la place des sciences dans les médias, avec ma collègue Brigitte Sebbah. Dans les grands titres de presse nationale, les journalistes spécialisés ne dépassent pas la dizaine. TF1, France 2 et les grandes chaînes d’information n’ont quasiment pas de journalistes scientifiques. Ce sont des pigistes indépendants qui traitent le sujet. Le manque de connaissance du fonctionnement scientifique, de ses processus de validation, amène parfois les médias à diffuser des informations peu vérifiées.

Comment font les rédactions quand l’actualité porte sur des sujets scientifiques ?

FB : Quand la crise du Covid s’est intensifiée, les journalistes scientifiques ont pris une importance inhabituelle dans les comités de rédaction. Un journaliste que nous avons interrogé avait bien illustré la situation : en général, il était assis sur la chaise au fond de la salle de rédaction, à côté des toilettes. Lorsque la pandémie est arrivée, il s’est retrouvé à la droite du rédacteur en chef !

 

Franck Bousquet est enseignant-chercheur en sciences de l’information et de la communication à l’Université Toulouse III - Paul Sabatier. Il est membre du laboratoire d’études et de recherches appliquées en sciences sociales (LERASS - Université Paul Sabatier - Toulouse III, Université Toulouse - Jean Jaurès, Université Montpellier - Paul Valéry, IUT de Tarbes).