Génération(s) archéo (1960 – 1971) : Tournant vers la professionnalisation
Au début des années 1960, le cadre d’activité des archéologues évolue considérablement, notamment sur le terrain. Les grands travaux d’aménagement font peu à peu prendre conscience du besoin de préserver un patrimoine fragile. La pratique de l’archéologie, qui demande de plus en plus de compétences et de formation, commence à se professionnaliser.
Mini expo : Une série de galeries artistiques, esthétiques, patrimoniales et scientifiques pour découvrir le monde autrement. Les scientifiques se transforment en chargé·es d’expositions et partagent en images les coulisses de la recherche.
Génération(s) archéo retrace, en 3 mini expos, des aventures archéologiques de la fin du XIXe à nos jours… Quand les archéologues toulousain·es fouillent dans leurs albums photos pour un voyage dans le temps et l’espace.
Épisode 1 : Des passionné·es sur le terrain (1890 - 1932)
Épisode 2 : Le tournant vers la professionnalisation (1960 - 1971)
Épisode 3 : Archéologie 2.0 (2018 - 2024)
À Toulouse, dans les années 1960, les fouilles sont surtout le fait de bénévoles et de passionné·es, comme ici, le groupement d’archéologie Antique du Touring Club de France, association cycliste œuvrant au développement du tourisme.
Même époque, mais autre lieu toulousain : la future cité HLM Ancely. L’abbé Georges Baccrabère, passionné d’archéologie et fondateur du musée de l’Institut catholique, fouille, durant les travaux, un ensemble thermal. On voit ici une piscine (natatio) en cours de dégagement avec son escalier, dans l’angle supérieur gauche. Une partie des vestiges archéologiques, dont ce bassin, est alors conservée et intégrée au plan des nouveaux bâtiments (de nos jours, ils sont visibles ponctuellement, dans le cadre de visites organisées par le musée Saint Raymond). Au cours de ses travaux, Georges Baccrabère met en évidence l’existence d’une véritable agglomération antique, au confluent du Touch et de la Garonne, liée également à l’amphithéâtre (toujours visible à proximité de l’hôpital Purpan).
Dans le quartier Saint Roch de Toulouse, aux alentours de l’ancienne caserne Niel, des équipes de bénévoles et des jeunes militaires prêtent main forte à l’archéologue Georges Fouet, qui explore cette ancienne zone artisanale et commerciale gauloise. Il fouille notamment des puits, comme celui dont on voit l’ouverture sur le cliché. Creusés pour assurer l’approvisionnement en eau, ces structures sont progressivement comblées par des rejets ou des dépôts et renferment de nombreux vestiges, parfois sur plusieurs mètres. Les céramiques y sont notamment nombreuses et leur étude met en évidence la variété et la dynamique des échanges de la Toulouse gauloise, très imprégnée de culture romaine, avec l’ensemble du monde méditerranéen. Mais ces travaux, dans le quartier Saint Roch comme ailleurs à Toulouse, sont conduits dans l’urgence et au gré des aménagements urbains.
En 1971, le creusement du parking sous la place du Capitole de Toulouse met au jour les vestiges d’une des portes du rempart antique romaine. Haut de 6 à 8 m et long de 3 km, ce dernier entourait 90 hectares d’espace urbain, en rive droite de la Garonne. Michel Vidal et Michel Labrousse montent en urgence une équipe pour sauver ce qui peut l’être, au milieu des pelleteuses et sans que le chantier soit suspendu. Au terme d’une fouille difficile, les archéologues peuvent restituer l’aspect de l’entrée antique nord de la ville, une porte aujourd’hui disparue. Les grands vestiges architecturaux sont détruits, mais une partie des éléments est récupérée et déposée au musée Saint Raymond. On peut voir sur le cliché une partie de la structure du mur, associant des couches de galets noyés dans du mortier de chaux, des assises de moellons (pierres à bâtir) en calcaire gris et des assises en briques.
Les destructions suites aux travaux du Capitole participent à faire prendre conscience de la nécessité d’une véritable archéologie de sauvetage : l’Association pour les fouilles archéologiques nationales (Afan) est créée en 1973. Cette structure devient en 2002 I'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap), à la suite de l’adoption de la loi du 17 janvier 2001 relative à l’archéologie préventive. Dans ce cadre, il est prévu que les archéologues interviennent en amont des travaux d’aménagement, afin de réaliser un diagnostic, et si nécessaire une fouille. Ces travaux sont encadrés par l’État et peuvent être confiés à l’Inrap, à des collectivités territoriales dotées d’un service archéologique agréé (comme c’est le cas à Toulouse) ou à des entreprises privées agréées. L'aménagement du territoire permet l’étude du patrimoine archéologique, et n’est plus seulement synonyme de sa destruction.
Vacancier·ères au milieu des vignes ? Non, campement d’archéologues dans l’Aude, à proximité de la grotte Gazel ! En parallèle des évolutions de l’archéologie en contexte de sauvetage, une autre archéologie se développe, se structure et se professionnalise : l’archéologie programmée, qui concerne les sites qui ne sont pas en danger de destruction par des travaux.
Ici, à la grotte Gazel, dans l’Aude, l’équipe dirigée et formée par Jean Guilaine, chercheur au CNRS, travaille tout en minutie à la reconnaissance des sociétés de la Préhistoire. Une grande attention est désormais portée à la succession des couches de sédiments (ce qu’on appelle la stratigraphie), dont le dégagement minutieux permet d’apprécier les modalités, les rythmes et les intensités d’occupation du site. La grotte est parcourue par un carroyage (technique de quadrillage), matérialisé par des fils tendus horizontalement et verticalement. Ce système permet de repérer et d’enregistrer précisément la position dans l’espace de tout vestige découvert. Il est ainsi possible, au fur et à mesure de l’avancée des fouilles, de constituer un enregistrement le plus exhaustif possible du site archéologique.
Toute la terre retirée lors de la fouille est amenée à l’extérieur de la cavité pour être tamisée afin de récupérer les plus petits vestiges qui n’auraient pas été vu à la fouille : graines, éclats d’os, fragments d’outils en pierre… Chaque type de vestige est alors confié à des spécialistes. Après étude, et mise en commun des résultats, il devient possible de reconstituer la vie des premier·ères agriculteurs et agricultrices qui ont occupé la grotte au cours du Néolithique (cette dernière période de la Préhistoire qui voit l’adoption, par les populations, d’un mode de vie sédentaire, fondé sur l’agriculture et le pastoralisme). Les scientifiques tirent ainsi des conclusions sur les façons dont les populations passées ont occupé les lieux. Si l'Homme des cavernes est un mythe, dans le sens où les humains n'ont pas vécu dans les grottes, ils ont pu occuper l'avant des cavités et les porches ou utiliser des grottes pour des activités diverses : artistiques, sépulcrales, parcage de troupeaux pour mettre les animaux à l’abri (système des grottes bergeries), zone de stockage de denrées alimentaires, zone d'extraction d'argile et/ou de production de céramique...
L'équipe de scientifiques à la réalisation de cette mini expo est composée de Benjamin Marquebielle, chargé de communication du laboratoire Traces, co-ingénieur projet du défi-clé Sciences du Passé et chercheur associé en archéologie, avec l'aide de Claire Manen, chercheuse en archéologie au CNRS, au sein du laboratoire Traces - Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés (CNRS, Université Toulouse - Jean Jaurès, Ministère de la culture, conventionné avec l’EHESS, l’INRAP et le service d’archéologie de Toulouse-Métropole).
Avec la contribution précieuse de Jean Guilaine, chercheur en archéologie, professeur émérite au Collège de France et membre de l’Académie des inscriptions et belles-lettres et Christelle Molinié, documentaliste au musée Saint-Raymond de Toulouse.
Mini expo est une série Exploreur - Université de Toulouse. Conception et suivi éditorial : Clara Mauler et Hélène Pierre. Auteur : Benjamin Marquebielle. Visuel : Caroline Muller. Cet épisode a été réalisé dans le cadre de la Nuit européenne des chercheur·es.