Radiographier la ville avec Nicolas Marqué
Grâce au numérique, cet historien a mis au point une méthode qui permet de faire parler les cartes, et de comprendre notamment comment le canal du Midi a contribué à dessiner la ville de Toulouse.
Propos recueillis par l’équipe Exploreur
Vous êtes un historien spécialiste du canal du Midi et un historien spécialiste du numérique. Comment ça marche ?
Lorsque j’étais étudiant, j’étais à la fois passionné par l’histoire et par la cartographie, j’ai donc eu envie de raconter l’histoire en cartographiant le passé à l’aide de documents d’archives et d’éléments archéologiques. Toutefois, réaliser des cartes précises à partir de ces données est un processus complexe qui demande de maîtriser certains logiciels, comme des systèmes d’information géographique (S.I.G.), je me suis donc naturellement intéressé à l’informatique. Cela s’est fait d’autant plus aisément que c’était déjà un de mes passe-temps à l’époque ! Cette méthode est assez originale pour un historien spécialiste de la période moderne, j'ai résumé ses principales étapes en trois minutes lors du concours Ma thèse en 180 secondes.
Vous publiez « 1667. Canal du Midi, début d’un long chantier ». Pourquoi avoir choisi cette date précisément ?
Suite à une bien longue enquête ! Mon but était de retrouver la date de l’inauguration du canal, mais la situation financière de la famille Riquet a fait qu’il n’y en a jamais eu. Les premières navigations étaient avant tout des inspections menées par l’intendant, œil du roi en province, soucieux de savoir si l’argent consacré à l’ouvrage avait été employé à bon escient. On trouve en revanche trace de grandes réjouissances publiques au moment de la pose de la première pierre en 1667, j’ai donc retenu cette date comme centre de mon étude.
Quel est le premier « débouché » de ce canal ?
Le trafic des grains du Haut-Languedoc vers le Bas-Languedoc (et dans une moindre mesure celui des vins en sens inverse) reste la principale activité du canal, elle se développe tant, qu’en 1788 et 1791, il a fallu multiplier les magasins (entrepôts) au port Saint-Étienne, dans des bâtiments toujours en partie visibles de nos jours. De même, le port Saint-Sauveur a été créé en 1829. Ce trafic ne donne toutefois lieu à aucune industrie de grande ampleur sur le port Saint-Étienne où les marchandises étaient exportées sans être transformées.
Peu à peu, il fait tout de même partie du paysage, et il se diversifie.
D’autres activités se développent tout au long du XVIIIe siècle : le transport de voyageurs, venant notamment assister à la fête annuelle du 17 mai à Toulouse, les promenades, en lien avec les allées qui reliaient le canal et la ville, la vente de glace l’été (deux glacières sont bâties en 1742 au port Saint-Étienne), les chantiers de radoub (construits en 1767), et les lavoirs dans le canal. Le développement de ces activités est favorisé par de nombreux projets d’urbanisme comme celui de Mondran et donne également lieu à de nouvelles idées : en 1770, par exemple, le directeur de la division de Toulouse du canal, Gilles Pin voulait agrandir le port Saint-Étienne en démolissant quasiment tout le faubourg, ou bâtir un port dans l’actuel Grand Rond en faisant passer le canal dans ses allées. Mais ces projets très coûteux n’ont jamais été réalisés.
Toulouse et le canal c’est donc une histoire ancienne mais pas si simple dès le début…
Les Capitouls ne favorisent pas le développement du canal. L’édit du roi d’octobre 1666 affirme que le canal et ses francs-bords (6 toises de chaque côté, soit environ 11,6 mètres) étaient donnés en fief à Riquet… ce qui privait les magistrats municipaux d’une partie de leur juridiction. Riquet prévoyait de faire passer le canal dans les douves de la ville, mais sous prétexte de lutter contre les inondations, les capitouls l’ont rejeté à une portée de mousquet (200 mètres) des murs de la ville, ce qui montrait surtout leur rivalité politique avec Riquet et leur animosité vis-à-vis de ce personnage.
Malgré le succès du trafic des grains, les berges du canal restent peu bâties, le premier véritable entrepôt (« magasin ») est bâti en 1695 et le port lui-même seulement en 1708.
Comment, par la suite, le canal du Midi va-t-il finalement faire partie de la ville ?
Il ne faut pas faire du développement du faubourg Saint-Etienne une conséquence directe de la mise en place du port. Le faubourg se développe surtout à partir de la porte du rempart donc regarde davantage vers la ville que vers le canal. Au XVIIe siècle, on y trouve principalement des artisans et des pauvres gens qui ne peuvent se loger dans le périmètre de l’octroi.
L’influence combinée de la proximité du centre-ville et du développement progressif du port permettent une forte augmentation de la population du faubourg qui passe de 1 476 personnes en 1695 à 3 263 en 1790, et 4 840 en 1830. Cette croissance numérique va de pair avec un développement du train de vie, le cœur du faubourg présente de moins en moins un aspect rural (champs et maisons basses) et ressemble bien plus aux quartiers intra-muros qu’aux villages du gardiage dès le milieu du XVIIIe siècle. De même, des populations plus aisées s’y installent, et notamment des marchands faisant commerce de grain. Ceux-ci ont même tendance à fausser les règles de la concurrence en achetant le grain sur le port alors qu’il ne devait être vendu que sur les marchés de la ville : cela explique la volonté de la municipalité de créer un lieu adapté à ce commerce au plus près du port dès le début du XIXe siècle. Cette « halle aux grains », actuel lieu de spectacle, ne sera toutefois construite qu’à partir de 1861.
Références bibliographiques
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Marqué N., 2019, 1667. Canal du Midi. Début d’un long chantier. Editions Midi-Pyrénéennes.
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Marqué N., 2007, Toulouse et le canal du Midi. Éditions Empreinte.
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Maistre A., 1998, Le canal des Deux Mers, canal royal du Languedoc (1666 - 1810.), Privat.
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Pailler J.-M., Thomas A., Thomas J., 2017, Petite histoire de Toulouse, Cairn.
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Marqué N., "Résider dans le faubourg Saint-Étienne, de l'ouverture du canal du Midi à la chute du rempart (fin XVIIe - début XIXe siècle)", dans Suau B. (dir.), 2009, Toulouse, une métropole méridionale, PUM, pp. 199 - 206.